Jeune homme lynché en Algérie : cinq minutes pour comprendre une affaire devenue politique
Le lynchage mortel de Djamel Ben Ismaïl, suspecté sans preuves d’avoir déclenché un feu de forêt, a provoqué l’émotion en Algérie. Les autorités algériennes assurent qu’une organisation classée comme terroriste est à l’origine du drame.
Le 18 août 2021
Alors qu’en Algérie, les équipes de la Protection civile sont parvenues ce mercredi à éteindre tous les feux qui ont ravagé le nord du pays et fait 90 morts, le public a les yeux rivés sur une affaire dans l’affaire : celle de la mort de Djamel Ben Ismaïl, un homme lynché à mort la semaine dernière après avoir été accusé, sans preuves, d’avoir été à l’origine d’un feu de forêt.
La polémique, née après la diffusion sur les réseaux sociaux d’images montrant le lynchage orchestré par une foule en colère, a pris une tournure politique ce mardi. Après plusieurs arrestations menées par la police algérienne, celle-ci assure qu’un mouvement indépendantiste kabyle, classé comme terroriste, est à l’origine du drame. Et serait aussi derrière les incendies mortels qui ont touché la région. Explications.
Que s’est-il passé ?
Alors que les flammes menacent encore de nombreux hectares de forêt, mercredi dernier, dans le village de Larbaa Nath Irathen, épicentre de l’incendie, près de Tizi Ouzou, en Kabylie, un homme est suspecté par des locaux d’avoir tenté d’allumer un feu. Apprenant ces soupçons, Djamel Ben Ismaïl se rend à la police. Mais il n’aura pas le temps de donner complètement sa version des faits.
Pendant que le fourgon de police le transportant au commissariat avance dans le village, une foule chauffée à blanc se masse autour de lui, et l’extirpe du véhicule après l’avoir frappé. L’homme est alors battu par la foule, puis immolé, tandis que des jeunes prennent des selfies devant son cadavre. Les images de sa mort ignoble font le tour des réseaux sociaux et suscitent l’indignation du public, déjà bouleversé par les pertes humaines et matérielles, ainsi que les carences des pouvoirs publics mises en lumière lors de ces incendies.
Qui était Djamel Ben Ismaïl ?
Djamel Ben Ismaïl, 38 ans, était un artiste originaire de la commune de Miliana, dans la région voisine d’Aïn Defla. Il s’était porté volontaire dans le village de Larbaa Nath Irathen pour aider à éteindre les incendies qui ont fait au moins 90 morts en moins d’une semaine. « Je suis arrivé hier (…). Je suis venu soutenir mes frères. Ils m’ont donné une leçon de solidarité, de courage et de force », a-t-il d’ailleurs raconté lors d’une interview accordée à la télévision locale, la veille de son lynchage.
Son père, Noureddine Ben Ismaïl, a plus tard confirmé le projet de son fils de partir en Kabylie pour éteindre les feux. Il a par ailleurs lancé un appel au calme. « Nous ne voulons pas de troubles (…) C’est votre frère et il est mort en martyr », a-t-il affirmé dans une déclaration filmée aux médias.
Qu’est-il advenu des responsables du lynchage ?
Selon la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN) algérienne, 61 suspects ont été arrêtés pour le lynchage de Djamel Ben Ismaïl, lors de deux séries d’interpellations de 36 puis 25 personnes dans plusieurs préfectures du pays. Ces suspects sont « impliqués à différents degrés dans l’homicide, l’immolation et la mutilation d’un cadavre, la destruction de biens et la violation d’un siège de police », précise la police dans un communiqué. Elle impute la mort de Djamel Ben Ismaïl à une organisation classée comme terroriste, qu’elle ne nomme pas directement, mais que certains titres algériens lient au MAK, un mouvement indépendantiste kabyle.
Pourquoi s’en serait-il pris au jeune homme ? Les autorités ne le disent pas, se contentant d’avancer que l’exploitation de son téléphone a permis aux enquêteurs de découvrir des « informations étonnantes sur les véritables mobiles du meurtre du jeune Djamel Bensmaïl, qui seront révélées par la justice ultérieurement en raison du secret de l’instruction », selon le communiqué cité par le média TSA.
Qu’est-ce que le MAK ?
Le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) est une organisation illégale en Algérie, basée à Paris. Sur son site, le mouvement se décrit comme « une organisation qui transcende tous les clivages politiques », dont l’unique objectif est « celui de la concrétisation du droit du peuple kabyle à édifier un Etat démocratique, social et laïque en faisant valoir son droit à l’autodétermination ».
Né dans le sillage du « Printemps kabyle » de 2001, un mouvement de contestation de la communauté berbérophone après la mort par balles d’un lycéen dans une gendarmerie de Beni Douala, le MAK est une des bêtes noires du régime qui l’accuse de visées « séparatistes ». En mai dernier, le MAK a d’ailleurs été classé par le gouvernement algérien comme une organisation terroriste, assurant qu’elle vise « à déstabiliser le pays et à porter atteinte à sa sécurité », notamment dans le contexte des élections législatives qui se sont tenues en juin.
Qui est à l’origine des feux de forêt ?
Le nom de Djamel Ben Ismaïl n’est pas celui privilégié par les autorités, pour lesquelles la majorité des incendies qui ont frappé la Kabylie sont d’origine « criminelle », sans toutefois que la preuve en ait été apportée jusqu’à présent. L’enquête sur la mort de Djamel Ben Ismaïl a permis de « découvrir qu’un réseau criminel, classé comme organisation terroriste » est derrière les incendies, « de l’aveu de ses membres arrêtés », assure la police. Là encore, le lien est fait avec le MAK.
Ces annonces ont suscité des questionnements, notamment au sein de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH). « Allons-nous vers un procès politique ? », s’est interrogée l’association. Et elle ajoute, par la voix de son vice-président, Saïd Salhi : « Seul un procès équitable est à même de révéler la vérité et rendre justice à Djamel »
leparisien
Le lynchage mortel de Djamel Ben Ismaïl, suspecté sans preuves d’avoir déclenché un feu de forêt, a provoqué l’émotion en Algérie. Les autorités algériennes assurent qu’une organisation classée comme terroriste est à l’origine du drame.
Le 18 août 2021
Alors qu’en Algérie, les équipes de la Protection civile sont parvenues ce mercredi à éteindre tous les feux qui ont ravagé le nord du pays et fait 90 morts, le public a les yeux rivés sur une affaire dans l’affaire : celle de la mort de Djamel Ben Ismaïl, un homme lynché à mort la semaine dernière après avoir été accusé, sans preuves, d’avoir été à l’origine d’un feu de forêt.
La polémique, née après la diffusion sur les réseaux sociaux d’images montrant le lynchage orchestré par une foule en colère, a pris une tournure politique ce mardi. Après plusieurs arrestations menées par la police algérienne, celle-ci assure qu’un mouvement indépendantiste kabyle, classé comme terroriste, est à l’origine du drame. Et serait aussi derrière les incendies mortels qui ont touché la région. Explications.
Que s’est-il passé ?
Alors que les flammes menacent encore de nombreux hectares de forêt, mercredi dernier, dans le village de Larbaa Nath Irathen, épicentre de l’incendie, près de Tizi Ouzou, en Kabylie, un homme est suspecté par des locaux d’avoir tenté d’allumer un feu. Apprenant ces soupçons, Djamel Ben Ismaïl se rend à la police. Mais il n’aura pas le temps de donner complètement sa version des faits.
Pendant que le fourgon de police le transportant au commissariat avance dans le village, une foule chauffée à blanc se masse autour de lui, et l’extirpe du véhicule après l’avoir frappé. L’homme est alors battu par la foule, puis immolé, tandis que des jeunes prennent des selfies devant son cadavre. Les images de sa mort ignoble font le tour des réseaux sociaux et suscitent l’indignation du public, déjà bouleversé par les pertes humaines et matérielles, ainsi que les carences des pouvoirs publics mises en lumière lors de ces incendies.
Qui était Djamel Ben Ismaïl ?
Djamel Ben Ismaïl, 38 ans, était un artiste originaire de la commune de Miliana, dans la région voisine d’Aïn Defla. Il s’était porté volontaire dans le village de Larbaa Nath Irathen pour aider à éteindre les incendies qui ont fait au moins 90 morts en moins d’une semaine. « Je suis arrivé hier (…). Je suis venu soutenir mes frères. Ils m’ont donné une leçon de solidarité, de courage et de force », a-t-il d’ailleurs raconté lors d’une interview accordée à la télévision locale, la veille de son lynchage.
Son père, Noureddine Ben Ismaïl, a plus tard confirmé le projet de son fils de partir en Kabylie pour éteindre les feux. Il a par ailleurs lancé un appel au calme. « Nous ne voulons pas de troubles (…) C’est votre frère et il est mort en martyr », a-t-il affirmé dans une déclaration filmée aux médias.
Qu’est-il advenu des responsables du lynchage ?
Selon la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN) algérienne, 61 suspects ont été arrêtés pour le lynchage de Djamel Ben Ismaïl, lors de deux séries d’interpellations de 36 puis 25 personnes dans plusieurs préfectures du pays. Ces suspects sont « impliqués à différents degrés dans l’homicide, l’immolation et la mutilation d’un cadavre, la destruction de biens et la violation d’un siège de police », précise la police dans un communiqué. Elle impute la mort de Djamel Ben Ismaïl à une organisation classée comme terroriste, qu’elle ne nomme pas directement, mais que certains titres algériens lient au MAK, un mouvement indépendantiste kabyle.
Pourquoi s’en serait-il pris au jeune homme ? Les autorités ne le disent pas, se contentant d’avancer que l’exploitation de son téléphone a permis aux enquêteurs de découvrir des « informations étonnantes sur les véritables mobiles du meurtre du jeune Djamel Bensmaïl, qui seront révélées par la justice ultérieurement en raison du secret de l’instruction », selon le communiqué cité par le média TSA.
Qu’est-ce que le MAK ?
Le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) est une organisation illégale en Algérie, basée à Paris. Sur son site, le mouvement se décrit comme « une organisation qui transcende tous les clivages politiques », dont l’unique objectif est « celui de la concrétisation du droit du peuple kabyle à édifier un Etat démocratique, social et laïque en faisant valoir son droit à l’autodétermination ».
Né dans le sillage du « Printemps kabyle » de 2001, un mouvement de contestation de la communauté berbérophone après la mort par balles d’un lycéen dans une gendarmerie de Beni Douala, le MAK est une des bêtes noires du régime qui l’accuse de visées « séparatistes ». En mai dernier, le MAK a d’ailleurs été classé par le gouvernement algérien comme une organisation terroriste, assurant qu’elle vise « à déstabiliser le pays et à porter atteinte à sa sécurité », notamment dans le contexte des élections législatives qui se sont tenues en juin.
Qui est à l’origine des feux de forêt ?
Le nom de Djamel Ben Ismaïl n’est pas celui privilégié par les autorités, pour lesquelles la majorité des incendies qui ont frappé la Kabylie sont d’origine « criminelle », sans toutefois que la preuve en ait été apportée jusqu’à présent. L’enquête sur la mort de Djamel Ben Ismaïl a permis de « découvrir qu’un réseau criminel, classé comme organisation terroriste » est derrière les incendies, « de l’aveu de ses membres arrêtés », assure la police. Là encore, le lien est fait avec le MAK.
Ces annonces ont suscité des questionnements, notamment au sein de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH). « Allons-nous vers un procès politique ? », s’est interrogée l’association. Et elle ajoute, par la voix de son vice-président, Saïd Salhi : « Seul un procès équitable est à même de révéler la vérité et rendre justice à Djamel »
leparisien
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