Elle est arrivée à Paris avec un visa de tourisme. Et elle est restée. D’abord chez une cousine qui lui a fait sentir le coup de main : pendant un an, elle a servi de bonne, cuisinière, nounou en échange d’un matelas dans la chambre des enfants.
Aujourd’hui, elle a des papiers (français), un mari qu’elle a fait venir d’Algérie – et qui lui en est reconnaissant –, un poste d’assistante de direction, 3 500 euros net par mois avec « la confiance absolue de [son] boss ».
Selma (le prénom a été changé) fait bien plus que ses 35 ans. Elle en avait 29 quand elle a quitté la banlieue d’Oran. L’avenir avait fini par se rétrécir à la seule perspective de s’occuper de ses vieux parents. Elle énumère :
A Paris, quand elle faisait la bonne chez sa cousine, Selma s’est liée avec « toutes les femmes d’apparence étrangère » du quartier pour décrocher des ménages, des gardes de personnes âgées ou d’enfants. Elle s’est fait des copines « formidables », africaines, indiennes, latino-américaines. En travaillant dur, jour et nuit, elle a réussi à mettre plusieurs dizaines de milliers d’euros de côté et à se rendre indispensable auprès de plusieurs « patrons ». C’est le gendre d’une dame handicapée dont elle s’occupait qui l’a recrutée comme assistante.
Selma a payé cher ses papiers (un mariage blanc avec un Français d’origine algérienne, 20 000 euros ; plus des dettes, près de 15 000, qu’il lui a laissées), a trouvé un beau logement « par une personne de confiance, un docteur, le frère d’une ex-patronne » et invité tous ceux qui l’avaient aidée à son mariage. C’était il y a un an.
Aujourd’hui, elle est respectée, ici et là-bas, où elle paye les frais de scolarité de ses neveux, étudiants. Elle est « arrivée ».
Objectif : « Cinq ans de “travaux forcés” »
En Algérie, le rêve européen est de plus en plus l’histoire de femmes seules qui partent, elles aussi, tenter leur chance de l’autre coté de la Méditerranée. Certaines s’en vont pour échapper à un destin matrimonial déprimant, la plupart pour se « réaliser ».
« Je viens d’une ville de province algérienne. Au début, l’idée de partir n’a jamais été un projet. J’étais à des années-lumière de penser prendre ce chemin de l’exil », raconte Dehbia, l’une de ces « rescapées » : elle est aujourd’hui fonctionnaire dans l’éducation en France, mariée et heureuse de son parcours.
Son exil a débuté il y a déjà quinze ans. Après un mariage raté et un divorce pénible en Algérie. Elle décide de tout quitter et se retrouve seule en France, avec son diplôme universitaire, un atout qui lui permettra de séjourner régulièrement. Inscrite en master puis en doctorat, entre-temps, elle accepte des petits boulots et « bossait de 6h30 à 22 heures » :
Vivre loin des siens et dans une grande métropole, c’est aussi vivre les affres de la solitude affective. Dehbia :
Nesrine est aujourd’hui une femme comblée qui vit avec son mari et sa fille à Paris. La vie d’« immigrée », elle ne l’envisageait pas quand elle a entamé ses premiers semestres universitaires dans une grande ville de l’est algérien. A l’époque, le mot « émigration » la faisait sourire parce qu’il évoquait les périodes de vacances lorsque les cousins d’outre-mer venaient passer des jours au bled.
Pourtant, à la fin de ses études, elle se retrouve malgré elle embarquée pour l’Hexagone.
Elle enchaîne les petits boulots avant qu’un employeur ne lui propose un poste à temps plein qu’elle accepte sans hésiter. Elle travaille aujourd’hui dans le domaine de la formation d’adultes, s’est mariée en 2003 avec un Français (d’origine algérienne, né ici ) et elle vient d’adopter une petite fille en Algérie.
« Le pays mérite mieux que ça »
Pour elle, la « plus grande » difficulté fut l’éloignement de la famille proche. « Mais si c’était à refaire, oui, je le referai sans hésitation », dit Nesrine qui suit la situation en Algérie avec beaucoup d’intérêt :
Aujourd’hui, elle a des papiers (français), un mari qu’elle a fait venir d’Algérie – et qui lui en est reconnaissant –, un poste d’assistante de direction, 3 500 euros net par mois avec « la confiance absolue de [son] boss ».
Selma (le prénom a été changé) fait bien plus que ses 35 ans. Elle en avait 29 quand elle a quitté la banlieue d’Oran. L’avenir avait fini par se rétrécir à la seule perspective de s’occuper de ses vieux parents. Elle énumère :
« J’ai une licence d’anglais, je ne suis pas belle, j’ai eu une maladie qui rend très aléatoire mes chances d’avoir un enfant, ma famille n’a pas d’argent ni de relations, donc zéro chance de trouver un mari et un boulot potables. »
20 000 euros le mariage blancA Paris, quand elle faisait la bonne chez sa cousine, Selma s’est liée avec « toutes les femmes d’apparence étrangère » du quartier pour décrocher des ménages, des gardes de personnes âgées ou d’enfants. Elle s’est fait des copines « formidables », africaines, indiennes, latino-américaines. En travaillant dur, jour et nuit, elle a réussi à mettre plusieurs dizaines de milliers d’euros de côté et à se rendre indispensable auprès de plusieurs « patrons ». C’est le gendre d’une dame handicapée dont elle s’occupait qui l’a recrutée comme assistante.
Selma a payé cher ses papiers (un mariage blanc avec un Français d’origine algérienne, 20 000 euros ; plus des dettes, près de 15 000, qu’il lui a laissées), a trouvé un beau logement « par une personne de confiance, un docteur, le frère d’une ex-patronne » et invité tous ceux qui l’avaient aidée à son mariage. C’était il y a un an.
Aujourd’hui, elle est respectée, ici et là-bas, où elle paye les frais de scolarité de ses neveux, étudiants. Elle est « arrivée ».
Objectif : « Cinq ans de “travaux forcés” »
En Algérie, le rêve européen est de plus en plus l’histoire de femmes seules qui partent, elles aussi, tenter leur chance de l’autre coté de la Méditerranée. Certaines s’en vont pour échapper à un destin matrimonial déprimant, la plupart pour se « réaliser ».
« Je viens d’une ville de province algérienne. Au début, l’idée de partir n’a jamais été un projet. J’étais à des années-lumière de penser prendre ce chemin de l’exil », raconte Dehbia, l’une de ces « rescapées » : elle est aujourd’hui fonctionnaire dans l’éducation en France, mariée et heureuse de son parcours.
Son exil a débuté il y a déjà quinze ans. Après un mariage raté et un divorce pénible en Algérie. Elle décide de tout quitter et se retrouve seule en France, avec son diplôme universitaire, un atout qui lui permettra de séjourner régulièrement. Inscrite en master puis en doctorat, entre-temps, elle accepte des petits boulots et « bossait de 6h30 à 22 heures » :
« A cette époque, je me suis fixée un objectif : cinq ans de “travaux forcés” ; si je réussis, je reste, autrement je rentre. »
Le comportement de ses compatriotes très peu solidaires l’a blessée. Le mépris, teinté de racisme ambiant, aussi :« A l’ANPE, on m’a proposé un emploi de femme de ménage, que j’ai refusé.
Alors qu’il avait sous les yeux mon diplôme de master 2 et CV de deux pages ; il me demandait si je savais lire. »
Dehbia : « Aucun Algérien n’a voulu de moi »Alors qu’il avait sous les yeux mon diplôme de master 2 et CV de deux pages ; il me demandait si je savais lire. »
Vivre loin des siens et dans une grande métropole, c’est aussi vivre les affres de la solitude affective. Dehbia :
« Les Algériens de France recherchent des femmes très jeunes ou des Françaises quel que soit leur âge.
Nos hommes manifestent une forme de complexe que je n’ai pas encore réussi à comprendre. J’aurais préféré vivre avec un Algérien car tout nous rapproche. Personne n’a voulu de moi.
Je vis avec un Allemand et il me traite comme une reine. »
Sur son exil et celui de ses compatriotes algériennes, elle a un avis partagé par la plupart des femmes rencontrées pour cette enquête :Nos hommes manifestent une forme de complexe que je n’ai pas encore réussi à comprendre. J’aurais préféré vivre avec un Algérien car tout nous rapproche. Personne n’a voulu de moi.
Je vis avec un Allemand et il me traite comme une reine. »
« Si beaucoup de femmes veulent s’exiler, c’est parce que la société algérienne est sclérosée. Mais la femme vit d’autres problèmes que les hommes ne connaissent pas.
Le problème sentimental est majeur pour celles qui ont dépassé un certain âge ou celles qui ont divorcé : elles sont “périmées”, tout juste bonnes au plaisir éphémère ou carrément reléguées. En Algérie, on ne peut être que mère. La femme, elle, est reniée. »
Nesrine : « J’étouffais sur tous les plans »Le problème sentimental est majeur pour celles qui ont dépassé un certain âge ou celles qui ont divorcé : elles sont “périmées”, tout juste bonnes au plaisir éphémère ou carrément reléguées. En Algérie, on ne peut être que mère. La femme, elle, est reniée. »
Nesrine est aujourd’hui une femme comblée qui vit avec son mari et sa fille à Paris. La vie d’« immigrée », elle ne l’envisageait pas quand elle a entamé ses premiers semestres universitaires dans une grande ville de l’est algérien. A l’époque, le mot « émigration » la faisait sourire parce qu’il évoquait les périodes de vacances lorsque les cousins d’outre-mer venaient passer des jours au bled.
Pourtant, à la fin de ses études, elle se retrouve malgré elle embarquée pour l’Hexagone.
« J’étouffais sur tous les plans : peu de perspectives professionnelles et carcan familial pas le pire qui soit, mais une femme de 25 ans n’est pas libre, surtout dans une petite ville. »
Octobre 1994. Avec une licence de français en poche, elle prend un aller-simple direction Paris où elle s’inscrit à l’université pour un DEA en sciences du langage et une thèse qu’elle ne soutiendra jamais.Elle enchaîne les petits boulots avant qu’un employeur ne lui propose un poste à temps plein qu’elle accepte sans hésiter. Elle travaille aujourd’hui dans le domaine de la formation d’adultes, s’est mariée en 2003 avec un Français (d’origine algérienne, né ici ) et elle vient d’adopter une petite fille en Algérie.
« Le pays mérite mieux que ça »
Pour elle, la « plus grande » difficulté fut l’éloignement de la famille proche. « Mais si c’était à refaire, oui, je le referai sans hésitation », dit Nesrine qui suit la situation en Algérie avec beaucoup d’intérêt :
« Le pays mérite mieux que ça. J’aimerais pouvoir mettre les compétences acquises au profit de mon pays. »
Pour Kenza, qui vit dans une capitale européenne avec son mari, un Français qu’elle a rencontré à l’université, ce n’est pas un mystère si tant de femmes en Algérie quittent leur pays : « L’absence d’avenir professionnel, le regard de la société algérienne à l’égard des femmes, et le contexte politique. » « La candidature de Bouteflika, un homme vieux et malade aux élections présidentielles en est un exemple flagrant. »
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