Comment résister à la kalentica? Impossible évidément et son succés ne s'émousse pas.
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Derrière chaque met gastronomique populaire se cache une histoire, souvent des plus insolites. De la même chronique qui a, fortuitement, donné naissance au croissant, par des Viennois complètement assiégés durant tout un hiver rude par les Turcs, la kalentica, beaucoup plus appétissante et moins altière que le croissant autrichien, n’échappe pas à la comparaison.
On raconte qu’un cuisinier espagnol, assiégé dans le fort de Santa Cruz, n’ayant pu consoler le ventre des soldats, au moral des plus bas, ne trouva pas mieux que de faire cuire tout un lot de pois chiche moulu, imbibé d’eau, qui était emmagaziné dans le sous-sol du fort. Ce fut la délivrance pour ces fourbus qui auraient pu être décimés par la famine, et la gloire éternelle pour ce cuisinier un peu débrouillard. Quelques siècles plus tard, toujours à Oran, les Espagnols n’étant plus là, de ce souvenir ou de la légende, subsiste encore cet héritage qui est entré dans la culture culinaire populaire bon marché. Chergui, dernièrement décédé, tenant boutique en face du lycée Ibn Badis, fut l’un d’eux pour avoir gavé, pendant des décennies, beaucoup de monde.
Sans le savoir, peut-être, Mokhtar reconduit encore cette tradition en offrant, chaque matin, des plats fumants, ramenés tout droit du dépôt principal où la majorité des revendeurs se fait livrer, à ceux qui, faute de temps ou surtout d’argent, se remplissent la panse à moindre coût.
Au coin du chemin vicinal N°9 à Petit lac, jouxtant un centre de Naftal, il est là, chaque jour, dès 9 heures du matin. Sur des étals de fortune et sous un parasol, Mokhtar le débonnaire et ses trois camarades n’arrêtent pas de servir à tour de bras les innombrables clients. D’un geste machinal, les casse-croûte à 10 dinars s’envolent dans les airs, happés par les nombreuses mains de badauds attirés par le met. Des voitures flambant neuves, des chauffeurs de taxis, des ouvriers en bleu de travail, des passants... Tout le monde veut être servi le premier, surtout en ces matinées pluvieuses. A certains moments, vu de loin, le spectacle donne l’impression qu’un rassemblement de citoyens, protestant contre un quelconque problème, se déroule en ces lieux, tellement ils sont envahis par une foule bigarrée.
Après avoir bien ingéré son repas, agrémenté de harissa ou de cumin, ou des deux, le client, histoire de parfaire le petit plaisir, commande une limonade à 10 dinars et s’essuie ensuite la bouche, regarde s’il ne s’est pas taché le pantalon ou les manches de la veste et repart aussitôt.
Il y a quelques années, cet emplacement jouxtait toute une zone d’activité. Naftal, Asmidal, le dépôt des chemins de fer, la Snic, les abattoirs municipaux. Les nombreux employés étaient parmi les clients les plus fidèles et ils le sont toujours.
«Surtout que la cantine de l’entreprise n’est plus qu’un lointain souvenir et les nombreux fast-foods ne sont pas à la portée de toutes les bourses», dira un employé de la snic, présent sur les lieux pour approvisionner tous les camarades qui n’ont pu se libérer. Et celui-ci d’expliquer «qu’un sandwitch spécial avec une grande feuille de salade servie pour camoufler les deux oeufs à peine cuits, quelques frites fortement huilées et une tranche de viande congelée hachée, aussi mince qu’une lame de rasoir coûte les 150 dinars». «Ça ne remplit pas le ventre et à la longue, toute cette friture donne, inévitablement, mal au foie et à l’estomac», conclut notre interlocuteur, pressé de regagner son lieu de travail.
Nombre de jeunes enfants habitant les environs attendent leur tour, chacun une ou deux assiettes vides à la main qu’ils remplissent à 60 ou 80 dinars et s’en retournent chez eux tant que la kalentica est encore chaude. Un repas peu coûteux qui contentera la famille, en attendant le dîner.
Dans tous les quartiers, au niveau de tous les marchés, des locaux tout entier avec tables et chaises sont offerts aux nombreux clients de passage. Les femmes à M’Dina Jdida, leur territoire de prédilection, avec progénitures et couffins remplis de toutes choses, se feront en guise de pause, un utile devoir de s’arrêter et de chatouiller le palais avec ce met peu cher et aux vertues des plus tonifiantes, servi dans des assiettes.
La kalentica du pauvre vient, souvent, à la rescousse à de nombreuses familles, durant les derniers jours de fins de mois de plus en plus difficiles. «250 grammes de pois chiche manufacturés, une petite boîte de harissa et une limonade coûtent, en tout et pour tout, moins de 80 dinars». «Le repas du soir est sauvé et le rêve est permis pour le lendemain de virement», dira avec ironie Djamel employé aux abattoirs et client assidu.
De nombreux commerçants se sont essayés à d’autres mets servis à 30 dinars le casse-croûte comme «El Osban» ou ces nouveaux mets culinaires syriens, turcs et autres, mais rien n’y fit, même fortement épicés ou garnis, une fois l’effet mode passé, la kalentica revient toujours à la rescousse à ceux qui, sans crier famine, savent se contenter du peu.
Par Le quotidien d'Oran
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Derrière chaque met gastronomique populaire se cache une histoire, souvent des plus insolites. De la même chronique qui a, fortuitement, donné naissance au croissant, par des Viennois complètement assiégés durant tout un hiver rude par les Turcs, la kalentica, beaucoup plus appétissante et moins altière que le croissant autrichien, n’échappe pas à la comparaison.
On raconte qu’un cuisinier espagnol, assiégé dans le fort de Santa Cruz, n’ayant pu consoler le ventre des soldats, au moral des plus bas, ne trouva pas mieux que de faire cuire tout un lot de pois chiche moulu, imbibé d’eau, qui était emmagaziné dans le sous-sol du fort. Ce fut la délivrance pour ces fourbus qui auraient pu être décimés par la famine, et la gloire éternelle pour ce cuisinier un peu débrouillard. Quelques siècles plus tard, toujours à Oran, les Espagnols n’étant plus là, de ce souvenir ou de la légende, subsiste encore cet héritage qui est entré dans la culture culinaire populaire bon marché. Chergui, dernièrement décédé, tenant boutique en face du lycée Ibn Badis, fut l’un d’eux pour avoir gavé, pendant des décennies, beaucoup de monde.
Sans le savoir, peut-être, Mokhtar reconduit encore cette tradition en offrant, chaque matin, des plats fumants, ramenés tout droit du dépôt principal où la majorité des revendeurs se fait livrer, à ceux qui, faute de temps ou surtout d’argent, se remplissent la panse à moindre coût.
Au coin du chemin vicinal N°9 à Petit lac, jouxtant un centre de Naftal, il est là, chaque jour, dès 9 heures du matin. Sur des étals de fortune et sous un parasol, Mokhtar le débonnaire et ses trois camarades n’arrêtent pas de servir à tour de bras les innombrables clients. D’un geste machinal, les casse-croûte à 10 dinars s’envolent dans les airs, happés par les nombreuses mains de badauds attirés par le met. Des voitures flambant neuves, des chauffeurs de taxis, des ouvriers en bleu de travail, des passants... Tout le monde veut être servi le premier, surtout en ces matinées pluvieuses. A certains moments, vu de loin, le spectacle donne l’impression qu’un rassemblement de citoyens, protestant contre un quelconque problème, se déroule en ces lieux, tellement ils sont envahis par une foule bigarrée.
Après avoir bien ingéré son repas, agrémenté de harissa ou de cumin, ou des deux, le client, histoire de parfaire le petit plaisir, commande une limonade à 10 dinars et s’essuie ensuite la bouche, regarde s’il ne s’est pas taché le pantalon ou les manches de la veste et repart aussitôt.
Il y a quelques années, cet emplacement jouxtait toute une zone d’activité. Naftal, Asmidal, le dépôt des chemins de fer, la Snic, les abattoirs municipaux. Les nombreux employés étaient parmi les clients les plus fidèles et ils le sont toujours.
«Surtout que la cantine de l’entreprise n’est plus qu’un lointain souvenir et les nombreux fast-foods ne sont pas à la portée de toutes les bourses», dira un employé de la snic, présent sur les lieux pour approvisionner tous les camarades qui n’ont pu se libérer. Et celui-ci d’expliquer «qu’un sandwitch spécial avec une grande feuille de salade servie pour camoufler les deux oeufs à peine cuits, quelques frites fortement huilées et une tranche de viande congelée hachée, aussi mince qu’une lame de rasoir coûte les 150 dinars». «Ça ne remplit pas le ventre et à la longue, toute cette friture donne, inévitablement, mal au foie et à l’estomac», conclut notre interlocuteur, pressé de regagner son lieu de travail.
Nombre de jeunes enfants habitant les environs attendent leur tour, chacun une ou deux assiettes vides à la main qu’ils remplissent à 60 ou 80 dinars et s’en retournent chez eux tant que la kalentica est encore chaude. Un repas peu coûteux qui contentera la famille, en attendant le dîner.
Dans tous les quartiers, au niveau de tous les marchés, des locaux tout entier avec tables et chaises sont offerts aux nombreux clients de passage. Les femmes à M’Dina Jdida, leur territoire de prédilection, avec progénitures et couffins remplis de toutes choses, se feront en guise de pause, un utile devoir de s’arrêter et de chatouiller le palais avec ce met peu cher et aux vertues des plus tonifiantes, servi dans des assiettes.
La kalentica du pauvre vient, souvent, à la rescousse à de nombreuses familles, durant les derniers jours de fins de mois de plus en plus difficiles. «250 grammes de pois chiche manufacturés, une petite boîte de harissa et une limonade coûtent, en tout et pour tout, moins de 80 dinars». «Le repas du soir est sauvé et le rêve est permis pour le lendemain de virement», dira avec ironie Djamel employé aux abattoirs et client assidu.
De nombreux commerçants se sont essayés à d’autres mets servis à 30 dinars le casse-croûte comme «El Osban» ou ces nouveaux mets culinaires syriens, turcs et autres, mais rien n’y fit, même fortement épicés ou garnis, une fois l’effet mode passé, la kalentica revient toujours à la rescousse à ceux qui, sans crier famine, savent se contenter du peu.
Par Le quotidien d'Oran
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