Comment le soulèvement populaire du 22 février 2019 a-t-il pu échouer ? L’écrivain tente de comprendre en revisitant l’année écoulée.
Vingt-trois décembre 2019. Près du Palais du peuple à Alger, les télévisions du pays insistent sur le défilé de milliers d’Algériens dans les rues. Pour une fois, la foule ne « marche » pas contre un régime mais pour jeter un « dernier regard » sur la dépouille du général Gaïd Salah, mort il y a quelques jours. Effet de loupe sur les sanglots et les hommages au « Sauveur », oraisons, salut militaire maladroitement imité par des civils en pleurs, poésie patriotique et serments de fidélité. La mort inattendue du général est montrée comme une émotion nationale, sincère souvent, que le régime a su faire fructifier face à une opposition de rue, tenace mais dont la légitimité s’érode faute de lucidité politique.
Cette armée algérienne reste un mythe fondateur en Algérie avec une mystique de protection, de propriété, d’arbitre ultime. Née avant le pays avec la guerre d’indépendance, elle convoque souvent ce droit d’aînesse malgré les contestations. En octobre 1988, elle n’avait pas hésité à tirer sur la foule, faisant des centaines de morts. En 1992, elle annule des élections et s’engage dans une guerre civile avec des centaines de milliers de morts. En 2019, elle s’en est sortie avec le prestige dopé d’une gardienne de la République, saluée par une partie de la population.
«L’armée a accompagné le soulèvement sans faire couler une seule goutte de sang » a été l’argument répété des jours durant, avec fierté, par ceux qui comparent légitimement les printemps arabes et leurs crashs.
Un constat difficilement contestable, mais à usage biaisé. ■
Du coup, l’enterrement du général offre, en climax de dix mois de tension, l’émotion manquante pour souder un nouveau consensus politique qui, après la présidentielle du 12 décembre, veut contourner la contestation.
Mais comment est-on arrivé à cette victoire par les images sur une révolution miraculeuse? Pour faire basculer l’opinion en sa faveur, réussir un enterrement digne d’un chef d’État pour son général suprême – que les généraux (emprisonnés, exilés ou décédés) des années 1990 doivent jalouser –, le nouveau régime a dû travailler au corps l’opinion et la contestation, s’offrant même les artifices d’une nouvelle épopée messianique. Quelques clés pour mieux comprendre.
La décolonisation réinventée
Étrange atmosphère algérienne depuis des mois : la propagande du régime, mais autant la férocité des réseaux sociaux, et une partie de la population sensible à la théorie du complot et au souvenir puissamment entretenu de la colonisation, ont imposé la réalité virtuelle d’une vraie guerre imaginaire contre la France. Généraux filmés scrutant les frontières avec des jumelles, arrestations d’« agents » supposés, intox sur un complot international et la « main étrangère », films, trolls, procès et diffamations, tout est bon pour faire revivre l’épopée sclérosée de la guerre d’indépendance contre l’ex-puissance coloniale.
Surprenant spectacle pour celui qui ne connaît pas la primauté de la mémoire sur le réel en Algérie, les banderoles antifrançaises fleurissent partout. Autant que les tags qui dénoncent la mainmise de la colonisation sur les richesses locales qui pourtant ont largement profité à des pays tiers comme la Chine, cliente des Bouteflika. Dans la fougue de cette guerre de libération fantasmée, on efface même les enseignes en français sur les devantures, on impose l’arabe et l’anglais, les logos des chaînes de télévision ne s’affichent plus en français et le «grand remplacement linguistique » du français par l’anglais est annoncé par l’un des candidats, Bengrina (islamiste), comme priorité de sa première semaine après la victoire.
Ce n’est pas seulement un argument de campagne repris par tous après la décision du ministre de l’Enseignement supérieur de lancer une croisade contre le français comme langue d’impuissance selon lui, mais un véritable délire collectif. Le nouveau président, Abdelmadjid Tebboune, n’a pas échappé aux critiques virulentes lorsqu’on le surprit à parler en français lors de sa première sortie publique. Dans le jeu de ce remake fou, la France est accusée de tous les maux : complicité avec l’ancien régime des Bouteflika, prédation du gaz « gratuit », barbouzeries, entreprises d’effacement de l’identité nationale, contrôle des écoles pour détruire l’âme algérienne… L’ambassade de France a dépensé beaucoup de son temps à démentir les infox, mais elles sont intarissables.
Les journaux islamistes, comme Echourouk, publient quotidiennement un article sur la « dé-francisation de l’école » qui, elle, n’enseigne qu’en arabe depuis vingt ans ! A huis clos, loin des comptes rendus « clubbing » des médias étrangers, le pays vit un remake fantasmé de la guerre de libération et mène bataille contre une France zombie. Le pays d’en face, fantôme mémoriel, parti depuis si longtemps, laisse un vide de casting et qu’on investit de toutes les fables paranoïaques. Ce délire, même bouffon, laisse deviner cependant l’essentiel : l’Algérie ne sait vivre une union sacrée, une émotion vive, que dans l’adversité, l’épopée de la guerre de libération.
La guerre a été son moment historique de ferveur et le seul moyen de redevenir uni, c’est de refaire la guerre et donc de la refaire à la France. L’Hexagone est le pays qui incarne, pour son malheur, l’Autre pour les Algériens et leur lien difficile et tourmenté à l’altérité. Guérir ce lien équivaut à soigner le rapport avec le reste du monde mais on ne le veut pas. Car que faire si on ne refait pas la guerre ?
Le 28 novembre 2019, cette guerre chimérique a pris des accents de fièvre nationale avec le vote symbolique d’une résolution du Parlement de l’Union européenne condamnant les atteintes aux libertés en Algérie. Ce fut même une aubaine pour le régime et les conservateurs qui déclenchèrent, immédiatement, une véritable campagne contre le « complot occidental ». On vit défiler dans le pays profond des milliers de personnes contre la…France et son « protectorat », dénonçant Emmanuel Macron et la France, la néocolonisation, l’invasion imminente… Les échanges sur les réseaux, faute de sérénité pour débattre, se font désormais sur le mode binaire: vous êtes un « rejeton de la France » ou l’« enfant d’Ibn Badis », un théologien au patriotisme pourtant tiède de l’époque coloniale et qui aujourd’hui, longtemps après sa mort, se retrouve investi de la paternité rétrospective de la guerre de libération du 1er novembre 1954. « Novembriste badissiste » (en référence à novembre et au théologien) est devenu le sigle informel d’une partie des élites arabophones, conservatrices, islamistes.
Le révisionnisme islamiste du récit de la décolonisation avait été entamé il y a des années, mais il trouvera là son triomphe : désormais, la décolonisation est présentée comme un djihad, une guerre sainte, pas une guerre laïque.
L’Algérie ne sait vivre une union sacrée, une émotion vive, que dans l’adversité, l’épopée de la guerre de libération.
Sa déclinaison contemporaine serait une autre guerre contre les laïques, les modernistes, les zouaves (recrues de l’armée coloniale, supplétifs locaux), kabyles, antirégime. Cette bipolarisation, travaillée, de la société algérienne est désormais plus marquante que celle que la presse étrangère, paresseuse, voit entre régime et protestataires de la rue, les « hirakistes ».
Le souvenir est l’avenir
Captant les résistances conservatrices de l’Algérie rurale, rejouant la scène hypermnésique de la guerre de libération, s’appuyant sur des médias islamistes sinon clients de la rente, le régime a su pousser, peu à peu, en radicalisant la révolte et avec l’usage de la répression, à un équation algérienne qui lui sera favorable après dix mois de contestation. D’un côté, des protestataires passionnés, admirables mais piégés dans les grands centres urbains et, de l’autre, une offre de « solution » avec une élection présidentielle qui pare le vide, l’instabilité et donc le cauchemar à la libyenne. Épuisés et sans visibilité sur l’avenir, beaucoup, dans l’Algérie profonde, feront le choix pragmatique entre la démocratie et la sécurité. Le 12 décembre 2019, un nouveau président est finalement élu malgré les appels au boycott : Tebboune, un cadre du système depuis tou
L’armée algérienne reste un mythe fondateur, avec une mystique de protection, de propriété, d’arbitre ultime.
jours, mais qui gagne malgré la participation réservée. On expliquera son succès par son caractère d’outsider face à des candidats qui ont tous le malheur d’avoir été associé à un… parti politique. Le régime gagne avec la formule d’une présidentielle contrôlée, ouverte sur un choix de candidats déjà restreint à une pluralité politiquement correcte. Il y a deux ans, l’élu avait été disgracié et lynché par les télévisions du régime parce qu’il s’était opposé au clan au pouvoir. Aujourd’hui, il revient en sauveur, acclamé. Lors de sa première conférence de presse, réagissant à une question sur Macron qui « avait pris note du résultat », il lancera un « je ne lui répondrai pas ! » sous les ovations des présents. Tebboune avait compris l’avenir que se réserve encore le passé en Algérie.
■
L’obsession française et la guerre virtuelle au Maroc ■ semblent avoir encore de beaux jours à vivre.
Comment expliquer la puissance de ce délire, surtout auprès des jeunes? Peut-être par le mythe de l’union, encore une fois. Mis à part cette fausse guerre à la France qui donne un sens surréaliste de vieux vétérans aux plus jeunes justement, l’Algérie ne semble pas pouvoir imaginer un nouveau consensus fondé sur la pluralité, la multiculturalité et les différences. Le jour des élections, un étranger aurait été surpris par le ton et les mots employés pour lever les enthousiasmes dans les médias du régime et dans les échanges sur les réseaux : les formules verbales d’un engagement armé. D’ailleurs, on convoque encore en Algérie, pour débattre, les figures du « traître », harkis, invasion, menaces, juste pour parler… d’élections.
L’ennemi, dans une métaphore favorite, vient toujours « d’outre-mer », alias la France et l’Occident. Même dans la bouche des démocrates et laïques, binationaux ou modernistes, cette habitude du procès en mode justice martiale est prégnante. Au plus obscur, on retrouve auprès du régime comme auprès de ses opposants cette envie de rejouer, absurdement, le martyr, le colon, le moudjahid, le maquis et l’oppresseur. Ténébreuse incapacité à dépasser un traumatisme ancien, reconduit en figurations creuses contemporaines. On s’étonnera de voir des vidéos sur la guerre le jour d’une élection présidentielle, autant que de lire, sur les murs d’un village oranais, un poème se concluant par « Nous ne serons jamais français » écrit en 2019 comme s’il s’agissait d’un référendum d’autodétermination en 1962 !
Le régime a-t-il gagné ?
Oui, provisoirement. C’est aussi conclure que la contestation a perdu, provisoirement. Comment alors un mouvement d’une telle ampleur, soudé par un souci aussi transcendant de pacifisme, a-t-il pu échouer ? Pour envisager une réponse, il faut remonter à la veille du 22 février. Depuis plusieurs semaines, un personnage franco-algérien, agitateur en one-manshow, né des réseaux sociaux et des facilités que permet Internet, parcourt les villages et les petites villes algériennes.
- Le Point
- 9 Jan 2020
- PAR KAMEL DAOUD
Vingt-trois décembre 2019. Près du Palais du peuple à Alger, les télévisions du pays insistent sur le défilé de milliers d’Algériens dans les rues. Pour une fois, la foule ne « marche » pas contre un régime mais pour jeter un « dernier regard » sur la dépouille du général Gaïd Salah, mort il y a quelques jours. Effet de loupe sur les sanglots et les hommages au « Sauveur », oraisons, salut militaire maladroitement imité par des civils en pleurs, poésie patriotique et serments de fidélité. La mort inattendue du général est montrée comme une émotion nationale, sincère souvent, que le régime a su faire fructifier face à une opposition de rue, tenace mais dont la légitimité s’érode faute de lucidité politique.
Cette armée algérienne reste un mythe fondateur en Algérie avec une mystique de protection, de propriété, d’arbitre ultime. Née avant le pays avec la guerre d’indépendance, elle convoque souvent ce droit d’aînesse malgré les contestations. En octobre 1988, elle n’avait pas hésité à tirer sur la foule, faisant des centaines de morts. En 1992, elle annule des élections et s’engage dans une guerre civile avec des centaines de milliers de morts. En 2019, elle s’en est sortie avec le prestige dopé d’une gardienne de la République, saluée par une partie de la population.
«L’armée a accompagné le soulèvement sans faire couler une seule goutte de sang » a été l’argument répété des jours durant, avec fierté, par ceux qui comparent légitimement les printemps arabes et leurs crashs.
Un constat difficilement contestable, mais à usage biaisé. ■
Du coup, l’enterrement du général offre, en climax de dix mois de tension, l’émotion manquante pour souder un nouveau consensus politique qui, après la présidentielle du 12 décembre, veut contourner la contestation.
Mais comment est-on arrivé à cette victoire par les images sur une révolution miraculeuse? Pour faire basculer l’opinion en sa faveur, réussir un enterrement digne d’un chef d’État pour son général suprême – que les généraux (emprisonnés, exilés ou décédés) des années 1990 doivent jalouser –, le nouveau régime a dû travailler au corps l’opinion et la contestation, s’offrant même les artifices d’une nouvelle épopée messianique. Quelques clés pour mieux comprendre.
La décolonisation réinventée
Étrange atmosphère algérienne depuis des mois : la propagande du régime, mais autant la férocité des réseaux sociaux, et une partie de la population sensible à la théorie du complot et au souvenir puissamment entretenu de la colonisation, ont imposé la réalité virtuelle d’une vraie guerre imaginaire contre la France. Généraux filmés scrutant les frontières avec des jumelles, arrestations d’« agents » supposés, intox sur un complot international et la « main étrangère », films, trolls, procès et diffamations, tout est bon pour faire revivre l’épopée sclérosée de la guerre d’indépendance contre l’ex-puissance coloniale.
Surprenant spectacle pour celui qui ne connaît pas la primauté de la mémoire sur le réel en Algérie, les banderoles antifrançaises fleurissent partout. Autant que les tags qui dénoncent la mainmise de la colonisation sur les richesses locales qui pourtant ont largement profité à des pays tiers comme la Chine, cliente des Bouteflika. Dans la fougue de cette guerre de libération fantasmée, on efface même les enseignes en français sur les devantures, on impose l’arabe et l’anglais, les logos des chaînes de télévision ne s’affichent plus en français et le «grand remplacement linguistique » du français par l’anglais est annoncé par l’un des candidats, Bengrina (islamiste), comme priorité de sa première semaine après la victoire.
Ce n’est pas seulement un argument de campagne repris par tous après la décision du ministre de l’Enseignement supérieur de lancer une croisade contre le français comme langue d’impuissance selon lui, mais un véritable délire collectif. Le nouveau président, Abdelmadjid Tebboune, n’a pas échappé aux critiques virulentes lorsqu’on le surprit à parler en français lors de sa première sortie publique. Dans le jeu de ce remake fou, la France est accusée de tous les maux : complicité avec l’ancien régime des Bouteflika, prédation du gaz « gratuit », barbouzeries, entreprises d’effacement de l’identité nationale, contrôle des écoles pour détruire l’âme algérienne… L’ambassade de France a dépensé beaucoup de son temps à démentir les infox, mais elles sont intarissables.
Les journaux islamistes, comme Echourouk, publient quotidiennement un article sur la « dé-francisation de l’école » qui, elle, n’enseigne qu’en arabe depuis vingt ans ! A huis clos, loin des comptes rendus « clubbing » des médias étrangers, le pays vit un remake fantasmé de la guerre de libération et mène bataille contre une France zombie. Le pays d’en face, fantôme mémoriel, parti depuis si longtemps, laisse un vide de casting et qu’on investit de toutes les fables paranoïaques. Ce délire, même bouffon, laisse deviner cependant l’essentiel : l’Algérie ne sait vivre une union sacrée, une émotion vive, que dans l’adversité, l’épopée de la guerre de libération.
La guerre a été son moment historique de ferveur et le seul moyen de redevenir uni, c’est de refaire la guerre et donc de la refaire à la France. L’Hexagone est le pays qui incarne, pour son malheur, l’Autre pour les Algériens et leur lien difficile et tourmenté à l’altérité. Guérir ce lien équivaut à soigner le rapport avec le reste du monde mais on ne le veut pas. Car que faire si on ne refait pas la guerre ?
Le 28 novembre 2019, cette guerre chimérique a pris des accents de fièvre nationale avec le vote symbolique d’une résolution du Parlement de l’Union européenne condamnant les atteintes aux libertés en Algérie. Ce fut même une aubaine pour le régime et les conservateurs qui déclenchèrent, immédiatement, une véritable campagne contre le « complot occidental ». On vit défiler dans le pays profond des milliers de personnes contre la…France et son « protectorat », dénonçant Emmanuel Macron et la France, la néocolonisation, l’invasion imminente… Les échanges sur les réseaux, faute de sérénité pour débattre, se font désormais sur le mode binaire: vous êtes un « rejeton de la France » ou l’« enfant d’Ibn Badis », un théologien au patriotisme pourtant tiède de l’époque coloniale et qui aujourd’hui, longtemps après sa mort, se retrouve investi de la paternité rétrospective de la guerre de libération du 1er novembre 1954. « Novembriste badissiste » (en référence à novembre et au théologien) est devenu le sigle informel d’une partie des élites arabophones, conservatrices, islamistes.
Le révisionnisme islamiste du récit de la décolonisation avait été entamé il y a des années, mais il trouvera là son triomphe : désormais, la décolonisation est présentée comme un djihad, une guerre sainte, pas une guerre laïque.
L’Algérie ne sait vivre une union sacrée, une émotion vive, que dans l’adversité, l’épopée de la guerre de libération.
Sa déclinaison contemporaine serait une autre guerre contre les laïques, les modernistes, les zouaves (recrues de l’armée coloniale, supplétifs locaux), kabyles, antirégime. Cette bipolarisation, travaillée, de la société algérienne est désormais plus marquante que celle que la presse étrangère, paresseuse, voit entre régime et protestataires de la rue, les « hirakistes ».
Le souvenir est l’avenir
Captant les résistances conservatrices de l’Algérie rurale, rejouant la scène hypermnésique de la guerre de libération, s’appuyant sur des médias islamistes sinon clients de la rente, le régime a su pousser, peu à peu, en radicalisant la révolte et avec l’usage de la répression, à un équation algérienne qui lui sera favorable après dix mois de contestation. D’un côté, des protestataires passionnés, admirables mais piégés dans les grands centres urbains et, de l’autre, une offre de « solution » avec une élection présidentielle qui pare le vide, l’instabilité et donc le cauchemar à la libyenne. Épuisés et sans visibilité sur l’avenir, beaucoup, dans l’Algérie profonde, feront le choix pragmatique entre la démocratie et la sécurité. Le 12 décembre 2019, un nouveau président est finalement élu malgré les appels au boycott : Tebboune, un cadre du système depuis tou
L’armée algérienne reste un mythe fondateur, avec une mystique de protection, de propriété, d’arbitre ultime.
jours, mais qui gagne malgré la participation réservée. On expliquera son succès par son caractère d’outsider face à des candidats qui ont tous le malheur d’avoir été associé à un… parti politique. Le régime gagne avec la formule d’une présidentielle contrôlée, ouverte sur un choix de candidats déjà restreint à une pluralité politiquement correcte. Il y a deux ans, l’élu avait été disgracié et lynché par les télévisions du régime parce qu’il s’était opposé au clan au pouvoir. Aujourd’hui, il revient en sauveur, acclamé. Lors de sa première conférence de presse, réagissant à une question sur Macron qui « avait pris note du résultat », il lancera un « je ne lui répondrai pas ! » sous les ovations des présents. Tebboune avait compris l’avenir que se réserve encore le passé en Algérie.
■
L’obsession française et la guerre virtuelle au Maroc ■ semblent avoir encore de beaux jours à vivre.
Comment expliquer la puissance de ce délire, surtout auprès des jeunes? Peut-être par le mythe de l’union, encore une fois. Mis à part cette fausse guerre à la France qui donne un sens surréaliste de vieux vétérans aux plus jeunes justement, l’Algérie ne semble pas pouvoir imaginer un nouveau consensus fondé sur la pluralité, la multiculturalité et les différences. Le jour des élections, un étranger aurait été surpris par le ton et les mots employés pour lever les enthousiasmes dans les médias du régime et dans les échanges sur les réseaux : les formules verbales d’un engagement armé. D’ailleurs, on convoque encore en Algérie, pour débattre, les figures du « traître », harkis, invasion, menaces, juste pour parler… d’élections.
L’ennemi, dans une métaphore favorite, vient toujours « d’outre-mer », alias la France et l’Occident. Même dans la bouche des démocrates et laïques, binationaux ou modernistes, cette habitude du procès en mode justice martiale est prégnante. Au plus obscur, on retrouve auprès du régime comme auprès de ses opposants cette envie de rejouer, absurdement, le martyr, le colon, le moudjahid, le maquis et l’oppresseur. Ténébreuse incapacité à dépasser un traumatisme ancien, reconduit en figurations creuses contemporaines. On s’étonnera de voir des vidéos sur la guerre le jour d’une élection présidentielle, autant que de lire, sur les murs d’un village oranais, un poème se concluant par « Nous ne serons jamais français » écrit en 2019 comme s’il s’agissait d’un référendum d’autodétermination en 1962 !
Le régime a-t-il gagné ?
Oui, provisoirement. C’est aussi conclure que la contestation a perdu, provisoirement. Comment alors un mouvement d’une telle ampleur, soudé par un souci aussi transcendant de pacifisme, a-t-il pu échouer ? Pour envisager une réponse, il faut remonter à la veille du 22 février. Depuis plusieurs semaines, un personnage franco-algérien, agitateur en one-manshow, né des réseaux sociaux et des facilités que permet Internet, parcourt les villages et les petites villes algériennes.
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