Aylan Afir
Plus d'un siècle après sa construction en prévision de l'Exposition universelle de 1889, la tour Eiffel continue de faire parler d'elle. Et pas seulement comme un monument historique et touristique. À travers le fer avec lequel elle est construire, la tour Eiffel continue de faire l'objet d'une polémique parmi les Algériens. D'où vient donc le fer de la tour Eiffel ? Vient-il d'Algérie ou de l'est de la France ? Ce fer vient-il des mines de Zaccar ou de celles de Ludres ?
1. Qu'appelle-t-on le fer puddlé ?
2. Des milliers de tonnes de fer nécessaires pour réaliser la tour Eiffel
3. Les mines de Zaccar et Rouina ou la mine de Ludres ?
4. Gustave Eiffel a choisi le fer algérien pour sa pureté : vrai ou faux ?
5. Échange entre deux journalistes sur l'origine du fer de la tour Eiffel
6. Le fer de la tour Eiffel est-il algérien ou français ? Un historien s'en mêle
Décidément, la confiance entre Algériens et Français, ce n'est pas pour demain. Et le moindre sujet fait l'objet de discussion contradictoire et de suspicion. L'origine du fer utilisé par Gustave Eiffel pour construire sa tour au milieu de Paris fait partie des points de discorde entre commentateurs français et algériens ; au point où des historiens se sont mêlés au débat pour apporter leur expertise aux discussions sur la question.
Qu'appelle-t-on le fer puddlé ?
Que sait-on du fer qui a servi à la construction de la tour Eiffel ? L'on sait que c'est un fer puddlé, c'est-à-dire un fer qui a subi un traitement d'affinage qu'on appelle le puddlage[1]. Ce traitement permet de retirer l'excédent de carbone au moment de la fonte du minerai, comme l'explique le site web officiel de ce monument historique. Il permet donc d'obtenir un fer pratiquement pur, qui était le meilleur et le plus robuste des matériaux du point de vue de l'ingénieur qui donnera son nom à la tour ; Gustave Eiffel.
Un puddleur coulant le laitier hors du four de puddlage après avoir extrait les boules de fer (vers 1919)
Un puddleur coulant le laitier hors du four de puddlage après avoir extrait les boules de fer (vers 1919). Source : Library of Congress.
Mais le fer de la Tour Eiffel devait être protégé de la corrosion. Gustave Eiffel et ses collaborateurs – entre ingénieurs, architectes et techniciens – avaient décidé de recouvrir le fer d'une épaisse couche de peinture[2]. Cette couche devait être renouvelée tous les 7 ans, selon une recommandation de Gustave Eiffel. Il importe de signaler que cette recommandation est respectée à ce jour par ceux chargés de la gestion du monument parisien.
Des milliers de tonnes de fer nécessaires pour réaliser la tour Eiffel
Il faut dire que la tour Eiffel a « avalé » des milliers de tonnes de fer puddlé. Certains avancent 10'000 tonnes, d'autres 7'300 tonnes. Mais sur le site web de la Tour, il est dit que 6'300 tonnes de fer ont été nécessaires pour la réalisation du monument, qui attire, à ce jour, des millions de touristes chaque année. C'est que Gustave Eiffel connaissait bien le fer, pour avoir réalisé plusieurs ouvrages en utilisant ce matériau ; le viaduc de Maria Pia à Porto, le viaduc de Garabit, dans le centre est de la France, ou encore la passerelle Eiffel (Passerelle Saint-Jean) à Bordeaux.
Quand Gustave Eiffel a eu le projet de la Tour, il a lancé un avis d'appel d'offres en 1887, remporté par les forges Fould-Dupont de Pompey, en Meurthe-et-Moselle. Des forges situées à moins de 15 kilomètres au nord de Nancy, dans la région du Grand Est, actuellement. La société des hauts fourneaux, forges et aciéries de Pompey a fourni tout le fer nécessaire à la construction de la tour Eiffel et s'est également chargée du puddlage, indique l'un des écrits traitant du monument sur son site web.
Les mines de Zaccar et Rouina ou la mine de Ludres ?
Donc, pour le site web de la tour Eiffel, le fer utilisé dans la construction du monument historique ne vient pas d'Algérie[3]. Il ne vient pas des mines de Zaccar ou de Rouina, dans la wilaya de Aïn Defla, en Algérie. Le site donne même certains détails pour tenter de lever toute ambiguïté sur l'origine du fer de la tour Eiffel. Très exactement, 18'038 pièces de fer ont été produites par les forges Fould-Dupont pour le chantier, estime-t-il en rappelant que la plaque de signature des forges est apposée, à ce jour, sur un des piliers.
Et les forges de Pompey n'ont-elles pas importé le fer qu'elles avaient puddlé d'Algérie ? Ce n'est pas ce que dit le Musée de l'Histoire du fer de Jarville-la-Malgrange, tout près de Nancy, qui affirme que le fer avec lequel la tour Eiffel a été construite venait de la mine de Ludres, à un peu plus de 10 kilomètres au sud de la ville de Nancy. Mais ce n'est pas ce qui va arrêter les Algériens, notamment des journalistes, qui défendent l'idée que le fer de la tour Eiffel viendrait des mines de Zaccar et de Rouina.
Gustave Eiffel a choisi le fer algérien pour sa pureté : vrai ou faux ?
Il faut dire que le débat autour de cette question de l'origine du fer de la tour Eiffel intervient de façon épisodique. C'était le cas en août 2018, quand le site du média franco-algérien BeurFM a publié une information brève pour affirmer – sans laisser de place au doute – que « la Dame de Fer a un peu d'Algérie en elle ! » Mieux que cela, le site va jusqu'à affirmer que c'est Gustave Eiffel lui-même qui a choisi le fer de Zaccar et de Rouina pour sa pureté[4]. Rien que cela !
« Les mines de Zaccar se trouvent à Miliana, au nord de l'Algérie, celles de Rouina à quelques kilomètres de là. Gustave Eiffel avait à l'époque été ébloui par la pureté du fer de cette région », a en effet écrit le rédacteur de l'article, sans apporter de preuve ni citer une quelconque source ayant autorité dans le domaine. Le rédacteur fera même savoir dans son article que Gustave Eiffel avait offert une horloge montée sur une tour métallique à l'école du village d'El Abadia, à Aïn Defla. Bien entendu, ce n'est pas l'avis des Français, dont des journalistes, qui croient dur comme fer que le fer du monument historique n'est pas algérien.
Échange entre deux journalistes sur l'origine du fer de la tour Eiffel
Environ 3 années plus tard, un nouvel échange a eu lieu sur l'origine du fer de la tour Eiffel. Cela s'est fait entre janvier et mars 2021. Un des journalistes, un Algérien, avait, encore une fois, réclamé l'origine algérienne du fer de la tour construite par Gustave Eiffel. Mais cette fois, pour ce journaliste d'El Khabar, Mohamed Allel, le fer ne serait pas des mines de Zaccar et de Rouina, mais de celles de Ouenza, à Tebessa, dans l'Est algérien, à quelques encablures des frontières algéro-tunisiennes.
Le deuxième journaliste, du Figaro, ira vers les archives de son propre journal, du temps de la réalisation de la tour Eiffel – c'est-à-dire entre 1887 et 1889. Paul Sugy précisera que l'origine algérienne du fer de la tour Eiffel n'était pas invraisemblable[5], théoriquement, du moment qu'à la même époque, certains gisements de fer en Algérie commençaient à produire et à exporter vers la France. Mais les archives de son journal et une visite au Musée de l'Histoire du fer ont convaincu le journaliste en question que le fer de la « Dame de Fer » provenait effectivement des environs de Nancy[6], dans le Grand Est en France.
Le fer de la tour Eiffel est-il algérien ou français ? Un historien s'en mêle
Aussi, un historien algérien viendra se mêler du débat. Dans une déclaration à la chaîne Al Jazeera, Mohammed Salah Boukechour a remis en cause cette origine algérienne du fer de la tour Eiffel ; même si la France importait du fer algérien durant les années 1885/1889, il semblerait qu'il était plutôt destiné à d'autres projets – comme les chemins de fer.
Pour clore ce débat qui n'a pas lieu d'être à ses yeux, l'historien n'a ensuite pas manqué de rappeler que l'exploitation des mines de Zaccar et de Rouina n'a commencé qu'en 1904 et en 1906, respectivement. Donc, loin de la période de 1887/1889, qui a vu la réalisation de la tour Eiffel à Paris. En fait, à l'époque, il n'y avait qu'une seule entreprise spécialisée dans le forage minier et elle n'était pas autorisée à agir dans les régions de Zaccar et Rouina.
Mais les preuves historiques seront-elles suffisantes pour calmer un débat émotionnel ? Ou cette accusation cache-t-elle des rancœurs et des ressentiments inexprimés entre deux peuples désormais liés par l'histoire ? Qu'il soit originaire d'Algérie ou de France, le fer puddlé ayant servi à construire la tour Eiffel n'a certainement pas fini de faire parler de lui.
ObservAlgérie
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