Zidane sauvera-t-il l’image de Bouteflika ? Il semble bien que cela soit trop tard. Autant qu’on ait pu le constater, de l’Espagne à Beyrouth où la conférence de l’Association mondiale des journaux a vertement critiqué la répression que subissent les journalistes en Algérie, le président algérien a fini par renvoyer de lui un profil plus proche de Ben Ali ou de Bongo que de De Gaulle ou de Jefferson, c'est-à-dire qu’il sera, en dépit de ses efforts, un personnage qui laissera un détestable souvenir pour sa postérité.
Mais le paradoxe est ailleurs : pourquoi sommes-nous si nombreux, opposants, journalistes, intellectuels, citoyens à accompagner un homme, obsédé par son nombril, dans cette vulgaire entreprise du trompe-l'œil et de l’esbroufe qui se pratique aux dépens du pays ? Oui, pourquoi sommes-nous si nombreux à faire semblant, si nombreux à relayer l’intoxication de l’opinion, pourquoi diable sommes-nous si nombreux à nous taire devant les mystifications assassines qui s’élaborent pour de basses opérations de marketing politique mais qui s’ajouteront, inévitablement, au poids du passif que les futures générations auront à supporter ?
Pourquoi répétons-nous, comme de pathétiques perroquets, et à l’envi, que l’Algérie en a fini avec le terrorisme quand des citoyens et même des étrangers se font encore assassiner dans des zones dites sécurisées aux portes d’Alger, oui pourquoi avançons-nous que le président Bouteflika est décidé à combattre la corruption quand ses amis les plus proches, de Chekib Khelil à Bouricha, défient toujours la justice ?
Combien sommes-nous à applaudir la prochaine mascarade, «Alger capitale de la culture arabe» dans une ville qui ne compte pas un seul théâtre, pas plus de deux ou trois cinémas et que Mme Toumi a maintenue aussi éloignée de la culture que la banquise l’est du Hoggar ?
Et puis, pour partager l’anxiété de notre confrère du Jour d’Algérie, où cacher nos SDF dans «Alger capitale de la culture arabe» ? Jamais dans l’histoire du pays la frime et la menterie ne se sont érigées à ce point en mode de gouvernance. Il est jusqu’à Farouk Ksentini, président de la mystérieuse Commission nationale consultative de défense et de promotion des droits de l’homme, pour nous annoncer solennellement, et sans rire, que le prochain rapport sur les droits de l’homme demandé par Bouteflika soulèvera les cas d’atteinte à la liberté de la presse et la menace persistante sur l’exercice du droit syndical. On croirait rêver ! Mais qui donc autre que le président et son cercle planifient et pratiquent, dans une démarche stratégique d’élimination des contre-pouvoirs, la répression des journalistes et des syndicats autonomes ?
Sommé de refouler sa détresse au profit de l’ego de son président, l’Algérien regarde, impuissant, les professionnels du subterfuge maquiller la triste réalité nationale ou réécrire le passé récent à l’avantage de Bouteflika, sans qu’aucun contre-discours vienne enrayer la machine de la propagande.
Il ne s’agit pas, ici, de faire le procès de l’indifférence. Rien ne nous y autorise. Il s’agirait plutôt de dénoncer cette espèce de connivence ordinaire qui s’établit généralement entre un pouvoir suborneur et une élite intéressée, qui croit subtil de se réfugier dans l’art du possible ou dans une forme féconde de désabusement mais qui, à son insu, participe à la mise en place d’une politique de régression nationale qu’elle aura soutenue ou protégée par son silence. Le régime algérien, décadent et corrompu, angoissé par sa propre survie, érige le mensonge en stratégie nationale.
De tout temps, certes, les autocraties ont donné d’elles, à l’extérieur, une image aseptisée et artificielle en totale contradiction avec leur mauvaise gouvernance.
Mais ce mensonge d’Etat a un coût terrible : le pourrissement, l’accélération du déclin national. Le pouvoir de Bouteflika ment sur le terrorisme. Résultat : des Algériens se font toujours tuer, mais dans l’anonymat, et le pays, dépossédé de sa vigilance, accroît son isolement. Le pouvoir de Bouteflika ment sur la corruption.
Résultat : les banques sont saignées à blanc mais dans la convivialité. Le pouvoir de Bouteflika ment sur le chômage. Résultat : le fléau prend des proportions alarmantes puisque, faute d’emploi, les jeunes sont de plus en plus nombreux à succomber à la drogue ou au suicide, les plus chanceux réussissant à émigrer clandestinement.
Après 8 années de règne, le président a gardé le pays dans une stagnation à ce point préoccupante que luimême a fini par s’en inquiéter, si on en croit son cri déchirant lancé samedi dernier devant les walis : «Nous n’avons pas de quoi assurer l’avenir des prochaines générations !» ( El Moudjahid du 10 décembre). Mais qu’entreprendra-t-il pour amorcer un sursaut national ? Rien.
A une époque où le progrès est lié aux libertés, le régime algérien, apeuré par sa propre société, préfère continuer de museler les forces vives du pays, quitte à l’enfoncer davantage dans la régression, plutôt que de libérer les énergies extraordinaires que recèle notre patrie. Pour mentir sans risque d’être contredit, il a besoin de monopoliser les canaux de communication et interdire l’expression libre. Il plombe, ce faisant, l’Algérie dans un archaïsme fatal. Quand M. Djiar, le nouveau ministre de la Communication, répète, cette semaine encore, qu’il n’y aura pas pour le moment d’ouverture de l’audiovisuel, il donne de lui la grotesque image d’un zoulou, têtu, s’obstinant à affronter les chars d’assaut avec sa lance !
Deux nouvelles chaînes de télévision étrangères, Medi Sat et 24 Heures, s’emparent déjà, depuis quinze jours, du marché algérien en y distillant leur propre façon de voir le monde ! Les capitaux français et marocains ont «ouvert» l’audiovisuel algérien à leur manière, M. Djiar, et vous en êtes encore à interdire cette même initiative aux Algériens ! Rester aux commandes dans la préhistoire plutôt que vivre la démocratie dans l’avenir.
Au temps où il se permettait encore un franc-parler, le chef du RCD Saïd Sadi a laissé cette formule perspicace : «On ne peut pas sauver à la fois le système et l’Algérie.» Alors oui, il faut choisir : le destin du pays ou celui d’un homme, d’un régime finissant, de clans qui puisent dans nos naïvetés et nos obséquiosités l’élixir qui les fait durer à la tête d’un pays épuisé.
Alors oui, bienvenue à Zidane dans le pays natal de ses parents, mais finissons-en avec les passements de jambes !
Par Mohamed Benchicou, Le soir
Mais le paradoxe est ailleurs : pourquoi sommes-nous si nombreux, opposants, journalistes, intellectuels, citoyens à accompagner un homme, obsédé par son nombril, dans cette vulgaire entreprise du trompe-l'œil et de l’esbroufe qui se pratique aux dépens du pays ? Oui, pourquoi sommes-nous si nombreux à faire semblant, si nombreux à relayer l’intoxication de l’opinion, pourquoi diable sommes-nous si nombreux à nous taire devant les mystifications assassines qui s’élaborent pour de basses opérations de marketing politique mais qui s’ajouteront, inévitablement, au poids du passif que les futures générations auront à supporter ?
Pourquoi répétons-nous, comme de pathétiques perroquets, et à l’envi, que l’Algérie en a fini avec le terrorisme quand des citoyens et même des étrangers se font encore assassiner dans des zones dites sécurisées aux portes d’Alger, oui pourquoi avançons-nous que le président Bouteflika est décidé à combattre la corruption quand ses amis les plus proches, de Chekib Khelil à Bouricha, défient toujours la justice ?
Combien sommes-nous à applaudir la prochaine mascarade, «Alger capitale de la culture arabe» dans une ville qui ne compte pas un seul théâtre, pas plus de deux ou trois cinémas et que Mme Toumi a maintenue aussi éloignée de la culture que la banquise l’est du Hoggar ?
Et puis, pour partager l’anxiété de notre confrère du Jour d’Algérie, où cacher nos SDF dans «Alger capitale de la culture arabe» ? Jamais dans l’histoire du pays la frime et la menterie ne se sont érigées à ce point en mode de gouvernance. Il est jusqu’à Farouk Ksentini, président de la mystérieuse Commission nationale consultative de défense et de promotion des droits de l’homme, pour nous annoncer solennellement, et sans rire, que le prochain rapport sur les droits de l’homme demandé par Bouteflika soulèvera les cas d’atteinte à la liberté de la presse et la menace persistante sur l’exercice du droit syndical. On croirait rêver ! Mais qui donc autre que le président et son cercle planifient et pratiquent, dans une démarche stratégique d’élimination des contre-pouvoirs, la répression des journalistes et des syndicats autonomes ?
Sommé de refouler sa détresse au profit de l’ego de son président, l’Algérien regarde, impuissant, les professionnels du subterfuge maquiller la triste réalité nationale ou réécrire le passé récent à l’avantage de Bouteflika, sans qu’aucun contre-discours vienne enrayer la machine de la propagande.
Il ne s’agit pas, ici, de faire le procès de l’indifférence. Rien ne nous y autorise. Il s’agirait plutôt de dénoncer cette espèce de connivence ordinaire qui s’établit généralement entre un pouvoir suborneur et une élite intéressée, qui croit subtil de se réfugier dans l’art du possible ou dans une forme féconde de désabusement mais qui, à son insu, participe à la mise en place d’une politique de régression nationale qu’elle aura soutenue ou protégée par son silence. Le régime algérien, décadent et corrompu, angoissé par sa propre survie, érige le mensonge en stratégie nationale.
De tout temps, certes, les autocraties ont donné d’elles, à l’extérieur, une image aseptisée et artificielle en totale contradiction avec leur mauvaise gouvernance.
Mais ce mensonge d’Etat a un coût terrible : le pourrissement, l’accélération du déclin national. Le pouvoir de Bouteflika ment sur le terrorisme. Résultat : des Algériens se font toujours tuer, mais dans l’anonymat, et le pays, dépossédé de sa vigilance, accroît son isolement. Le pouvoir de Bouteflika ment sur la corruption.
Résultat : les banques sont saignées à blanc mais dans la convivialité. Le pouvoir de Bouteflika ment sur le chômage. Résultat : le fléau prend des proportions alarmantes puisque, faute d’emploi, les jeunes sont de plus en plus nombreux à succomber à la drogue ou au suicide, les plus chanceux réussissant à émigrer clandestinement.
Après 8 années de règne, le président a gardé le pays dans une stagnation à ce point préoccupante que luimême a fini par s’en inquiéter, si on en croit son cri déchirant lancé samedi dernier devant les walis : «Nous n’avons pas de quoi assurer l’avenir des prochaines générations !» ( El Moudjahid du 10 décembre). Mais qu’entreprendra-t-il pour amorcer un sursaut national ? Rien.
A une époque où le progrès est lié aux libertés, le régime algérien, apeuré par sa propre société, préfère continuer de museler les forces vives du pays, quitte à l’enfoncer davantage dans la régression, plutôt que de libérer les énergies extraordinaires que recèle notre patrie. Pour mentir sans risque d’être contredit, il a besoin de monopoliser les canaux de communication et interdire l’expression libre. Il plombe, ce faisant, l’Algérie dans un archaïsme fatal. Quand M. Djiar, le nouveau ministre de la Communication, répète, cette semaine encore, qu’il n’y aura pas pour le moment d’ouverture de l’audiovisuel, il donne de lui la grotesque image d’un zoulou, têtu, s’obstinant à affronter les chars d’assaut avec sa lance !
Deux nouvelles chaînes de télévision étrangères, Medi Sat et 24 Heures, s’emparent déjà, depuis quinze jours, du marché algérien en y distillant leur propre façon de voir le monde ! Les capitaux français et marocains ont «ouvert» l’audiovisuel algérien à leur manière, M. Djiar, et vous en êtes encore à interdire cette même initiative aux Algériens ! Rester aux commandes dans la préhistoire plutôt que vivre la démocratie dans l’avenir.
Au temps où il se permettait encore un franc-parler, le chef du RCD Saïd Sadi a laissé cette formule perspicace : «On ne peut pas sauver à la fois le système et l’Algérie.» Alors oui, il faut choisir : le destin du pays ou celui d’un homme, d’un régime finissant, de clans qui puisent dans nos naïvetés et nos obséquiosités l’élixir qui les fait durer à la tête d’un pays épuisé.
Alors oui, bienvenue à Zidane dans le pays natal de ses parents, mais finissons-en avec les passements de jambes !
Par Mohamed Benchicou, Le soir
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