Pour l’administration territoriale, il s’agit d’une opération de « régularisation et de mise en conformité ». Les fermetures administratives pleuvent et un texte de loi datant d’avril 1975 est convoqué pour les besoins de la légitimation de cette campagne.
Un lendemain de cuite qui s’éternise à la Grande Brasserie de Bab El Oued. Le très populaire bistrot des Trois Horloges, après un week-end pas plus arrosé que d’habitude, allait voir en cette matinée du samedi 8 mai 2007 son temps se figer. Il est 10h passées, quelques dizaines de bières ont déjà été sifflées par les éternels viciés au comptoir. Le tic-tac timide de la vieille horloge s’évanouit brusquement quand débarqua dans le bar un car de police de la sûreté de Bab El Oued. Les policiers, munis d’un arrêté de fermeture signé par le wali d’Alger font jeter clients, personnel et le patron dehors et scellent les lieux. De ce mauvais jour, Mohamed Bouchenab, le patron inconsolable de la Grand’brasse en parle comme si le monde s’était écroulé. Une vie de plus de 70 ans que brise en un rien de temps des scellés apposés par des fonctionnaires qu’il qualifie de « zélés et de militants ». Ils sont venus, raconte-t-il, sans prévenir, nous mettre à la porte. Vulgairement. Comme des malpropres. Sans autre motif que la non-conformité de la licence d’exploitation avec l’activité exercée, décidée du jour au lendemain. Sommé après notification de la décision de fermeture de se conformer à la « nouvelle législation », il dépose, dit-il, quelques semaines après, un dossier de régularisation à la daïra de BEO. Un an s’est écoulé depuis : aucune réponse. Avec l’aide d’un avocat, il tentera d’obtenir la mainlevée. Mais même la justice n’a pu trancher. « A la daïra, c’est le no man’s land : tu ne sais pas à qui tu as à faire ; personne n’est là pour te recevoir, t’informer, encore moins t’aider. Quand on se fait insistant, on a droit au refrain de la "nébuleuse commission de sécurité qui n’a pas encore rendu son verdict". » Depuis une année, la Grand’brasse, rustique bar restaurant de 600 m2, classé 2 étoiles, parfaitement conservé par ses propriétaires, ressemble plus à un bateau fantôme qu’à un bateau ivre. Aux bas des pages du Livre d’or traînent presque inutilement quelques belles et célèbres signatures. Des personnalités du monde politique, des affaires, de l’art : Roger Hanin, Guerrouabi et d’autres qui comme Abdelaziz Bouteflika ont été les hôtes mémorables du bistrot. Mais les temps ont changé : les vents de conservatisme et les campagnes de moralisation publique ont asséché les faubourgs autrefois brassés et tolérants de Bab El Oued. 78 bars ont été fermés en 2006, selon le directeur commercial du groupe Castel. 2000 points de vente ont subi le même sort sur tout le territoire national. Tout ce que le FIS n’a pas osé (ou pu) faire du temps de son hégémonie sur les bas quartiers. « Et dire que durant les années 1980, la wilaya m’a ordonné de servir l’alcool à la clientèle étrangère en plein Ramadhan », dit en soupirant le patron. Accompagné de son fils et de vieux amis, il nous fait faire compendieusement la visite des lieux. Trop de choses à dire pour cette âme perturbée par le vide sidéral que dégage la salle de billard. Il ne se laisse pas attendrir pour autant : « Ce sont, dit-il, les islamistes du MSP très puissants au niveau de la circonscription administrative de Bab El Oued qui ont commandité toutes les fermetures. » « Ce sont eux qui nous ont dépossédé de nos biens », l’interrompt son ami de toujours âmmi Saïd, dit Al Mancho. Ancien maquisard, estropié des mains pendant la guerre d’indépendance, Al Mancho est fait lui aussi patron malheureux de son propre bien : le bar La Cigogne, situé quatre rues plus loin, au Kitani. La Cigogne a exhalé ses derniers effluves le 27 mars de l’année dernière. « Ils ont voulu mettre fin à 42 ans de métier. Et je ne sais rien faire d’autre. La daïra m’a demandé de changer d’activité, mais moi, je ne sais rien faire d’autre : le bar, c’est toute ma vie », raconte Al Mancho. Sa licence d’ancien moudjahid, qui lui a valu dès 1965 autorisation d’exploitation de débit de boissons catégorie 2, est arrivée « à péremption ». La wilaya d’Alger lui exige désormais la grande licence restaurant (licence de 4e catégorie) pour maintenir l’activité de son bar-restaurant. « C’est la nouvelle législation », lui objecte-t-on à chaque fois. Nouvelle ? Pas tout à fait. Celle-ci date en réalité de plus de 33 ans. Le décret exécutif d’avril 1975 relatif à la réglementation administrative des débits de boissons est en effet toujours en vigueur. Pour l’administration territoriale, il s’agit d’une opération de « régularisation et de mise en conformité » décidée par les pouvoirs publics. Cette opération est rendue « nécessaire », selon un ancien haut cadre à la wilaya d’Alger, par le désordre caractérisant la gestion de ces établissements et par le souci de maintenir « l’ordre public ». « Il est vrai, dit-il, que le politique n’est pas totalement étranger à ces opérations, mais elles sont dictées d’abord par le souci de maintenir l’ordre et la quiétude publics. Les rixes, les crimes, le tapage nocturne, la prostitution, la circulation de drogues à l’intérieur et aux abords des dancings, des bars, des cabarets etc. ont amené les pouvoirs publics, sous la pression du mécontentement citoyen, à remettre de l’ordre dans la filière. Les nombreuses boîtes de nuit incendiées en 2002 à Bordj El Kiffan (Alger) et même à Sidi Fredj en sont la parfaite illustration. » M. Aït Saïd, le wali délégué de Bab El Oued, dont le cabinet est décrié par les patrons touchés par les fermetures et soupçonné de collusion avec le MSP, récuse toute arrière-pensée politique. « Nous sommes des commis de l’Etat. Nous ne faisons pas de politique : nous appliquons la loi », s’écrie-t-il. Selon le wali délégué, les fermetures administratives ont été décidées après « étude minutieuse des dossiers des concernés » et dans le « respect total de la réglementation ». Dans de nombreux cas, les fermetures durent depuis plus d’une année, ce qui est contraire à la loi en vigueur.
Un lendemain de cuite qui s’éternise à la Grande Brasserie de Bab El Oued. Le très populaire bistrot des Trois Horloges, après un week-end pas plus arrosé que d’habitude, allait voir en cette matinée du samedi 8 mai 2007 son temps se figer. Il est 10h passées, quelques dizaines de bières ont déjà été sifflées par les éternels viciés au comptoir. Le tic-tac timide de la vieille horloge s’évanouit brusquement quand débarqua dans le bar un car de police de la sûreté de Bab El Oued. Les policiers, munis d’un arrêté de fermeture signé par le wali d’Alger font jeter clients, personnel et le patron dehors et scellent les lieux. De ce mauvais jour, Mohamed Bouchenab, le patron inconsolable de la Grand’brasse en parle comme si le monde s’était écroulé. Une vie de plus de 70 ans que brise en un rien de temps des scellés apposés par des fonctionnaires qu’il qualifie de « zélés et de militants ». Ils sont venus, raconte-t-il, sans prévenir, nous mettre à la porte. Vulgairement. Comme des malpropres. Sans autre motif que la non-conformité de la licence d’exploitation avec l’activité exercée, décidée du jour au lendemain. Sommé après notification de la décision de fermeture de se conformer à la « nouvelle législation », il dépose, dit-il, quelques semaines après, un dossier de régularisation à la daïra de BEO. Un an s’est écoulé depuis : aucune réponse. Avec l’aide d’un avocat, il tentera d’obtenir la mainlevée. Mais même la justice n’a pu trancher. « A la daïra, c’est le no man’s land : tu ne sais pas à qui tu as à faire ; personne n’est là pour te recevoir, t’informer, encore moins t’aider. Quand on se fait insistant, on a droit au refrain de la "nébuleuse commission de sécurité qui n’a pas encore rendu son verdict". » Depuis une année, la Grand’brasse, rustique bar restaurant de 600 m2, classé 2 étoiles, parfaitement conservé par ses propriétaires, ressemble plus à un bateau fantôme qu’à un bateau ivre. Aux bas des pages du Livre d’or traînent presque inutilement quelques belles et célèbres signatures. Des personnalités du monde politique, des affaires, de l’art : Roger Hanin, Guerrouabi et d’autres qui comme Abdelaziz Bouteflika ont été les hôtes mémorables du bistrot. Mais les temps ont changé : les vents de conservatisme et les campagnes de moralisation publique ont asséché les faubourgs autrefois brassés et tolérants de Bab El Oued. 78 bars ont été fermés en 2006, selon le directeur commercial du groupe Castel. 2000 points de vente ont subi le même sort sur tout le territoire national. Tout ce que le FIS n’a pas osé (ou pu) faire du temps de son hégémonie sur les bas quartiers. « Et dire que durant les années 1980, la wilaya m’a ordonné de servir l’alcool à la clientèle étrangère en plein Ramadhan », dit en soupirant le patron. Accompagné de son fils et de vieux amis, il nous fait faire compendieusement la visite des lieux. Trop de choses à dire pour cette âme perturbée par le vide sidéral que dégage la salle de billard. Il ne se laisse pas attendrir pour autant : « Ce sont, dit-il, les islamistes du MSP très puissants au niveau de la circonscription administrative de Bab El Oued qui ont commandité toutes les fermetures. » « Ce sont eux qui nous ont dépossédé de nos biens », l’interrompt son ami de toujours âmmi Saïd, dit Al Mancho. Ancien maquisard, estropié des mains pendant la guerre d’indépendance, Al Mancho est fait lui aussi patron malheureux de son propre bien : le bar La Cigogne, situé quatre rues plus loin, au Kitani. La Cigogne a exhalé ses derniers effluves le 27 mars de l’année dernière. « Ils ont voulu mettre fin à 42 ans de métier. Et je ne sais rien faire d’autre. La daïra m’a demandé de changer d’activité, mais moi, je ne sais rien faire d’autre : le bar, c’est toute ma vie », raconte Al Mancho. Sa licence d’ancien moudjahid, qui lui a valu dès 1965 autorisation d’exploitation de débit de boissons catégorie 2, est arrivée « à péremption ». La wilaya d’Alger lui exige désormais la grande licence restaurant (licence de 4e catégorie) pour maintenir l’activité de son bar-restaurant. « C’est la nouvelle législation », lui objecte-t-on à chaque fois. Nouvelle ? Pas tout à fait. Celle-ci date en réalité de plus de 33 ans. Le décret exécutif d’avril 1975 relatif à la réglementation administrative des débits de boissons est en effet toujours en vigueur. Pour l’administration territoriale, il s’agit d’une opération de « régularisation et de mise en conformité » décidée par les pouvoirs publics. Cette opération est rendue « nécessaire », selon un ancien haut cadre à la wilaya d’Alger, par le désordre caractérisant la gestion de ces établissements et par le souci de maintenir « l’ordre public ». « Il est vrai, dit-il, que le politique n’est pas totalement étranger à ces opérations, mais elles sont dictées d’abord par le souci de maintenir l’ordre et la quiétude publics. Les rixes, les crimes, le tapage nocturne, la prostitution, la circulation de drogues à l’intérieur et aux abords des dancings, des bars, des cabarets etc. ont amené les pouvoirs publics, sous la pression du mécontentement citoyen, à remettre de l’ordre dans la filière. Les nombreuses boîtes de nuit incendiées en 2002 à Bordj El Kiffan (Alger) et même à Sidi Fredj en sont la parfaite illustration. » M. Aït Saïd, le wali délégué de Bab El Oued, dont le cabinet est décrié par les patrons touchés par les fermetures et soupçonné de collusion avec le MSP, récuse toute arrière-pensée politique. « Nous sommes des commis de l’Etat. Nous ne faisons pas de politique : nous appliquons la loi », s’écrie-t-il. Selon le wali délégué, les fermetures administratives ont été décidées après « étude minutieuse des dossiers des concernés » et dans le « respect total de la réglementation ». Dans de nombreux cas, les fermetures durent depuis plus d’une année, ce qui est contraire à la loi en vigueur.
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