Berriane : l'avènement des Mamelouks civils
par Kamel Daoud
Que se passe-t-il à Berriane, capitale de Ghardaïa ? Un 05 octobre miniaturisé selon les uns. Un 19 juin indirect selon les autres. Un début de mandat 99. Un janvier 92. On peut tout dire aujourd'hui sur les violences de Berriane et surtout dire qu'elles sont presque inconcevables. Il n'y manque que la jungle et la machette si l'on prend en compte l'incroyable absence de l'Etat, les actes et les hurlements. L'Etat y est-il vraiment absent ? Non. Il est là et là-bas mais comme tout le monde, il regarde en regardant passer le temps. Nulle part ailleurs dans ce pays on a eu droit à un tel spectacle à la nitroglycérine : des encagoulés avec des machettes fracassant les portes pour de véritables pogromes ou épurations discrètes. Comment en est-on arrivé à ce point où des disputes de quartiers se transforment en guerre de rîtes, batailles de confessions, chasses ethniques et découpages territoriaux par la généalogie et la tribu ? La réponse est simple : cela arrive dans les histoires des pays qui n'ont plus d'Etat. L'Etat algérien a beau aujourd'hui être riche, avec des polices, un Président et un drapeau, tout le monde sait qu'il n'existe pas. Et les plus délinquants en premier car devinant à l'intuition le moment exact où un Etat se rétracte vers ses Palais et les polices vers leurs traiteurs. Cela vous donne les royaumes des Mamelouks, les époques des sectes, celles des messies, des bandits d'honneur et des massacres « pour le bien de tous ». Un Etat arrête d'exister au moment exact où il ne sait pas quoi faire mais évite de se l'avouer et se met soit à payer, soit à frapper. C'est le cas de l'Algérie d'aujourd'hui qui, paradoxalement avant d'exister, c'est-à-dire avant 62, savait mieux ce qu'elle voulait. Basiquement, cela explique souvent le reste : le nombre des émeutes en augmentation, l'immoralisme des fonctionnaires, le vol, le délitement éthique et le ridicule international, sans parler de l'absurde en économie. L'Etat algérien est aujourd'hui tellement faible qu'il en est devenu une menace pour le pays, mais ceci personne ne veut le dire. On le voit au spectacle de la Présidence occupée par les mystères des fins dernières, les hésitations des polices, la lâcheté des chefs locaux, élus ou désignés et la perte du sens et du sens interdit. On comprendra alors pourquoi une commune banalisée comme Berriane puisse succomber à des purifications et des violences habillées par des idées qui datent de quelques siècles et pourquoi l'ordre y a les apparences d'un homme qui ne sait que faire, qui laisse faire et qui n'a rien à faire que de regarder les choses pourrir. Berriane annonce un gros mauvais temps; la violence n'est plus sous le contrôle de l'Etat, c'est le contraire. Et cela devrait faire peur et interpeller les derniers survivants car il est déjà proche ce jour où on va tuer des passants coupables d'ablutions légèrement différentes.
par Kamel Daoud
Que se passe-t-il à Berriane, capitale de Ghardaïa ? Un 05 octobre miniaturisé selon les uns. Un 19 juin indirect selon les autres. Un début de mandat 99. Un janvier 92. On peut tout dire aujourd'hui sur les violences de Berriane et surtout dire qu'elles sont presque inconcevables. Il n'y manque que la jungle et la machette si l'on prend en compte l'incroyable absence de l'Etat, les actes et les hurlements. L'Etat y est-il vraiment absent ? Non. Il est là et là-bas mais comme tout le monde, il regarde en regardant passer le temps. Nulle part ailleurs dans ce pays on a eu droit à un tel spectacle à la nitroglycérine : des encagoulés avec des machettes fracassant les portes pour de véritables pogromes ou épurations discrètes. Comment en est-on arrivé à ce point où des disputes de quartiers se transforment en guerre de rîtes, batailles de confessions, chasses ethniques et découpages territoriaux par la généalogie et la tribu ? La réponse est simple : cela arrive dans les histoires des pays qui n'ont plus d'Etat. L'Etat algérien a beau aujourd'hui être riche, avec des polices, un Président et un drapeau, tout le monde sait qu'il n'existe pas. Et les plus délinquants en premier car devinant à l'intuition le moment exact où un Etat se rétracte vers ses Palais et les polices vers leurs traiteurs. Cela vous donne les royaumes des Mamelouks, les époques des sectes, celles des messies, des bandits d'honneur et des massacres « pour le bien de tous ». Un Etat arrête d'exister au moment exact où il ne sait pas quoi faire mais évite de se l'avouer et se met soit à payer, soit à frapper. C'est le cas de l'Algérie d'aujourd'hui qui, paradoxalement avant d'exister, c'est-à-dire avant 62, savait mieux ce qu'elle voulait. Basiquement, cela explique souvent le reste : le nombre des émeutes en augmentation, l'immoralisme des fonctionnaires, le vol, le délitement éthique et le ridicule international, sans parler de l'absurde en économie. L'Etat algérien est aujourd'hui tellement faible qu'il en est devenu une menace pour le pays, mais ceci personne ne veut le dire. On le voit au spectacle de la Présidence occupée par les mystères des fins dernières, les hésitations des polices, la lâcheté des chefs locaux, élus ou désignés et la perte du sens et du sens interdit. On comprendra alors pourquoi une commune banalisée comme Berriane puisse succomber à des purifications et des violences habillées par des idées qui datent de quelques siècles et pourquoi l'ordre y a les apparences d'un homme qui ne sait que faire, qui laisse faire et qui n'a rien à faire que de regarder les choses pourrir. Berriane annonce un gros mauvais temps; la violence n'est plus sous le contrôle de l'Etat, c'est le contraire. Et cela devrait faire peur et interpeller les derniers survivants car il est déjà proche ce jour où on va tuer des passants coupables d'ablutions légèrement différentes.
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