Par : Ali Farès
Nous jetons 20 kg de nourriture par année et par personne. Mois de piété, de méditation, d’abstinence et de sobriété, le mois sacré est aussi le mois où le triste phénomène du gaspillage alimentaire explose en Algérie. Il décuple pendant le Ramadhan pour atteindre des pics inquiétants. Et on n’a pas tort de dire que Ramadhan est synonyme de jeûne la journée et de festin le soir. L’enquête que nous avons menée auprès des services et des associations concernés renseigne que nous avons raison d’être indignés devant cette situation.
Troisième semaine de Ramadhan. Les ménages sont sur le carreau après que la flambée des prix des légumes, fruits et autres denrées composant le f’tour du début du mois sacré a eu raison de leur bourse. Mais on n’abdique pas pour autant, quitte à s’endetter et la folie des achats continue, même si un petit recul est enregistré, justifié essentiellement par la raison invoquée. Commençons d’abord par ces chiffres qui donnent le tournis : les ménages algériens gaspillent chaque Ramadhan plus de 5 milliards de dinars en produits alimentaires, prévient El-Hadj Tahar Boulanouar, président de l’Union des commerçants et artisans(UGCAA), ajoutant que la consommation des fruits et légumes est de 10 millions de quintaux dont 500 000 qx vont à la poubelle. Pour ce dernier, le gros du gaspillage est constitué de produits subventionnées avec à leur tête le pain. Plus de 4 milliards de baguettes sont achetées durant ce mois et dont 120 millions finissent aux coins des rues attendant les ramasseurs. Contrairement à ce que l’on pense, même certains produits alimentaires qui ne sont pourtant pas à la portée des petites bourses n’échappent pas à ce phénomène. C’est le cas des viandes rouge et blanche dont la consommation est respectivement de 40 000 tonnes et 30 000 tonnes en ce mois. Ces viandes sont souvent trouvées dans les poubelles lors des collectes. Pour le lait, autre produit subventionné, la demande est de 150 millions de litres dont 12 millions sont gaspillés et jetés. L’UGCAA a enregistré que le pain et le lait constituent 60% du gaspillage durant ce mois. Remontant la chaîne de gaspillage, le président de l’UGCAA pointe un doigt accusateur en direction des pouvoirs publics dont la politique d’éradication des marchés informels n’a pas eu les résultats escomptés. Selon lui, les espaces de détail, auparavant occupés par les marchands informels, ont disparu. Au lieu de pourvoir ce manque, on se rend compte que ce vide a créé le gaspillage au niveau des marchés de gros qui ne trouvent pas à qui vendre leurs marchandises et se voient souvent dans l’obligation de les jeter. Pour lui, il y a urgence à mettre en place les marchés de proximité ayant pour but de résorber ce gaspillage. Parallèlement, fait-il remarquer, il existe un manque de maîtrise de la chaîne au niveau des chambres froides, d’où des quantités importantes de produits qui périssent par ce fait. En réalité, certains produits connaissent un début d’avarie, si ce n’est la totalité, au niveau des ports en raison de problèmes bureaucratiques, parfois durables, entre l’importateur et l’administration portuaire, ce qui s’impute d’ailleurs sur la valeur du produit revu à la hausse au détriment du consommateur. “Mais on ne peut parler de gaspillage sans évoquer la part du citoyen dont la consommation rationnelle n’est pas dans sa culture”, ajoutera M. Boulanouar. Et on l’aura deviné, le gaspillage touche beaucoup plus les quartiers huppés avec un taux de 70%, confie notre interlocuteur.
“Gaspilleur malgré moi !”
Dahmane est comme par hasard harrachi. Il adore la bonne cuisine algéroise. Le mois de carême, il préfère prendre son congé annuel.
Des faiblesses il en a pour les produits du terroir, ce qui en fait un invétéré des marchés où il passe une bonne partie de sa journée. Son dada, c’est le pain, sous toutes ses variétés qu’il va chercher un peu partout, quitte à faire des dizaines de kilomètres. “Il m’est arrivé d’aller jusqu’à Cherchell pour acheter du pain chez un artisan boulanger. Imaginez-vous, une fois je me suis retrouvé avec dix pains sur les bras. À quatre, on a consommé que deux pains. Le malheur, c’est que le lendemain, j’en achète du frais, car il n’est pas question de manger du pain rassis”, confie-t-il avant de déclarer que le bouzellouf (tête de mouton) fait partie de ses “envies” durant le mois sacré, concluant qu’il lui est arrivé de rentrer chez lui avec deux ou trois têtes de mouton, à la grande stupéfaction de sa femme. Samir est un enfant de Soustara ayant quitté “el-houma” pour Aïn Naâdja, logement oblige. Ce jeune homme de 35 ans traque le kalbellouz et la zlabia. Il fait le déplacement tous les jours de Ramadhan à Boufarik et Blida où il en profite pour acheter aussi la fameuse cherbet (jus de citron aromatisé à la vanille). “La moitié de ce que j’achète prend la direction de la poubelle. C’est du gaspillage et j’en suis conscient, mais je n’y peux rien. Hada houa ramdane, naklou biaynina”, conclut-il. Ramadhan quand tu nous tiens ! La pratique du gaspillage n’a pas d’âge et, contre toute attente, elle peut concerner les personnes âgées. Le cas de âammi Belkacem est assez édifiant. À 78 piges mais bien conservé, ce grand-père écume les marchés. Il achète tout ce qui le tente, dont il ne consomme généralement que de petites quantités. Avec sa femme, il est souvent en guerre à cause de ses incartades boulimiques. Âammi Belkacem, Dahmane et Samir ne sont qu’une infime représentation des millions d’Algériens dépensiers en ce mois particulier, à l’exemple de ce citoyen qui a avoué que pour venir à bout de ses convoitises culinaires, il fait appel à sa paie, celle de sa femme et une avance sur salaire. Sidérant !
Nous jetons 20 kg de nourriture par année et par personne. Mois de piété, de méditation, d’abstinence et de sobriété, le mois sacré est aussi le mois où le triste phénomène du gaspillage alimentaire explose en Algérie. Il décuple pendant le Ramadhan pour atteindre des pics inquiétants. Et on n’a pas tort de dire que Ramadhan est synonyme de jeûne la journée et de festin le soir. L’enquête que nous avons menée auprès des services et des associations concernés renseigne que nous avons raison d’être indignés devant cette situation.
Troisième semaine de Ramadhan. Les ménages sont sur le carreau après que la flambée des prix des légumes, fruits et autres denrées composant le f’tour du début du mois sacré a eu raison de leur bourse. Mais on n’abdique pas pour autant, quitte à s’endetter et la folie des achats continue, même si un petit recul est enregistré, justifié essentiellement par la raison invoquée. Commençons d’abord par ces chiffres qui donnent le tournis : les ménages algériens gaspillent chaque Ramadhan plus de 5 milliards de dinars en produits alimentaires, prévient El-Hadj Tahar Boulanouar, président de l’Union des commerçants et artisans(UGCAA), ajoutant que la consommation des fruits et légumes est de 10 millions de quintaux dont 500 000 qx vont à la poubelle. Pour ce dernier, le gros du gaspillage est constitué de produits subventionnées avec à leur tête le pain. Plus de 4 milliards de baguettes sont achetées durant ce mois et dont 120 millions finissent aux coins des rues attendant les ramasseurs. Contrairement à ce que l’on pense, même certains produits alimentaires qui ne sont pourtant pas à la portée des petites bourses n’échappent pas à ce phénomène. C’est le cas des viandes rouge et blanche dont la consommation est respectivement de 40 000 tonnes et 30 000 tonnes en ce mois. Ces viandes sont souvent trouvées dans les poubelles lors des collectes. Pour le lait, autre produit subventionné, la demande est de 150 millions de litres dont 12 millions sont gaspillés et jetés. L’UGCAA a enregistré que le pain et le lait constituent 60% du gaspillage durant ce mois. Remontant la chaîne de gaspillage, le président de l’UGCAA pointe un doigt accusateur en direction des pouvoirs publics dont la politique d’éradication des marchés informels n’a pas eu les résultats escomptés. Selon lui, les espaces de détail, auparavant occupés par les marchands informels, ont disparu. Au lieu de pourvoir ce manque, on se rend compte que ce vide a créé le gaspillage au niveau des marchés de gros qui ne trouvent pas à qui vendre leurs marchandises et se voient souvent dans l’obligation de les jeter. Pour lui, il y a urgence à mettre en place les marchés de proximité ayant pour but de résorber ce gaspillage. Parallèlement, fait-il remarquer, il existe un manque de maîtrise de la chaîne au niveau des chambres froides, d’où des quantités importantes de produits qui périssent par ce fait. En réalité, certains produits connaissent un début d’avarie, si ce n’est la totalité, au niveau des ports en raison de problèmes bureaucratiques, parfois durables, entre l’importateur et l’administration portuaire, ce qui s’impute d’ailleurs sur la valeur du produit revu à la hausse au détriment du consommateur. “Mais on ne peut parler de gaspillage sans évoquer la part du citoyen dont la consommation rationnelle n’est pas dans sa culture”, ajoutera M. Boulanouar. Et on l’aura deviné, le gaspillage touche beaucoup plus les quartiers huppés avec un taux de 70%, confie notre interlocuteur.
“Gaspilleur malgré moi !”
Dahmane est comme par hasard harrachi. Il adore la bonne cuisine algéroise. Le mois de carême, il préfère prendre son congé annuel.
Des faiblesses il en a pour les produits du terroir, ce qui en fait un invétéré des marchés où il passe une bonne partie de sa journée. Son dada, c’est le pain, sous toutes ses variétés qu’il va chercher un peu partout, quitte à faire des dizaines de kilomètres. “Il m’est arrivé d’aller jusqu’à Cherchell pour acheter du pain chez un artisan boulanger. Imaginez-vous, une fois je me suis retrouvé avec dix pains sur les bras. À quatre, on a consommé que deux pains. Le malheur, c’est que le lendemain, j’en achète du frais, car il n’est pas question de manger du pain rassis”, confie-t-il avant de déclarer que le bouzellouf (tête de mouton) fait partie de ses “envies” durant le mois sacré, concluant qu’il lui est arrivé de rentrer chez lui avec deux ou trois têtes de mouton, à la grande stupéfaction de sa femme. Samir est un enfant de Soustara ayant quitté “el-houma” pour Aïn Naâdja, logement oblige. Ce jeune homme de 35 ans traque le kalbellouz et la zlabia. Il fait le déplacement tous les jours de Ramadhan à Boufarik et Blida où il en profite pour acheter aussi la fameuse cherbet (jus de citron aromatisé à la vanille). “La moitié de ce que j’achète prend la direction de la poubelle. C’est du gaspillage et j’en suis conscient, mais je n’y peux rien. Hada houa ramdane, naklou biaynina”, conclut-il. Ramadhan quand tu nous tiens ! La pratique du gaspillage n’a pas d’âge et, contre toute attente, elle peut concerner les personnes âgées. Le cas de âammi Belkacem est assez édifiant. À 78 piges mais bien conservé, ce grand-père écume les marchés. Il achète tout ce qui le tente, dont il ne consomme généralement que de petites quantités. Avec sa femme, il est souvent en guerre à cause de ses incartades boulimiques. Âammi Belkacem, Dahmane et Samir ne sont qu’une infime représentation des millions d’Algériens dépensiers en ce mois particulier, à l’exemple de ce citoyen qui a avoué que pour venir à bout de ses convoitises culinaires, il fait appel à sa paie, celle de sa femme et une avance sur salaire. Sidérant !
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