Discours de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur l'intensité des relations franco-algériennes, le refus du "choc des civilisations", la nécessité des réformes en Algérie et la coopération culturelle, notamment universitaire, entre la France et l'Algérie, Oran le le 4 mars 2003.
Intervenant(s) :
Circonstance : Voyage officiel de M. Jacques Chirac en Algérie du 2 au 4 mars 2003-visite à l'université d'Oran le 4 mars 2003
Mots-clés :
Prononcé le 4 mars 2003
Texte intégral
Monsieur le Président de la République,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Recteur de l'Université d'Es-Senia,
Mes chers amis,
Un mot d'abord, d'excuse, au nom du Président BOUTEFLIKA et en mon nom, pour le retard que nous avons enregistré. La vérité, que jusqu'à ce matin 11 heures, nous avions tenu parfaitement dans le temps imparti. Mais alors, à Oran, l'accueil a été si chaleureux, si extraordinaire, qu'on n'a pas pu ne pas saluer celles et ceux qui, très gentiment, nous recevaient et que tout cela, inévitablement, a pris plus de temps que prévu. Croyez bien que nous le regrettons, que nous vous présentons nos excuses et que, pour ce qui nous concerne, nous venons avec d'autant plus de plaisir vous saluer et parler un peu avec vous.
Tout d'abord, j'aimerais vous adresser un grand merci, Monsieur le Recteur Derbal. Merci, bien sûr, pour vos paroles de bienvenue tout empreintes de cette amitié algéro-française à laquelle vous-même apportez beaucoup. Merci d'avoir organisé cette rencontre dans la prestigieuse Université d'Es-Senia. Merci au corps professoral, aux enseignants, que je salue, présents aujourd'hui. Et merci naturellement aux étudiantes et aux étudiants qui sont venus nous écouter. S'adresser à vous, aux étudiants, aux jeunes filles, aux jeunes hommes, s'adresser à vous pour qui tout n'est qu'avenir et aventure, c'est un moment privilégié et, je dirais, enthousiasmant. Et singulièrement ici, en Algérie, pays en pleine jeunesse et qui, sous votre impulsion, Monsieur le Président de la République et très cher ami, a ouvert de vastes et profonds chantiers dont vous, étudiantes et étudiants, êtes d'ores et déjà les acteurs.
Je salue à cette occasion la superbe ville d'Oran, métropole méditerranéenne, si proche de l'Europe par son histoire, ville de brassages humains, dont chacun sait la place qu'elle occupe dans la littérature française, notamment grâce à l'oeuvre d'Albert Camus.
A travers vous, qui êtes à la fois la force et l'avenir de votre pays, c'est à toute la jeunesse d'Algérie que je voudrais m'adresser. Une jeunesse enthousiaste, dynamique, qui, je le sais, veut mettre sa générosité, sa capacité de création au service d'un monde meilleur, plus fraternel. Un monde en paix.
Mais aussi, comme dans toutes nos sociétés, quelles qu'elles soient, une jeunesse qui se pose mille questions, une jeunesse révoltée par l'injustice, incertaine de son avenir, traversée de doutes sur sa capacité à pouvoir s'épanouir librement.
Les doutes de cette jeunesse sont également les nôtres. Cet avenir, et c'est aujourd'hui le sens de ma visite en Algérie, nous avons l'ambition de le construire la main dans la main, Algériens et Français, réunis et solidaires.
Etudiantes et étudiants qui, ensemble, incarnez l'Algérie d'aujourd'hui, vous n'étiez pas nés lors de l'Indépendance de votre pays. 1962, pour vous, c'est déjà l'histoire, mais vous l'avez vécue à travers vos parents. Les préoccupations de votre génération, vos combats, vos aspirations s'inscrivent tout naturellement dans le sillage de ceux de vos aînés. Mais ils sont également différents, par la force des choses et du temps. Ce qui vous mobilise, c'est votre avenir, ce sont les défis qu'il vous faut relever. Ces défis, certains vous sont propres et d'autres nous sont communs. Certains sont liés à l'identité algérienne, d'autres mettent en jeu la construction du Maghreb, votre relation avec l'Europe ou encore vos aspirations à l'universalité de l'Homme et de ses valeurs.
Les Français ont, avec l'Algérie, une relation très particulière, complexe, je dirai charnelle. Peu de pays et de peuples entretiennent l'un pour l'autre des sentiments aussi forts. Cette relation porte, c'est vrai, l'empreinte de la conquête et des affrontements, mais elle se nourrit aussi d'influences pacifiques, de dialogue. Certes, les pages de l'Histoire écrites après 1830 resteront celles de la colonisation, de ses ambitions, de ses rêves, de ses rendez-vous manqués, de ses violences et de ses injustices, les pages aussi d'un conflit long, cruel, pour les Algériens comme pour les Français. Les passions se sont tues, mais il arrive encore que certaines cicatrices soient douloureuses. Il faut le savoir, en tenir compte et le respecter.
Cette histoire a tissé des liens passionnants entre l'Algérie et la France, passionnants et passionnels. Deux pays unis à la fois par une fascination, une affection, le mot n'est pas trop fort, mais aussi, sûrement, une admiration réciproques. On pourrait en porter maints témoignages. Ensemble, nous devons penser à toutes celles et à tous ceux qui ont souffert, et ne pas chercher à taire ni à occulter les pages les plus sombres de cette relation. Ce travail de mémoire, nous avons choisi de le faire, avec lucidité, avec sérénité, car c'est en le menant à bien que nous construirons l'avenir sur des fondations solides.
Pendant cette période, la présence en Algérie d'une communauté originaire de France et des pays riverains de la Méditerranée a permis, par-delà les drames inhérents à toute conquête, beaucoup d'enrichissements mutuels. Et n'oublions jamais que c'est dans la totalité de ses mémoires qu'une Nation se construit. C'est le cas de l'Algérie comme de la France. L'Algérie est arabe et berbère, elle a été aussi numide, romaine, vandale, byzantine, ottomane, française. Tout comme la France a été celte, romaine, germanique, anglaise, espagnole ou italienne dans certaines de ses plus grandes provinces, avant d'être ce pays jaloux de sa culture, qui assume fièrement la précieuse diversité de ses origines et qui continue aujourd'hui encore de s'enrichir d'apports nouveaux, venus en particulier du Maghreb. Un pays conscient de ce que, loin de le dissoudre, la richesse des héritages forge et fait fructifier le sentiment national, ouvre le coeur et l'esprit à la réflexion, à la tolérance, à la connaissance.
Et je veux rendre ici un hommage particulier à ces nombreux jeunes d'origine algérienne qui tracent leur chemin au sein de notre société. Ils nous apportent, avec des centaines de milliers de vos compatriotes qui vivent en France, et à qui je souhaite rendre hommage, leur dynamisme et leur énergie chaleureuse. Devant vous, je veux saluer les très belles réussites, les magnifiques parcours individuels de beaucoup d'enfants de l'immigration algérienne, devenus Français et dont nous sommes fiers, comme nous le sommes de toutes celles et de tous ceux qui ont choisi d'entrer dans notre communauté nationale.
Aujourd'hui, dans cette belle ville d'Oran, héritière d'une longue tradition d'ouverture, je suis venu vous parler des enjeux de notre monde mais, aussi, je suis venu vous parler de notre avenir commun. Vous dire la foi que nous, Français, avons en l'Algérie. Et vous présenter les grandes lignes de ce partenariat que le Président Abdelaziz Bouteflika et moi-même souhaitons relancer entre nos deux pays. Un avenir, un partenariat qui se feront avec et pour la jeunesse, ici comme en France.
Le monde est aujourd'hui menacé d'une terrible cassure. Après la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide, nous avons pu croire à l'avènement d'un univers plus calme, moins belliqueux. Avec la tragédie du 11 septembre 2001, une certaine vision du nouveau millénaire s'est effondrée. Mais pas l'espoir. C'est le sens de l'engagement de la France. Nous refusons toute fatalité. Nous récusons, d'où qu'ils viennent, les tenants d'un choc des civilisations qui serait inéluctable, ceux qui voudraient qu'aux guerres entre nations, qu'à la confrontation des idéologies, succèdent maintenant les oppositions irréductibles entre cultures et entre religions. Tout particulièrement entre l'Islam et le Christianisme, entre l'Occident et le reste du monde. Ce n'est pas la vision de la France. Ce n'est ni sa culture, ni sa tradition.
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