A l’occasion de la grand-messe de l’énergie nucléaire, Atomexpo, qui a eu lieu à Moscou entre les 30 mai et 1er juin dernier, les promoteurs de ce type d’énergie ont eu l’opportunité Natif de Tiaret, le Belgo-Algérien, Hamid Aït Abderrahim est directeur général adjoint du Centre d’étude de l’Energie Nucléaire belge, le CEN. Le chercheur enseigne la physique des réacteurs et le génie nucléaire à l’Université Catholique de Louvain en Belgique. Il dirige aussi depuis 1998 le projet MYRRHA, un réacteur de recherche complètement innovant. Il est par ailleurs, président de l’association de la communauté algérienne de Belgique et président d’Ain El kheir, le club des entrepreneurs belges et algériens.
Interview:
Vous avez quitté l’Algérie en 1979, il y a 35 ans déjà avec pour seul bagage votre diplôme de Baccalauréat et beaucoup de rêves notamment celui de devenir ingénieur en énergie nucléaire. Avec une bourse algérienne je présume ?
Tout à fait, j’ai quitté l’Algérie le 10 septembre 1979, à 10h00 du matin, il faisait 25 degrés et un soleil radieux. Au bout de 2h30, je me suis retrouvé dans un pays où il pleuvait et faisait 10 degrés où la nuit tombait déjà à 16h30. Quel choc thermique et émotionnel ! Pour ce qui est de la bourse, non je n’ai jamais eu de bourse algérienne. Pour être tout à fait clair, je dirais que j’ai été sélectionné en terminal par la Sonatrach pour bénéficier d’une bourse afin de financer des études d’ingénieur en pétrochimie à Manchester en Angleterre. Je devais me rendre à la Sonatrach d’Arzew pour récupérer les documents de ma bourse d’études, je me suis alors trouvé un beau matin à 5h00 pétante à la station des autocars de la SNTV de Tiaret (les fameux bus orange de l’époque). Sur place, j’ai fini par décider de ne pas prendre le bus et de retourner chez moi parce que je voulais faire du nucléaire et pas de la pétrochimie. Le rêve est plus fort que l’argent.
C’était difficile pour un jeune homme de 18 ans de laisser derrière lui ses parents, ses amis et sa belle Kabylie natale ?
Je vois que vous ne me connaissez pas. Comme je viens de l’évoquer, je suis né à Tiaret sur les Hauts-Plateaux dans l’Ouest de l’Algérie. La Kabylie je n’y suis allé qu’une seule fois dans ma vie à l’âge de 10 ans. Je suis un kabyle de Tiaret mais Tiaretien jusqu’au bout des ongles. Je rêve de découvrir les terres de mes ancêtres et j’espère que cela viendra un jour. Pour ce qui est de quitter mes parents, mes frères et sœurs, ce fut dur en effet mais l’idée de l’aventure et de la découverte de cultures et de gens différents m’a aidée à surmonter ces difficultés. Quant aux amis d’enfance et mes camarades du collège et du lycée, ça n’a pas été très difficile car j’ai gardé le contact avec eux et entre temps je me suis fait de nouveaux amis ici en Belgique et à travers le monde. Donc, je dirai que c’est une transition douce et des souvenirs dont je ne garde que les bons côtés ce qui rend les retrouvailles à chaque fois emplies de chaleur et d’émotion.
Aviez-vous envisagé à quelconque moment de votre parcours un retour définitif en Algérie ?
Je pense comme tout Algérien qui a étudié à l’étranger, boursier ou non-boursier d’ailleurs, mon objectif initial était de terminer mes études supérieures et de rentrer en Algérie pour y travailler et y faire ma vie. Et la vie est faite de projets et de plans bien tracés mais parfois des imprévus viennent perturber le cours des choses et en fonction de la manière dont vous appréhendez et gérez ces perturbations, vous construirez le parcours de votre vie. L’essentiel et d’assumer et d’apprécier ce parcours. Donc, avant la fin de mes études doctorales en physique des réacteurs, je suis allé en Algérie pour tâter le terrain, pour voir si je pouvais travailler dans ce que l’on appelait à l’époque si mes souvenirs sont bons le « Haut-Commissariat aux Energies Nouvelles », malheureusement ça n’a pas abouti. Ce fut un de ces imprévus que j’ai pris en compte et qui m’a permis de faire le parcours que j’ai fait.
La Belgique a dû voir très vite en vous le cerveau à ne pas laisser fuir et pour cause vous obtenez votre premier contrat de jeune ingénieur au Centre d’étude d’Energie Nucléaire, le CEN. Quel a été votre sentiment à ce moment – là ?
Ce serait prétentieux de ma part de dire oui c’est vrai ça s’est passé comme cela (sourire). En réalité les frites belges à la mayonnaise sont bien meilleures que les « French fries » et surtout que le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. Peut-être à cause de mon côté volontariste car j’ai toujours placé la passion avant l’aspect mercantile, cette attitude n’a pas échappé aux Belges. Ils m’ont alors offert d’abord un contrat à durée déterminée, j’étais à ce moment-là en train d’achever mon doctorat et cela m’a donné un grand sentiment de fierté car j’étais reconnu pour mes compétences dans le domaine que j’ai choisi.
Donc vous n’en êtes pas resté au diplôme d’ingénieur, vous avez poursuivi des études postuniversitaires, vous êtes, détenteur, notamment, d’un D.E.A en physique des réacteurs !
Oui c’est vrai. Après mon diplôme d’ingénieur en énergie nucléaire en Belgique, je suis parti à Saclay au sud de Paris au CEA (Commissariat à l’Energie Atomique) pour faire un DEA en physique des réacteurs. Puis, j’ai eu le choix entre trois endroits pour faire mon doctorat ; le Centre de recherche du CEA de Cadarache près d’Aix-en-Provence, le Centre de recherche du CEA à Saclay au sud de Paris et enfin le Centre de recherche nucléaire belge CEN à Mol dans le Nord-Est de la Belgique où j’avais déjà fait mon mémoire d’ingénieur et où les gens avaient apprécié mon travail et surtout mon esprit stakhanoviste. Chaque Centre m’offrait une bourse pour faire ma thèse de doctorat. Finalement j’ai opté pour la Belgique même si le montant de la bourse belge était le plus modeste.
En quelle année avez-vous été investi de la fonction de directeur général – adjoint du CEN, et en quoi consistent vos responsabilités ?
J’ai été promu directeur général adjoint du CEN en 2010, après que j’aie obtenu un important soutien financier pour le projet MYRRHA (http://myrrha.sckcen.be) du gouvernement belge. Aujourd’hui mes fonctions consistent à assumer la direction du projet MYRRHA, à être responsable des relations internationales du CEN et à décider des alliances stratégiques du centre au niveau international. Je représente la Belgique et le Centre dans différents projets internationaux comme la construction du réacteur de recherche « Jules Horowitz » à Cadarache en France, le Conseil scientifique du projet « J-PARC » au Japon, le Conseil fédéral de la politique scientifique belge, le Conseil scientifique de la plateforme de la vallée d’Orsay de la Physique des « 2 Infinis » et des « Origines (P2IO) », la Présidence du Conseil d’Administration de la plateforme technologique européenne de l’énergie nucléaire durable, etc…
Vous avez évoqué le projet MYRRHA dont vous êtes le directeur depuis 1998, de quoi s’agit-il ?
Ah là vous me prenez par les sentiments ! MYRRHA c’est mon bébé, mon enfant, mon amante. C’est un projet qui me fait perdre le nord, le sommeil et la raison ! Bon ça c’est le côté algérien exubérant qui nous permet de ne pas avoir peur d’être ambitieux mais ça ne suffit pas. Car quand il s’agit de sciences il y a deux idées à juxtaposer « Continuité et Émerveillement » qui peuvent paraître antinomiques. Mais pas du tout ! Aristote parlant de la science avait dit « La science consiste à passer d’un étonnement à un autre » et Al-Khawarizmi avait dit « Les savants des temps passés et les nations révolues n’ont cessé de rédiger des livres. Ils l’ont fait pour léguer leur savoir à leurs successeurs car ce n’est qu‘ainsi que demeurera vive la quête de la vérité ».
J’ai la chance de travailler au CEN où justement les deux idées sont les moteurs qui ont guidé et guident toujours depuis 1952 la recherche et l’innovation : La continuité, dans la mise au point et la réalisation de premières mondiales qui suscitent émerveillement et respect parmi la communauté de la technologie nucléaire de par le monde.
Les pionniers du CEN qui ont réalisés des réacteurs de recherche comme le « BR1 », « BR2 », le « BR3 » et « VENUS » ou le laboratoire souterrain à -230 mètres de recherche sur les déchets nucléaires « HADES », etc…dans des temps records comparés à aujourd’hui, mais les contraintes et conditions d’hier ont changé, elles doivent nous servir comme inspiration et exemple afin d’entreprendre des projets ambitieux comme MYRRHA même si aujourd’hui les temps de réalisation sont nettement plus longs puisque le mois est devenu l’année. Alors dans nos projets d’aujourd’hui, il faut plutôt avoir de l’émerveillement dans la continuité.
La suite........
Interview:
Vous avez quitté l’Algérie en 1979, il y a 35 ans déjà avec pour seul bagage votre diplôme de Baccalauréat et beaucoup de rêves notamment celui de devenir ingénieur en énergie nucléaire. Avec une bourse algérienne je présume ?
Tout à fait, j’ai quitté l’Algérie le 10 septembre 1979, à 10h00 du matin, il faisait 25 degrés et un soleil radieux. Au bout de 2h30, je me suis retrouvé dans un pays où il pleuvait et faisait 10 degrés où la nuit tombait déjà à 16h30. Quel choc thermique et émotionnel ! Pour ce qui est de la bourse, non je n’ai jamais eu de bourse algérienne. Pour être tout à fait clair, je dirais que j’ai été sélectionné en terminal par la Sonatrach pour bénéficier d’une bourse afin de financer des études d’ingénieur en pétrochimie à Manchester en Angleterre. Je devais me rendre à la Sonatrach d’Arzew pour récupérer les documents de ma bourse d’études, je me suis alors trouvé un beau matin à 5h00 pétante à la station des autocars de la SNTV de Tiaret (les fameux bus orange de l’époque). Sur place, j’ai fini par décider de ne pas prendre le bus et de retourner chez moi parce que je voulais faire du nucléaire et pas de la pétrochimie. Le rêve est plus fort que l’argent.
C’était difficile pour un jeune homme de 18 ans de laisser derrière lui ses parents, ses amis et sa belle Kabylie natale ?
Je vois que vous ne me connaissez pas. Comme je viens de l’évoquer, je suis né à Tiaret sur les Hauts-Plateaux dans l’Ouest de l’Algérie. La Kabylie je n’y suis allé qu’une seule fois dans ma vie à l’âge de 10 ans. Je suis un kabyle de Tiaret mais Tiaretien jusqu’au bout des ongles. Je rêve de découvrir les terres de mes ancêtres et j’espère que cela viendra un jour. Pour ce qui est de quitter mes parents, mes frères et sœurs, ce fut dur en effet mais l’idée de l’aventure et de la découverte de cultures et de gens différents m’a aidée à surmonter ces difficultés. Quant aux amis d’enfance et mes camarades du collège et du lycée, ça n’a pas été très difficile car j’ai gardé le contact avec eux et entre temps je me suis fait de nouveaux amis ici en Belgique et à travers le monde. Donc, je dirai que c’est une transition douce et des souvenirs dont je ne garde que les bons côtés ce qui rend les retrouvailles à chaque fois emplies de chaleur et d’émotion.
Aviez-vous envisagé à quelconque moment de votre parcours un retour définitif en Algérie ?
Je pense comme tout Algérien qui a étudié à l’étranger, boursier ou non-boursier d’ailleurs, mon objectif initial était de terminer mes études supérieures et de rentrer en Algérie pour y travailler et y faire ma vie. Et la vie est faite de projets et de plans bien tracés mais parfois des imprévus viennent perturber le cours des choses et en fonction de la manière dont vous appréhendez et gérez ces perturbations, vous construirez le parcours de votre vie. L’essentiel et d’assumer et d’apprécier ce parcours. Donc, avant la fin de mes études doctorales en physique des réacteurs, je suis allé en Algérie pour tâter le terrain, pour voir si je pouvais travailler dans ce que l’on appelait à l’époque si mes souvenirs sont bons le « Haut-Commissariat aux Energies Nouvelles », malheureusement ça n’a pas abouti. Ce fut un de ces imprévus que j’ai pris en compte et qui m’a permis de faire le parcours que j’ai fait.
La Belgique a dû voir très vite en vous le cerveau à ne pas laisser fuir et pour cause vous obtenez votre premier contrat de jeune ingénieur au Centre d’étude d’Energie Nucléaire, le CEN. Quel a été votre sentiment à ce moment – là ?
Ce serait prétentieux de ma part de dire oui c’est vrai ça s’est passé comme cela (sourire). En réalité les frites belges à la mayonnaise sont bien meilleures que les « French fries » et surtout que le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. Peut-être à cause de mon côté volontariste car j’ai toujours placé la passion avant l’aspect mercantile, cette attitude n’a pas échappé aux Belges. Ils m’ont alors offert d’abord un contrat à durée déterminée, j’étais à ce moment-là en train d’achever mon doctorat et cela m’a donné un grand sentiment de fierté car j’étais reconnu pour mes compétences dans le domaine que j’ai choisi.
Donc vous n’en êtes pas resté au diplôme d’ingénieur, vous avez poursuivi des études postuniversitaires, vous êtes, détenteur, notamment, d’un D.E.A en physique des réacteurs !
Oui c’est vrai. Après mon diplôme d’ingénieur en énergie nucléaire en Belgique, je suis parti à Saclay au sud de Paris au CEA (Commissariat à l’Energie Atomique) pour faire un DEA en physique des réacteurs. Puis, j’ai eu le choix entre trois endroits pour faire mon doctorat ; le Centre de recherche du CEA de Cadarache près d’Aix-en-Provence, le Centre de recherche du CEA à Saclay au sud de Paris et enfin le Centre de recherche nucléaire belge CEN à Mol dans le Nord-Est de la Belgique où j’avais déjà fait mon mémoire d’ingénieur et où les gens avaient apprécié mon travail et surtout mon esprit stakhanoviste. Chaque Centre m’offrait une bourse pour faire ma thèse de doctorat. Finalement j’ai opté pour la Belgique même si le montant de la bourse belge était le plus modeste.
En quelle année avez-vous été investi de la fonction de directeur général – adjoint du CEN, et en quoi consistent vos responsabilités ?
J’ai été promu directeur général adjoint du CEN en 2010, après que j’aie obtenu un important soutien financier pour le projet MYRRHA (http://myrrha.sckcen.be) du gouvernement belge. Aujourd’hui mes fonctions consistent à assumer la direction du projet MYRRHA, à être responsable des relations internationales du CEN et à décider des alliances stratégiques du centre au niveau international. Je représente la Belgique et le Centre dans différents projets internationaux comme la construction du réacteur de recherche « Jules Horowitz » à Cadarache en France, le Conseil scientifique du projet « J-PARC » au Japon, le Conseil fédéral de la politique scientifique belge, le Conseil scientifique de la plateforme de la vallée d’Orsay de la Physique des « 2 Infinis » et des « Origines (P2IO) », la Présidence du Conseil d’Administration de la plateforme technologique européenne de l’énergie nucléaire durable, etc…
Vous avez évoqué le projet MYRRHA dont vous êtes le directeur depuis 1998, de quoi s’agit-il ?
Ah là vous me prenez par les sentiments ! MYRRHA c’est mon bébé, mon enfant, mon amante. C’est un projet qui me fait perdre le nord, le sommeil et la raison ! Bon ça c’est le côté algérien exubérant qui nous permet de ne pas avoir peur d’être ambitieux mais ça ne suffit pas. Car quand il s’agit de sciences il y a deux idées à juxtaposer « Continuité et Émerveillement » qui peuvent paraître antinomiques. Mais pas du tout ! Aristote parlant de la science avait dit « La science consiste à passer d’un étonnement à un autre » et Al-Khawarizmi avait dit « Les savants des temps passés et les nations révolues n’ont cessé de rédiger des livres. Ils l’ont fait pour léguer leur savoir à leurs successeurs car ce n’est qu‘ainsi que demeurera vive la quête de la vérité ».
J’ai la chance de travailler au CEN où justement les deux idées sont les moteurs qui ont guidé et guident toujours depuis 1952 la recherche et l’innovation : La continuité, dans la mise au point et la réalisation de premières mondiales qui suscitent émerveillement et respect parmi la communauté de la technologie nucléaire de par le monde.
Les pionniers du CEN qui ont réalisés des réacteurs de recherche comme le « BR1 », « BR2 », le « BR3 » et « VENUS » ou le laboratoire souterrain à -230 mètres de recherche sur les déchets nucléaires « HADES », etc…dans des temps records comparés à aujourd’hui, mais les contraintes et conditions d’hier ont changé, elles doivent nous servir comme inspiration et exemple afin d’entreprendre des projets ambitieux comme MYRRHA même si aujourd’hui les temps de réalisation sont nettement plus longs puisque le mois est devenu l’année. Alors dans nos projets d’aujourd’hui, il faut plutôt avoir de l’émerveillement dans la continuité.
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