Un autre Sifaoui ...dans quelques jours il fera les plateaux télé de de Cnews et de Bfmwc .
PORTRAIT - Le blogueur kabyle, dont les signalements ont permis l’interpellation de plusieurs influenceurs algériens appelant à la violence sur le sol français ces derniers jours, raconte avoir grandi dans un climat hostile à la France. Et en revenir aujourd’hui.
Un regard clair aux couleurs de la Méditerranée, la mer de son enfance, en petite Kabylie. Une barbe taillée, un sourire doux, qui s’élargit pour saluer son interlocuteur. Une gravité dans la poignée de main. Chawki Benzehra, 33 ans, sort du commissariat, où il a déposé plainte contre les dernières menaces de mort reçues sur ses réseaux. Les messages haineux lui parviennent par milliers depuis que ses signalements sur X ont mené à l’interpellation de plusieurs influenceurs algériens, qui appelaient aux meurtres et à la violence sur le sol français. La dernière en date, jeudi, a visé une Algérienne installée à Lyon, signalée par le préfet du Rhône suite à un tweet, une fois encore, de Chawki Benzehra. Sur une vidéo TikTok traduite par le blogueur, celle-ci exhortait les internautes à «brûler la France».
En un mois, Chawki Benzehra, traducteur de métier, est passé de la casquette d’activiste à celle de «lanceur d’alerte». Fort de ses 340K abonnés Facebook, 323K sur Tiktok, 142k sur Youtube et 35K sur X, il fait mouche avec ses traductions des diatribes en dialecte arabe de «ZazouYoucef», «ImadTintin» ou encore «Doualemn». Depuis, la twittosphère et tiktoksphère algériennes se déchaînent contre lui.
Actif du Hirak
Chawki s’y attendait, mais accuse le coup. Il ne sort plus de chez lui sauf impératif, avec la voiture, et se fait livrer les courses. «Sur le plan personnel, ma vie est bouleversée», confie-t-il. Pourquoi a-t-il franchi ce pas ? Jusqu’à fin décembre, le blogueur ne tweetait qu’en arabe et orientait ses critiques sur la politique du président Tebboune. Mais des internautes sont venus le chercher, raconte-t-il. Ils lui ont signalé une vague de haine par des influenceurs vivant en France, appelant à commettre des attentats. Une vague de haine d’une rare envergure. «Comme personne ne peut s’exprimer au pays, la tâche revient à ceux qui sont à l’étranger», glisse-t-il en guise d’explication. Sans regret. Dans la chambre d’hôtel où nous le rencontrons, par mesure de sécurité, Chawki Benzehra parle abondamment. Il a tant à dire. Des engagements, des regrets parfois, des réflexions sur l’histoire de son pays, des attentes sur l’avenir.
Son goût de la contestation, ce natif de Jijel, en petite Kabylie, l’identifie d’abord comme héritage de cette région montagneuse au peuple fier, qui a boycotté l’élection de Tebboune en 2019. Durant son adolescence, sur l’ordinateur familial - luxe encore rare en Algérie, venu de son père, fonctionnaire à haut poste dans le district - il tombe sur un livre accessible en ligne. Bouteflika: une imposture algérienne, de Mohamed Benchicou, éveille son esprit critique. Un autre livre marque l’adolescent : la biographie de Messali Hadj, par Benjamin Stora. «Un professeur nous avait glissé ce nom, un jour, sur le bout des lèvres, disant qu’on parlait de lui comme le père du nationalisme. Mais il ne figurait dans aucun manuel scolaire. Je me suis renseigné. C’est comme cela qu’a commencé, petit à petit, ma remise en question».
Après une licence de langues à Constantine, il arrive en France en 2012 pour achever ses études. Tout en développant son activité de traducteur indépendant, il se lance dans le militantisme, effectue des allers-retours réguliers en Algérie pour participer à des manifestations anti-régime. Lorsque le Hirak, mouvement pour les droits civils, prend forme en 2019, il en est partie prenante. Aujourd’hui, son regard sur ce mouvement se fait plus critique. «L’idée du Hirak était de n’avoir aucune idéologie. À l’époque, je n’aimais pas qu’on dise l’inverse. Je vois bien aujourd’hui qu’il subissait l’influence islamiste, notamment avec ceux de Rachad, liés aux Frères musulmans».
Après que le mouvement fut étouffé à l’aune de l’arrivée du Covid-19, le jeune Algérien poursuit son activisme sur les réseaux sociaux, toujours plus virulent. Les choses se corsent lorsqu’il commence à traiter de la question du Sahara occidental. Quand Donald Trump reconnaît la souveraineté du Maroc fin 2020, l’influenceur suggère de tourner la page et mettre fin à ce gouffre financier que représente le Front Polisario. Crime suprême aux yeux d’Alger. La justice le condamne par contumace pour, entre autres chefs d’accusation, attroupements non armés et atteinte à l’intégrité territoriale. En décembre 2023, la France lui accorde le droit d’asile comme réfugié politique.
Rapport complexe avec la France
Avant d’être insulté, Chawki Benzehra a insulté, lui aussi. Dans plusieurs de ses tweets jusqu’en 2021, on retrouve de sévères critiques sur «l’influence de la France». Celui qui se voit aujourd’hui traité de «harki » (militaires algériens qui ont servi aux côtés de la France pendant la guerre d’Algérie, NDLR), ou de «sioniste», disait lui-même, jusqu’en 2021, tout son mépris pour les opposants au Hirak qu’il qualifiait de «nouveaux harkis». Ses propos ont frisé parfois le complotisme, à propos d’un «État profond français» qui financerait et contrôlerait l’armée algérienne. À cette évocation, Chawki ne nie pas. Il reconnaît une «démagogie» dans ces discours, «un côté populiste», sourit-il, légèrement gêné. «Si vous voulez toucher les manifestants du Hirak, vous allez sur ce terrain-là et vous êtes sûr de plaire. Dès lors que vous tapez sur la France, pro ou anti-régime, vous plaisez à tous».
Pourquoi avoir rejoint l’Hexagone en 2012, alors ? Le blogueur rit pour de bon. «Pour tout Algérien, le rapport avec la France est compliqué. Moi y compris. On pourrait appeler cela une schizophrénie collective». Et de rappeler son enfance, baignée dans un discours anti-français décomplexé. «On a tous grandi avec des livres d’histoire qui présentent la France comme l’ennemie et avancent toutes sortes de chiffres sur les “martyrs” de l’indépendance. Comme le fameux d’1,5 million de morts entre 1954 et 1962. Ça ne colle pas à la réalité».
Quelque part, le blogueur dit l’avoir toujours su. Petit, un séjour à l’hôpital de Constantine, le plus grand d’Algérie, l’avait marqué. «Construit par qui ? Par la France», glisse-t-il aujourd’hui d’un air entendu. Toujours à Constantine, durant ses études, il a pioché dans la bibliothèque du Centre culturel français des livres qu’il ne trouvait pas ailleurs. Plus tard, en France, il se plongera dans l’histoire contemporaine de son pays à travers Benjamin Stora, Mohamed Harbi, Charles-André Julien. Mais s’affranchir d’une pensée dans laquelle on a été bercé est une longue affaire. Celui qui affiche désormais le portrait de Boualem Sansal sur son profil X dit avoir longtemps été heurté par les propos de l’écrivain, détenu à Alger. «L’entendre dire que le mot Algérie venait de la France me blessait, c’était épidermique», confie-t-il. Sans préciser ce qui l’a fait basculer, l’Algérien se dit aujourd’hui admiratif de celui qu’il qualifie de «kamikaze» par son courage.
L’influenceur algérien Doualemn, expulsé jeudi, renvoyé en France par les autorités algériennes
Son activisme l’a mené à un grand isolement. Par sécurité, le Kabyle a coupé les liens avec ses parents, son frère et ses quatre sœurs. Refroidis par ses prises de position, ses amis se sont éloignés. Il contrôle ses moindres paroles, ce qu’il dit aux médias, sur ses réseaux, ce qu’il préfère taire. À ceux qui le taxeraient d’opportunisme en dénonçant ses concitoyens, Chawki hausse les épaules. «Sauf qu’aujourd’hui, je risque ma vie». C’est notamment pour éviter ce genre de reproche qu’il n’a pas demandé la nationalité française - et n’envisage pas de le faire à court terme. Pour lui, la menace a changé de nature depuis que la Grande Mosquée de Paris, qu’il a pointée pour son activisme pro-régime, a publié un communiqué, le 6 janvier, déplorant une «campagne calomnieuse intolérable» et le qualifiant d’«obscur blogueur».
D’autres encore lui ont reproché d’être de connivence avec l’extrême droite, après qu’il a salué la fermeté et le franc-parler de Sarah Knafo ou celui de Marion Maréchal vis-à-vis d’Alger. Lui se dit indifférent aux querelles politiques françaises. «Ce que je constate, c’est que ces derniers jours, l’arrestation des influenceurs n’est même pas évoquée par les politiques de gauche. N’est-ce pas leur faute, s’ils n’en parlent pas ? Surtout qu’on est sur une question de sécurité, non de politique. S’il y a un attentat, ça touchera tout le monde». À plusieurs reprises, le blogueur a pris à partie des députés insoumis, relevant ce qu’il considère des incohérences, comme Raphaël Arnault ou Rima Hassan, lorsque cette dernière parle de l’Algérie comme «La Mecque des révolutionnaires et de la Liberté». «Honte à vous», écrivait-il le 3 janvier, rappelant les nombreux prisonniers politiques détenus dans les geôles d’Alger.
Le journaliste en exil Abdou Semmar, rédacteur en chef du média Algérie Part, qui ne connaît Chawki Benzehra que de nom (traqués et menacés, les exilés politiques algériens évitent de communiquer entre eux et vivent chacun de leur côté, nous explique-t-il) estime pour sa part que le «lanceur d’alerte» a fait «un travail exceptionnel» en menant au coup de filet dans la sphère des prêcheurs de haine.
Du haut de ses 33 ans, Chawki Benzehra, lui, fustige la naïveté, mélange d’aveuglement et d’ignorance, des Français sur leur ancienne colonie. «Vous pensez qu’il y a un Zazou Youssef. Mais il y a des milliers de Zazou Youssef. C’est une réalité sociale». Une réalité aujourd’hui intrinsèquement liée au conflit israélo-palestinien. «Avez-vous réalisé la jubilation chez une grande partie des Algériens après le 7 octobre, sur le massacre ? Tout spécialement le viol des femmes. C’est ce qui réjouissait le plus. Je n’en ai vu aucune trace dans vos médias. Comme si vous n’aviez rien vu, rien perçu».
L’avenir le rend soucieux. La chape qui plane sur l’Algérie, prison à ciel ouvert, l’inquiète au plus haut point. Comme le calme qui précède l’orage. «Du temps de Bouteflika, cela sortait, manifestait. C’était sain, quelque part. Là, c’est le silence total. Et c’est mauvais signe…». Il redoute une «explosion». «Que les gens sortent, cassent tout, et que la révolte ne soit pas accompagnée». Avec de lourdes conséquences pour la France. «Nos problèmes sont les vôtres : ils sont sur le sol français !», souligne-t-il, relevant toutefois un signe d’espoir. Les premiers signalements qui lui ont été adressés au sujet des influenceurs sont venus, non pas de France... mais d’Algérie.
Par Elisabeth Pierson
PORTRAIT - Le blogueur kabyle, dont les signalements ont permis l’interpellation de plusieurs influenceurs algériens appelant à la violence sur le sol français ces derniers jours, raconte avoir grandi dans un climat hostile à la France. Et en revenir aujourd’hui.
Un regard clair aux couleurs de la Méditerranée, la mer de son enfance, en petite Kabylie. Une barbe taillée, un sourire doux, qui s’élargit pour saluer son interlocuteur. Une gravité dans la poignée de main. Chawki Benzehra, 33 ans, sort du commissariat, où il a déposé plainte contre les dernières menaces de mort reçues sur ses réseaux. Les messages haineux lui parviennent par milliers depuis que ses signalements sur X ont mené à l’interpellation de plusieurs influenceurs algériens, qui appelaient aux meurtres et à la violence sur le sol français. La dernière en date, jeudi, a visé une Algérienne installée à Lyon, signalée par le préfet du Rhône suite à un tweet, une fois encore, de Chawki Benzehra. Sur une vidéo TikTok traduite par le blogueur, celle-ci exhortait les internautes à «brûler la France».
En un mois, Chawki Benzehra, traducteur de métier, est passé de la casquette d’activiste à celle de «lanceur d’alerte». Fort de ses 340K abonnés Facebook, 323K sur Tiktok, 142k sur Youtube et 35K sur X, il fait mouche avec ses traductions des diatribes en dialecte arabe de «ZazouYoucef», «ImadTintin» ou encore «Doualemn». Depuis, la twittosphère et tiktoksphère algériennes se déchaînent contre lui.
Actif du Hirak
Chawki s’y attendait, mais accuse le coup. Il ne sort plus de chez lui sauf impératif, avec la voiture, et se fait livrer les courses. «Sur le plan personnel, ma vie est bouleversée», confie-t-il. Pourquoi a-t-il franchi ce pas ? Jusqu’à fin décembre, le blogueur ne tweetait qu’en arabe et orientait ses critiques sur la politique du président Tebboune. Mais des internautes sont venus le chercher, raconte-t-il. Ils lui ont signalé une vague de haine par des influenceurs vivant en France, appelant à commettre des attentats. Une vague de haine d’une rare envergure. «Comme personne ne peut s’exprimer au pays, la tâche revient à ceux qui sont à l’étranger», glisse-t-il en guise d’explication. Sans regret. Dans la chambre d’hôtel où nous le rencontrons, par mesure de sécurité, Chawki Benzehra parle abondamment. Il a tant à dire. Des engagements, des regrets parfois, des réflexions sur l’histoire de son pays, des attentes sur l’avenir.
Son goût de la contestation, ce natif de Jijel, en petite Kabylie, l’identifie d’abord comme héritage de cette région montagneuse au peuple fier, qui a boycotté l’élection de Tebboune en 2019. Durant son adolescence, sur l’ordinateur familial - luxe encore rare en Algérie, venu de son père, fonctionnaire à haut poste dans le district - il tombe sur un livre accessible en ligne. Bouteflika: une imposture algérienne, de Mohamed Benchicou, éveille son esprit critique. Un autre livre marque l’adolescent : la biographie de Messali Hadj, par Benjamin Stora. «Un professeur nous avait glissé ce nom, un jour, sur le bout des lèvres, disant qu’on parlait de lui comme le père du nationalisme. Mais il ne figurait dans aucun manuel scolaire. Je me suis renseigné. C’est comme cela qu’a commencé, petit à petit, ma remise en question».
Après une licence de langues à Constantine, il arrive en France en 2012 pour achever ses études. Tout en développant son activité de traducteur indépendant, il se lance dans le militantisme, effectue des allers-retours réguliers en Algérie pour participer à des manifestations anti-régime. Lorsque le Hirak, mouvement pour les droits civils, prend forme en 2019, il en est partie prenante. Aujourd’hui, son regard sur ce mouvement se fait plus critique. «L’idée du Hirak était de n’avoir aucune idéologie. À l’époque, je n’aimais pas qu’on dise l’inverse. Je vois bien aujourd’hui qu’il subissait l’influence islamiste, notamment avec ceux de Rachad, liés aux Frères musulmans».
Après que le mouvement fut étouffé à l’aune de l’arrivée du Covid-19, le jeune Algérien poursuit son activisme sur les réseaux sociaux, toujours plus virulent. Les choses se corsent lorsqu’il commence à traiter de la question du Sahara occidental. Quand Donald Trump reconnaît la souveraineté du Maroc fin 2020, l’influenceur suggère de tourner la page et mettre fin à ce gouffre financier que représente le Front Polisario. Crime suprême aux yeux d’Alger. La justice le condamne par contumace pour, entre autres chefs d’accusation, attroupements non armés et atteinte à l’intégrité territoriale. En décembre 2023, la France lui accorde le droit d’asile comme réfugié politique.
Rapport complexe avec la France
Avant d’être insulté, Chawki Benzehra a insulté, lui aussi. Dans plusieurs de ses tweets jusqu’en 2021, on retrouve de sévères critiques sur «l’influence de la France». Celui qui se voit aujourd’hui traité de «harki » (militaires algériens qui ont servi aux côtés de la France pendant la guerre d’Algérie, NDLR), ou de «sioniste», disait lui-même, jusqu’en 2021, tout son mépris pour les opposants au Hirak qu’il qualifiait de «nouveaux harkis». Ses propos ont frisé parfois le complotisme, à propos d’un «État profond français» qui financerait et contrôlerait l’armée algérienne. À cette évocation, Chawki ne nie pas. Il reconnaît une «démagogie» dans ces discours, «un côté populiste», sourit-il, légèrement gêné. «Si vous voulez toucher les manifestants du Hirak, vous allez sur ce terrain-là et vous êtes sûr de plaire. Dès lors que vous tapez sur la France, pro ou anti-régime, vous plaisez à tous».
Pourquoi avoir rejoint l’Hexagone en 2012, alors ? Le blogueur rit pour de bon. «Pour tout Algérien, le rapport avec la France est compliqué. Moi y compris. On pourrait appeler cela une schizophrénie collective». Et de rappeler son enfance, baignée dans un discours anti-français décomplexé. «On a tous grandi avec des livres d’histoire qui présentent la France comme l’ennemie et avancent toutes sortes de chiffres sur les “martyrs” de l’indépendance. Comme le fameux d’1,5 million de morts entre 1954 et 1962. Ça ne colle pas à la réalité».
Quelque part, le blogueur dit l’avoir toujours su. Petit, un séjour à l’hôpital de Constantine, le plus grand d’Algérie, l’avait marqué. «Construit par qui ? Par la France», glisse-t-il aujourd’hui d’un air entendu. Toujours à Constantine, durant ses études, il a pioché dans la bibliothèque du Centre culturel français des livres qu’il ne trouvait pas ailleurs. Plus tard, en France, il se plongera dans l’histoire contemporaine de son pays à travers Benjamin Stora, Mohamed Harbi, Charles-André Julien. Mais s’affranchir d’une pensée dans laquelle on a été bercé est une longue affaire. Celui qui affiche désormais le portrait de Boualem Sansal sur son profil X dit avoir longtemps été heurté par les propos de l’écrivain, détenu à Alger. «L’entendre dire que le mot Algérie venait de la France me blessait, c’était épidermique», confie-t-il. Sans préciser ce qui l’a fait basculer, l’Algérien se dit aujourd’hui admiratif de celui qu’il qualifie de «kamikaze» par son courage.
L’influenceur algérien Doualemn, expulsé jeudi, renvoyé en France par les autorités algériennes
Son activisme l’a mené à un grand isolement. Par sécurité, le Kabyle a coupé les liens avec ses parents, son frère et ses quatre sœurs. Refroidis par ses prises de position, ses amis se sont éloignés. Il contrôle ses moindres paroles, ce qu’il dit aux médias, sur ses réseaux, ce qu’il préfère taire. À ceux qui le taxeraient d’opportunisme en dénonçant ses concitoyens, Chawki hausse les épaules. «Sauf qu’aujourd’hui, je risque ma vie». C’est notamment pour éviter ce genre de reproche qu’il n’a pas demandé la nationalité française - et n’envisage pas de le faire à court terme. Pour lui, la menace a changé de nature depuis que la Grande Mosquée de Paris, qu’il a pointée pour son activisme pro-régime, a publié un communiqué, le 6 janvier, déplorant une «campagne calomnieuse intolérable» et le qualifiant d’«obscur blogueur».
D’autres encore lui ont reproché d’être de connivence avec l’extrême droite, après qu’il a salué la fermeté et le franc-parler de Sarah Knafo ou celui de Marion Maréchal vis-à-vis d’Alger. Lui se dit indifférent aux querelles politiques françaises. «Ce que je constate, c’est que ces derniers jours, l’arrestation des influenceurs n’est même pas évoquée par les politiques de gauche. N’est-ce pas leur faute, s’ils n’en parlent pas ? Surtout qu’on est sur une question de sécurité, non de politique. S’il y a un attentat, ça touchera tout le monde». À plusieurs reprises, le blogueur a pris à partie des députés insoumis, relevant ce qu’il considère des incohérences, comme Raphaël Arnault ou Rima Hassan, lorsque cette dernière parle de l’Algérie comme «La Mecque des révolutionnaires et de la Liberté». «Honte à vous», écrivait-il le 3 janvier, rappelant les nombreux prisonniers politiques détenus dans les geôles d’Alger.
Le journaliste en exil Abdou Semmar, rédacteur en chef du média Algérie Part, qui ne connaît Chawki Benzehra que de nom (traqués et menacés, les exilés politiques algériens évitent de communiquer entre eux et vivent chacun de leur côté, nous explique-t-il) estime pour sa part que le «lanceur d’alerte» a fait «un travail exceptionnel» en menant au coup de filet dans la sphère des prêcheurs de haine.
Du haut de ses 33 ans, Chawki Benzehra, lui, fustige la naïveté, mélange d’aveuglement et d’ignorance, des Français sur leur ancienne colonie. «Vous pensez qu’il y a un Zazou Youssef. Mais il y a des milliers de Zazou Youssef. C’est une réalité sociale». Une réalité aujourd’hui intrinsèquement liée au conflit israélo-palestinien. «Avez-vous réalisé la jubilation chez une grande partie des Algériens après le 7 octobre, sur le massacre ? Tout spécialement le viol des femmes. C’est ce qui réjouissait le plus. Je n’en ai vu aucune trace dans vos médias. Comme si vous n’aviez rien vu, rien perçu».
L’avenir le rend soucieux. La chape qui plane sur l’Algérie, prison à ciel ouvert, l’inquiète au plus haut point. Comme le calme qui précède l’orage. «Du temps de Bouteflika, cela sortait, manifestait. C’était sain, quelque part. Là, c’est le silence total. Et c’est mauvais signe…». Il redoute une «explosion». «Que les gens sortent, cassent tout, et que la révolte ne soit pas accompagnée». Avec de lourdes conséquences pour la France. «Nos problèmes sont les vôtres : ils sont sur le sol français !», souligne-t-il, relevant toutefois un signe d’espoir. Les premiers signalements qui lui ont été adressés au sujet des influenceurs sont venus, non pas de France... mais d’Algérie.
Par Elisabeth Pierson
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