Publié par Brahim Taouchichet
Abdelaziz Belaïd, l’enfant prodige du FLN, qu’il avait rejoint en 1983 (le plus jeune membre du comité central) et qu’il quitte après 28 ans de bons et loyaux services, puisqu’il sera longtemps responsable de ses organisations satellites, dont l’Union des étudiants algériens, rebondit avec la création de son parti à lui, le Front El Moustakbal. Celui qui se revendique d’une longue lignée de résistants algériens à l’occupation française ne compte pas jouer les figurants dans un paysage politique déjà investi par de nombreux partis.
Ce médecin de formation et patron d’une clinique d’hémodialyse donne l’impression de vouloir très vite se poser comme un acteur politique avec lequel il faudra compter. Ainsi, il s’est porté candidat à la présidentielle de 2014 et a participé aux dernières élections législatives et locales. Il «score» et dame le pion aux habitués de ces joutes électorales, puisqu’il obtient 14 sièges à l’Assemblée populaire national (APN), 131 sièges aux Apw et arrive en tête dans 71 APC. Nullement impressionné par ces résultats, le président du jeune parti clame haut et fort qu’il a été frustré d’un score plus grand. Mais cela est largement suffisant pour lui creuser l’appétit et se voir à la tête de la magistrature suprême. Ambitionne-t-il d’être président de la République ? «Oui, je milite pour cela», nous dit-il dans l’entretien qui suit. Nous l’avons rencontré en son siège à Kouba, sans cérémonial aucun. Pour Le Soir d’Algérie, il s’est prêté à notre jeu des questions-réponses à l’occasion de la 6e année de la fondation de son parti et à quelques mois de la tenue de son congrès qui doit décider du candidat à la présidentielle de 2019. Notre invité précise qu’il n’est pas favorable à un candidat unique pour cette échéance électorale. «On ne sort pas du parti unique pour retomber dans la démarche d’un candidat unique», affirme-t-il agacé.
Le Soir d’Algérie : Vous avez claqué la porte du FLN suite à des désaccords. Il se trouve que le programme de votre parti et les thèmes que vous avez développés lors de la campagne présidentielle de 2014 font penser à un programme FLN bis ?
Abdelaziz Belaïd : Pas du tout. Il y a peut-être des ressemblances, et pour preuve nous avons insisté tout particulièrement sur deux secteurs en matière d’économie que sont l’agriculture et le tourisme en proposant des idées novatrices. Le FLN dit, «nous œuvrerons à… », mais, nous, nous proposons des solutions dans une vision de moyen et long termes.
Quelles en sont les idées force ?
En matière d’agriculture, il faut revaloriser l’Homme par exemple. D’autre part, des milliers d’hectares sont octroyés à des gens qui n’ont aucun lien avec l’agriculture. Paradoxalement, des milliers d’agronomes en sont privés et sont au chômage. Pourquoi ne pas les aider par des prêts bancaires et un suivi ? Nous pensons aussi aux vétérinaires pour le secteur de l’élevage animalier. On donne de l’argent là aussi à des personnes qui le dépensent en important des vaches.
Autre exemple : nous voulons développer le tourisme interne. Plus de 3 millions d’Algériens, en haute saison, vont passer leurs vacances à l’étranger. Imaginez, que chaque Algérien dépense 100 $ seulement, faites le compte ! Ils vont en Tunisie et en Turquie. La Tunisie a-t-elle plus de sites touristiques que nous ? Il nous faut construire des villages touristiques pour les jeunes, les familles, en constructions légères. Le tourisme interne peut engendrer des revenus et du know-how et passer par la suite au tourisme international. Le programme de notre parti se présente sous la forme d’une pyramide, la base en étant l’éthique politique et le respect de l’être humain. Ce n’est pas le cas dans les autres partis politiques, notamment au FLN. Au plan économique, il faut un programme d’urgence pour l’agriculture et le tourisme sans pour autant négliger les autres secteurs et au plan social axer sur la santé et l’éducation.
Au sommet de la pyramide : la justice. Nous avons créé une commission nationale elle-même organisée en sous-commissions en partenariat avec des experts qui ne font pas partie d’El Moustakbal. Nous préparons actuellement notre programme pour le prochain congrès. Nous sommes un jeune parti qui vient avec de nouvelles idées comme, par exemple, la troisième voie...
La troisième voie ?
Oui, la deuxième République basée sur la légitimité populaire pour tourner la page de la légitimité révolutionnaire en vigueur depuis 60 ans. Nous réfléchissons sur plusieurs concepts nouveaux sur la scène politique. Concernant les secteurs comme l’industrie et l’énergie, c’est en cours d’étude. La finalité est d’arriver à un projet de société.
Votre démarche est basée sur un changement du système ou sur des réformes ?
Ecoutez, quand on fait un bilan, il y a des avancées notables dans le pays. Moi, je ne suis pas quelqu’un qui voit tout en noir. On a construit même si le coût est élevé par rapport aux résultats. Oui, il y a des dépassements, beaucoup d’argent qui est parti comme ça, mais on a construit. Après la décennie noire, l’Algérie a évolué et nous ne voulons pas raser tout ce qui a été fait pour construire une autre Algérie.
Nous ne voulons pas construire une deuxième République sur les décombres de la première. Il y a continuité.
De Boumediène à bouteflika, il y a eu beaucoup de réalisations, mais nous, nous voulons apporter plus encore à la faveur de la deuxième République en attirant les intelligences et les compétences qui existent au niveau national.
Nous voulons créer de la richesse avec les Algériens et un climat de travail grâce aux institutions. Je suis contre ceux qui réclament une Constituante et veulent tout refaire.
Vous parlez d’une nouvelle Constitution ?
Concernant la démocratie en Algérie, la véritable colonne vertébrale, c’est la Commission nationale de contrôle des élections que nous avons créée en 2012. Elle doit être élue, indépendante et pour cela, il faudra en examiner les mécanismes.
La nouvelle Constitution a pris en compte cette revendication mais ses membres sont nommés, désignés.
Elle n’a été d’aucun apport lors des dernières élections législatives et communales et absente en matière de contrôle du scrutin et des problèmes qui ont surgi.
Il faut une véritable commission nationale dotée de commissions de wilaya, des Apc, indépendante et en mesure de contrôler. Et c’est cette commission nationale qui devra annoncer les résultats des élections. Ainsi en 2012, le ministre de l’Intérieur a annoncé des résultats avant même la fin du dépouillement au niveau national.
Nous pensons aussi à d’autres points à inclure dans la nouvelle Constitution. C’est important parce qu’en Algérie, il y a un véritable problème de démocratie.
Et vous mettrez en avant le rôle de la justice…
Bien sûr, il y a une lourde mainmise de l’administration, de l’Exécutif sur la justice. Où est l’indépendance entre la justice, le législatif et l’exécutif ?
Actuellement, le ministre de la Justice est un haut responsable au sein d’un parti politique. Que peut-on faire quand des walis, des ministres se reconvertissent en chefs de parti ? Nous ne voulons pas de cette démocratie de façade.
Ce qui nous amène à la décision du tribunal de déclarer illégales les grèves en cours des médecins résidents et du corps enseignant…
Concernant les grèves, c’est un autre problème. La justice, elle, intervient et dans beaucoup de cas elle a raison. Pourquoi ? Parce que pour faire grève, il y a des étapes à respecter que ne suivent pas beaucoup de syndicats parce que c’est très difficile.
Il faut des assemblées au niveau des wilayas, au niveau national, un préavis de 8 jours, le ministère du Travail pour l’arbitrage. C’est tout un processus qui va durer des mois. Alors les gens engagent leur grève.
Par ailleurs, beaucoup de travailleurs qui n’ont rien à faire avec les syndicats font grève pour exprimer leur ras-le-bol.
C’est l’exemple des médecins résidents, ils se sont réunis et ont désigné des délégués mais pas sous la bannière d’un syndicat. Il y a une règle universelle qui fait que si des travailleurs ou des syndicalistes ne trouvent pas de solutions avec l’administration et recourent à la grève hors du cadre légal, tous deux sont responsables : l’administration et les grévistes. L’administration n’aura pas su gérer les discussions et ouvrir un véritable dialogue.
Quant aux grévistes, ils placent la barre trop haut dans leurs revendications. Certes, ils ont raison afin d’arriver à un seuil de revendications. Et là, les deux ont failli.
Nous nous retrouvons dans l’impasse, tous les canaux de communication, voire les médiations, ont visiblement échoué. Comment en sortir ?
Ecoutez, il faut un dialogue réel. Pour l’administration ou le système d’une façon générale, lorsqu’il discute avec les travailleurs, il y a ouverture du dialogue mais encore faut-il qu’il aboutisse à un résultat. Le dialogue, c’est de lâcher du lest chacun de son côté afin d’arriver à un compromis.
Pensez-vous que le gouvernement a failli ?
A partir du moment où il licencie des milliers de travailleurs, oui.
Est-ce qu’Ouyahia, à travers son gouvernement, est l’homme de la situation ?
Dans les pays qui se respectent, s’il n’y a pas de solution on ne licencie pas des milliers de travailleurs, le gouvernement part. Chez nous, il peut mettre au chômage un million de travailleurs afin qu’un responsable ou un ministre reste en place ! Est-ce normal ?
Ces mouvements sociaux peuvent-ils faire tomber ce gouvernement ?
Dans tout pays démocratique, si un ministre ne peut pas gérer les mouvements sociaux, il doit céder la place à plus compétent.
Abdelaziz Belaïd, l’enfant prodige du FLN, qu’il avait rejoint en 1983 (le plus jeune membre du comité central) et qu’il quitte après 28 ans de bons et loyaux services, puisqu’il sera longtemps responsable de ses organisations satellites, dont l’Union des étudiants algériens, rebondit avec la création de son parti à lui, le Front El Moustakbal. Celui qui se revendique d’une longue lignée de résistants algériens à l’occupation française ne compte pas jouer les figurants dans un paysage politique déjà investi par de nombreux partis.
Ce médecin de formation et patron d’une clinique d’hémodialyse donne l’impression de vouloir très vite se poser comme un acteur politique avec lequel il faudra compter. Ainsi, il s’est porté candidat à la présidentielle de 2014 et a participé aux dernières élections législatives et locales. Il «score» et dame le pion aux habitués de ces joutes électorales, puisqu’il obtient 14 sièges à l’Assemblée populaire national (APN), 131 sièges aux Apw et arrive en tête dans 71 APC. Nullement impressionné par ces résultats, le président du jeune parti clame haut et fort qu’il a été frustré d’un score plus grand. Mais cela est largement suffisant pour lui creuser l’appétit et se voir à la tête de la magistrature suprême. Ambitionne-t-il d’être président de la République ? «Oui, je milite pour cela», nous dit-il dans l’entretien qui suit. Nous l’avons rencontré en son siège à Kouba, sans cérémonial aucun. Pour Le Soir d’Algérie, il s’est prêté à notre jeu des questions-réponses à l’occasion de la 6e année de la fondation de son parti et à quelques mois de la tenue de son congrès qui doit décider du candidat à la présidentielle de 2019. Notre invité précise qu’il n’est pas favorable à un candidat unique pour cette échéance électorale. «On ne sort pas du parti unique pour retomber dans la démarche d’un candidat unique», affirme-t-il agacé.
Le Soir d’Algérie : Vous avez claqué la porte du FLN suite à des désaccords. Il se trouve que le programme de votre parti et les thèmes que vous avez développés lors de la campagne présidentielle de 2014 font penser à un programme FLN bis ?
Abdelaziz Belaïd : Pas du tout. Il y a peut-être des ressemblances, et pour preuve nous avons insisté tout particulièrement sur deux secteurs en matière d’économie que sont l’agriculture et le tourisme en proposant des idées novatrices. Le FLN dit, «nous œuvrerons à… », mais, nous, nous proposons des solutions dans une vision de moyen et long termes.
Quelles en sont les idées force ?
En matière d’agriculture, il faut revaloriser l’Homme par exemple. D’autre part, des milliers d’hectares sont octroyés à des gens qui n’ont aucun lien avec l’agriculture. Paradoxalement, des milliers d’agronomes en sont privés et sont au chômage. Pourquoi ne pas les aider par des prêts bancaires et un suivi ? Nous pensons aussi aux vétérinaires pour le secteur de l’élevage animalier. On donne de l’argent là aussi à des personnes qui le dépensent en important des vaches.
Autre exemple : nous voulons développer le tourisme interne. Plus de 3 millions d’Algériens, en haute saison, vont passer leurs vacances à l’étranger. Imaginez, que chaque Algérien dépense 100 $ seulement, faites le compte ! Ils vont en Tunisie et en Turquie. La Tunisie a-t-elle plus de sites touristiques que nous ? Il nous faut construire des villages touristiques pour les jeunes, les familles, en constructions légères. Le tourisme interne peut engendrer des revenus et du know-how et passer par la suite au tourisme international. Le programme de notre parti se présente sous la forme d’une pyramide, la base en étant l’éthique politique et le respect de l’être humain. Ce n’est pas le cas dans les autres partis politiques, notamment au FLN. Au plan économique, il faut un programme d’urgence pour l’agriculture et le tourisme sans pour autant négliger les autres secteurs et au plan social axer sur la santé et l’éducation.
Au sommet de la pyramide : la justice. Nous avons créé une commission nationale elle-même organisée en sous-commissions en partenariat avec des experts qui ne font pas partie d’El Moustakbal. Nous préparons actuellement notre programme pour le prochain congrès. Nous sommes un jeune parti qui vient avec de nouvelles idées comme, par exemple, la troisième voie...
La troisième voie ?
Oui, la deuxième République basée sur la légitimité populaire pour tourner la page de la légitimité révolutionnaire en vigueur depuis 60 ans. Nous réfléchissons sur plusieurs concepts nouveaux sur la scène politique. Concernant les secteurs comme l’industrie et l’énergie, c’est en cours d’étude. La finalité est d’arriver à un projet de société.
Votre démarche est basée sur un changement du système ou sur des réformes ?
Ecoutez, quand on fait un bilan, il y a des avancées notables dans le pays. Moi, je ne suis pas quelqu’un qui voit tout en noir. On a construit même si le coût est élevé par rapport aux résultats. Oui, il y a des dépassements, beaucoup d’argent qui est parti comme ça, mais on a construit. Après la décennie noire, l’Algérie a évolué et nous ne voulons pas raser tout ce qui a été fait pour construire une autre Algérie.
Nous ne voulons pas construire une deuxième République sur les décombres de la première. Il y a continuité.
De Boumediène à bouteflika, il y a eu beaucoup de réalisations, mais nous, nous voulons apporter plus encore à la faveur de la deuxième République en attirant les intelligences et les compétences qui existent au niveau national.
Nous voulons créer de la richesse avec les Algériens et un climat de travail grâce aux institutions. Je suis contre ceux qui réclament une Constituante et veulent tout refaire.
Vous parlez d’une nouvelle Constitution ?
Concernant la démocratie en Algérie, la véritable colonne vertébrale, c’est la Commission nationale de contrôle des élections que nous avons créée en 2012. Elle doit être élue, indépendante et pour cela, il faudra en examiner les mécanismes.
La nouvelle Constitution a pris en compte cette revendication mais ses membres sont nommés, désignés.
Elle n’a été d’aucun apport lors des dernières élections législatives et communales et absente en matière de contrôle du scrutin et des problèmes qui ont surgi.
Il faut une véritable commission nationale dotée de commissions de wilaya, des Apc, indépendante et en mesure de contrôler. Et c’est cette commission nationale qui devra annoncer les résultats des élections. Ainsi en 2012, le ministre de l’Intérieur a annoncé des résultats avant même la fin du dépouillement au niveau national.
Nous pensons aussi à d’autres points à inclure dans la nouvelle Constitution. C’est important parce qu’en Algérie, il y a un véritable problème de démocratie.
Et vous mettrez en avant le rôle de la justice…
Bien sûr, il y a une lourde mainmise de l’administration, de l’Exécutif sur la justice. Où est l’indépendance entre la justice, le législatif et l’exécutif ?
Actuellement, le ministre de la Justice est un haut responsable au sein d’un parti politique. Que peut-on faire quand des walis, des ministres se reconvertissent en chefs de parti ? Nous ne voulons pas de cette démocratie de façade.
Ce qui nous amène à la décision du tribunal de déclarer illégales les grèves en cours des médecins résidents et du corps enseignant…
Concernant les grèves, c’est un autre problème. La justice, elle, intervient et dans beaucoup de cas elle a raison. Pourquoi ? Parce que pour faire grève, il y a des étapes à respecter que ne suivent pas beaucoup de syndicats parce que c’est très difficile.
Il faut des assemblées au niveau des wilayas, au niveau national, un préavis de 8 jours, le ministère du Travail pour l’arbitrage. C’est tout un processus qui va durer des mois. Alors les gens engagent leur grève.
Par ailleurs, beaucoup de travailleurs qui n’ont rien à faire avec les syndicats font grève pour exprimer leur ras-le-bol.
C’est l’exemple des médecins résidents, ils se sont réunis et ont désigné des délégués mais pas sous la bannière d’un syndicat. Il y a une règle universelle qui fait que si des travailleurs ou des syndicalistes ne trouvent pas de solutions avec l’administration et recourent à la grève hors du cadre légal, tous deux sont responsables : l’administration et les grévistes. L’administration n’aura pas su gérer les discussions et ouvrir un véritable dialogue.
Quant aux grévistes, ils placent la barre trop haut dans leurs revendications. Certes, ils ont raison afin d’arriver à un seuil de revendications. Et là, les deux ont failli.
Nous nous retrouvons dans l’impasse, tous les canaux de communication, voire les médiations, ont visiblement échoué. Comment en sortir ?
Ecoutez, il faut un dialogue réel. Pour l’administration ou le système d’une façon générale, lorsqu’il discute avec les travailleurs, il y a ouverture du dialogue mais encore faut-il qu’il aboutisse à un résultat. Le dialogue, c’est de lâcher du lest chacun de son côté afin d’arriver à un compromis.
Pensez-vous que le gouvernement a failli ?
A partir du moment où il licencie des milliers de travailleurs, oui.
Est-ce qu’Ouyahia, à travers son gouvernement, est l’homme de la situation ?
Dans les pays qui se respectent, s’il n’y a pas de solution on ne licencie pas des milliers de travailleurs, le gouvernement part. Chez nous, il peut mettre au chômage un million de travailleurs afin qu’un responsable ou un ministre reste en place ! Est-ce normal ?
Ces mouvements sociaux peuvent-ils faire tomber ce gouvernement ?
Dans tout pays démocratique, si un ministre ne peut pas gérer les mouvements sociaux, il doit céder la place à plus compétent.
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