Mohamed Chafik Mesbah, ancien officier des services de renseignements, assure que le système touche à sa fin. De notre envoyée spéciale.
Les Algériens votent pour élire le président ce jeudi 17 avril. Un scrutin dans lequel Abdelaziz Bouteflika, président sortant de 77 ans affaibli par la maladie, est archi-favori. Mohamed Chafik Mesbah, ancien officier des services de renseignements, dresse un constat du système algérien, de l'élection de Bouteflika à 1999 à ce qui sera, peut-être, sa succession. Interview.
A quoi ressemble le "système" aujourd'hui en Algérie ?
- Le système algérien est une "dictature molle". Elle n'a pas de logique interne, sinon la conservation du pouvoir. On n'utilise pas la violence de manière excessive. Lors des manifestations actuelles, la police intervient mais elle a instruction de ne pas utiliser les armes. Mais un dérapage est possible. Si on compare à la période du parti unique, cela fonctionnait mieux. Il y avait un minimum de démocratie interne. Au sein du FLN, il y avait du débat. Aujourd'hui, il n'y a pas de stratégie, il n'y a pas de projet national.
Où se place le président sortant Abdelaziz Bouteflika dans ce système dans lequel l'armée et les services de renseignements ont traditionnellement le pouvoir ?
- Le clan présidentiel se compose d'Abdelaziz Bouteflika, de son frère et de ceux que j'appelle les "baltaguia", des prédateurs de l'économie qui ne sont pas des entrepreneurs mais des arrivistes, des spéculateurs. Ils ont cette caractéristique qu'ils ont accès à la diffusion politique. Ils font partie du cercle qui a pris le dessus sur l'administration publique et qui risque de prendre le dessus sur l'armée et les services de renseignements.
Je suis hostile à Abdelaziz Bouteflika, mais je lui reconnais du talent tactique. Il a eu la capacité de manœuvrer à l'intérieur du système mais pas pour un objectif stratégique mais pour conserver le pouvoir.
Bouteflika a nommé un chef d'Etat-major, vice-ministre de la Défense nationale, Gaïd Salah, qui lui voue une loyauté indéfectible. C'est une gestion basée sur la soumission. En l'absence d'Abdelaziz Bouteflika en raison de sa maladie, c'est son frère qui est l'alter-ego. Nous avons donc un cas de figure aberrant où le conseiller du président, son frère, n'a aucun mandat électif et arrive à influer sur les militaires. Il y a des risques de dérives importantes
Abdelaziz Bouteflika est arrivé comme un homme providentiel en 1999, à la fin des années de terrorisme. A-t-il déçu ?
- Abdelaziz Bouteflika n'a jamais eu de conviction démocratique. Il est arrivé par un coup de force. Dès le départ, il ne fallait pas se faire d'illusions. Les militaires étaient en faveur d'une évolution vers un système démocratique et l'acceptation de réformes économiques. Ils se sont trompés sur Abdelaziz Bouteflika. J'ai l'ai connu lorsqu'il était ministre des Affaires étrangères, je pensais lors du premier mandat qu'il avait la capacité de tirer les enseignements de l'histoire, qu'il pourrait s'adapter, malgré mes réserves. Mais il est habité par une passion morbide du pouvoir sans aucun projet stratégique.
Comment Abdelaziz Bouteflika a réussi à se maintenir ?
- Le cercle présidentiel à trois atouts. D'abord, il dispose d'une manne financière importante. Ensuite, il dispose de l'appui implicite de la communauté occidentale et particulièrement de la France qui agit avec légèreté malgré la position stratégique de l'Algérie, porte d'accès pour le monde arabe et l'Afrique. La France est focalisée sur deux aspects, l'intérêt commercial et sécuritaire. Depuis l'élection de François Hollande, cela s'est accentué. Paris fait l'impasse sur le peuple algérien et a choisi de traiter uniquement avec le pouvoir public comme si le peuple algérien n'existait pas.
Le troisième atout est que la société algérienne est, je ne dirai pas démobilisée, mais mal encadrée. Il n'y a pas un jour en Algérie où il n'y a pas une manifestation, une contestation dans un village, dans une ville ou dans un hameau. Ces colères ne se sont pas agrégées mais cela va venir. Pour le moment, Abdelaziz Bouteflika profite de sa moisson. On a une société livrée à elle-même sans encadrement. Le danger c'est que demain s'il y a un soulèvement, il sera mal encadré et va déboucher sur des jacqueries. Les responsables politiques d'aujourd'hui sont passibles demain de trahison.
Pour quels motifs ?
- Il y a une possibilité réelle de désintégration territoriale. Il y a des signes manifestes : les populations du sud contestent, il y a un sentiment d'injustice qui se développe chez ces populations qui estiment qu'elles sont des laissés-pour comptes dans cette répartition anarchique des richesses nationales. Le risque de dislocation de la cohésion sociale est réel d'un point de vue économique et régional. On a bien vu comment la blague de Sellal (l'un des 7 représentants de Bouteflika) sur les populations Chaouis a réveillé des colères régionales. Si vous mettez ces problèmes les uns à côté des autres, le sud, les Aurès, la Kabylie, traditionnellement foyer de révolte, c'est un potentiel de contestation. On ne sait pas comment il peut évoluer. Il suffit d'un grain de sable.
Qu'elle est le rôle de l'armée ?
- Pour la première fois dans l'histoire de l'Algérie indépendante, il y a le risque d'implication de l'armée dans des comportements claniques, un risque qui pèse sur l'unité de l'armée, le dernier rempart. Excepté, la nomination du chef d'Etat-major, Abdelaziz Bouteflika avait fait un parcours sans faute concernant l'armée. Il avait favorisé son rajeunissement, et plus ou moins sa professionnalisation. Il n'a pas touché à l'équilibre issu de l'héritage politique qui fait que la plupart des officiers sont issus de l'est du pays. Mais depuis quelques temps le problème se pose, car Abdelaziz Bouteflika a nommé un vice-ministre chef d'Etat-major sur des critères subjectifs apparemment pour contrôler politiquement l'armée et non pas pour en faire un instrument moderne. Ensuite, il a favorisé certaines rivalités qui ont failli déboucher sur une division entre l'armée et les services de renseignements.
Quel est l'enjeu de ce scrutin qu'on dit joué d'avance ?
- Le scrutin du 17 avril, n'est pas, de mon point de vue, véritablement l'enjeu. Abdelaziz Bouteflika a mis un dispositif de personnes-clés, parmi eux, les ministres de l'Intérieur, de la Justice et le président du Conseil constitutionnel. Les analystes politiques considèrent que la participation mobilisera 10% de la population. Mais cela ne doit pas les déranger puisqu'ils sont dans une politique de la terre brûlée où la fin justifie les moyens.
Si le 17 avril ne constitue pas un enjeu, la situation qui va venir après est la situation de tous les dangers. A mon avis le système actuel n'est pas capable de répondre aux défis. C'est pour cela que dans la classe politique et dans l'opinion publique, il y a un appel pour une véritable transition démocratique qui puisse aller vers l'avènement de la démocratie et d'une deuxième république considérant que le système algérien tel qu'il a fonctionné jusqu'à présent est confronté à ses propres limites. La période de transition s'est arrêtée en 1992, avec l'irruption du Front islamique du salut (FIS). On n'a pas jamais repris ce processus.
Les Algériens votent pour élire le président ce jeudi 17 avril. Un scrutin dans lequel Abdelaziz Bouteflika, président sortant de 77 ans affaibli par la maladie, est archi-favori. Mohamed Chafik Mesbah, ancien officier des services de renseignements, dresse un constat du système algérien, de l'élection de Bouteflika à 1999 à ce qui sera, peut-être, sa succession. Interview.
A quoi ressemble le "système" aujourd'hui en Algérie ?
- Le système algérien est une "dictature molle". Elle n'a pas de logique interne, sinon la conservation du pouvoir. On n'utilise pas la violence de manière excessive. Lors des manifestations actuelles, la police intervient mais elle a instruction de ne pas utiliser les armes. Mais un dérapage est possible. Si on compare à la période du parti unique, cela fonctionnait mieux. Il y avait un minimum de démocratie interne. Au sein du FLN, il y avait du débat. Aujourd'hui, il n'y a pas de stratégie, il n'y a pas de projet national.
Où se place le président sortant Abdelaziz Bouteflika dans ce système dans lequel l'armée et les services de renseignements ont traditionnellement le pouvoir ?
- Le clan présidentiel se compose d'Abdelaziz Bouteflika, de son frère et de ceux que j'appelle les "baltaguia", des prédateurs de l'économie qui ne sont pas des entrepreneurs mais des arrivistes, des spéculateurs. Ils ont cette caractéristique qu'ils ont accès à la diffusion politique. Ils font partie du cercle qui a pris le dessus sur l'administration publique et qui risque de prendre le dessus sur l'armée et les services de renseignements.
Je suis hostile à Abdelaziz Bouteflika, mais je lui reconnais du talent tactique. Il a eu la capacité de manœuvrer à l'intérieur du système mais pas pour un objectif stratégique mais pour conserver le pouvoir.
Bouteflika a nommé un chef d'Etat-major, vice-ministre de la Défense nationale, Gaïd Salah, qui lui voue une loyauté indéfectible. C'est une gestion basée sur la soumission. En l'absence d'Abdelaziz Bouteflika en raison de sa maladie, c'est son frère qui est l'alter-ego. Nous avons donc un cas de figure aberrant où le conseiller du président, son frère, n'a aucun mandat électif et arrive à influer sur les militaires. Il y a des risques de dérives importantes
Abdelaziz Bouteflika est arrivé comme un homme providentiel en 1999, à la fin des années de terrorisme. A-t-il déçu ?
- Abdelaziz Bouteflika n'a jamais eu de conviction démocratique. Il est arrivé par un coup de force. Dès le départ, il ne fallait pas se faire d'illusions. Les militaires étaient en faveur d'une évolution vers un système démocratique et l'acceptation de réformes économiques. Ils se sont trompés sur Abdelaziz Bouteflika. J'ai l'ai connu lorsqu'il était ministre des Affaires étrangères, je pensais lors du premier mandat qu'il avait la capacité de tirer les enseignements de l'histoire, qu'il pourrait s'adapter, malgré mes réserves. Mais il est habité par une passion morbide du pouvoir sans aucun projet stratégique.
Comment Abdelaziz Bouteflika a réussi à se maintenir ?
- Le cercle présidentiel à trois atouts. D'abord, il dispose d'une manne financière importante. Ensuite, il dispose de l'appui implicite de la communauté occidentale et particulièrement de la France qui agit avec légèreté malgré la position stratégique de l'Algérie, porte d'accès pour le monde arabe et l'Afrique. La France est focalisée sur deux aspects, l'intérêt commercial et sécuritaire. Depuis l'élection de François Hollande, cela s'est accentué. Paris fait l'impasse sur le peuple algérien et a choisi de traiter uniquement avec le pouvoir public comme si le peuple algérien n'existait pas.
Le troisième atout est que la société algérienne est, je ne dirai pas démobilisée, mais mal encadrée. Il n'y a pas un jour en Algérie où il n'y a pas une manifestation, une contestation dans un village, dans une ville ou dans un hameau. Ces colères ne se sont pas agrégées mais cela va venir. Pour le moment, Abdelaziz Bouteflika profite de sa moisson. On a une société livrée à elle-même sans encadrement. Le danger c'est que demain s'il y a un soulèvement, il sera mal encadré et va déboucher sur des jacqueries. Les responsables politiques d'aujourd'hui sont passibles demain de trahison.
Pour quels motifs ?
- Il y a une possibilité réelle de désintégration territoriale. Il y a des signes manifestes : les populations du sud contestent, il y a un sentiment d'injustice qui se développe chez ces populations qui estiment qu'elles sont des laissés-pour comptes dans cette répartition anarchique des richesses nationales. Le risque de dislocation de la cohésion sociale est réel d'un point de vue économique et régional. On a bien vu comment la blague de Sellal (l'un des 7 représentants de Bouteflika) sur les populations Chaouis a réveillé des colères régionales. Si vous mettez ces problèmes les uns à côté des autres, le sud, les Aurès, la Kabylie, traditionnellement foyer de révolte, c'est un potentiel de contestation. On ne sait pas comment il peut évoluer. Il suffit d'un grain de sable.
Qu'elle est le rôle de l'armée ?
- Pour la première fois dans l'histoire de l'Algérie indépendante, il y a le risque d'implication de l'armée dans des comportements claniques, un risque qui pèse sur l'unité de l'armée, le dernier rempart. Excepté, la nomination du chef d'Etat-major, Abdelaziz Bouteflika avait fait un parcours sans faute concernant l'armée. Il avait favorisé son rajeunissement, et plus ou moins sa professionnalisation. Il n'a pas touché à l'équilibre issu de l'héritage politique qui fait que la plupart des officiers sont issus de l'est du pays. Mais depuis quelques temps le problème se pose, car Abdelaziz Bouteflika a nommé un vice-ministre chef d'Etat-major sur des critères subjectifs apparemment pour contrôler politiquement l'armée et non pas pour en faire un instrument moderne. Ensuite, il a favorisé certaines rivalités qui ont failli déboucher sur une division entre l'armée et les services de renseignements.
Quel est l'enjeu de ce scrutin qu'on dit joué d'avance ?
- Le scrutin du 17 avril, n'est pas, de mon point de vue, véritablement l'enjeu. Abdelaziz Bouteflika a mis un dispositif de personnes-clés, parmi eux, les ministres de l'Intérieur, de la Justice et le président du Conseil constitutionnel. Les analystes politiques considèrent que la participation mobilisera 10% de la population. Mais cela ne doit pas les déranger puisqu'ils sont dans une politique de la terre brûlée où la fin justifie les moyens.
Si le 17 avril ne constitue pas un enjeu, la situation qui va venir après est la situation de tous les dangers. A mon avis le système actuel n'est pas capable de répondre aux défis. C'est pour cela que dans la classe politique et dans l'opinion publique, il y a un appel pour une véritable transition démocratique qui puisse aller vers l'avènement de la démocratie et d'une deuxième république considérant que le système algérien tel qu'il a fonctionné jusqu'à présent est confronté à ses propres limites. La période de transition s'est arrêtée en 1992, avec l'irruption du Front islamique du salut (FIS). On n'a pas jamais repris ce processus.
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