Le secret Chakib Khelil (1)
Mohamed Benchicou
Facebook Tweet Google + envoyer à un ami IMPRIMERCOMMENTER
C’est l’une des extravagances de cette époque sans morale que de ne plus s’étonner ni de s’émouvoir d’aucune crapulerie, à commencer par celles qui sont le fait de nos dirigeants, c'est-à-dire ceux-là même qui ont la charge de faire respecter la loi et, autant que faire se peut, la morale.
Pourtant, si elle venait à se confirmer, l’information selon laquelle le gouvernement algérien a retiré le mandat d’arrêt international contre l’ancien ministre de l’Énergie et des Mines, Chakib Khelil, devrait profondément nous interpeller. Elle serait le signe absolu non plus seulement de la décomposition du pouvoir mais, en quelque sorte, de sa recomposition autour de la prédation.
Autrement dit, l’Algérie, avant même le quatrième mandat de Bouteflika, serait déjà sous la coupe d’une oligarchie mafieuse, c'est à dire un régime dans lequel le pouvoir appartient à un petit groupe de personnes privilégiant essentiellement leur intérêt personnel. Ce qui distingue cette oligarchie de celles qui l’ont précédée est une remarquable incongruité : les anciennes oligarchies sous Boumediene, Chadli ou même Zéroual (avec l’épisode Betchine) s’appuyaient sur un État fort et autoritaire pour exercer leur hégémonie ; les clans mafieux d’aujourd’hui profitent d’un pouvoir faible pour prospérer et s’installer au sein des rouages de l’État déliquescent.
C’est le syndrome eltsinien sans la puissance russe : l’État est impuissant à jouer son rôle d'arbitre indispensable à toute société, entraînant une vacance de pouvoir lequel pouvoir tombe, de facto, entre les mains de bandes organisées. La gouvernance, ou ce qu’il faut désigner comme telle, se transforme alors en « gestion du butin » et le mot d’ordre central se résume en un mot : impunité. C’est cette mission qui s’impose à tous, du président de la République jusqu’au commis de l’État local. Le lauréat doit savoir, avant tout, protéger les amis.
L’édifice du pouvoir se comprend avant tout comme une muraille solidaire qui doit abriter la kleptocratie contre toute mauvaise surprise. Je crois bien que c’est le sens à donner aux derniers réaménagements gouvernementaux et ceux qui ont concerné le FLN, dont on sait qu’il est dirigé par un personnage désigné non plus par ce que l’on a appelé le cabinet noir, c’est-à-dire la hiérarchie militaire et les services, mais par une assemblée de milliardaires enrichis sous Bouteflika.
L’État algérien, ou ce qu’il en reste, n’a plus d’autorité face aux coteries qui l’ont vidé de l’intérieur. C’est la voie ouverte à une dictature débridée ! Il n’y a qu’à se rappeler comment le sieur Amar Saadani a été parachuté à la tête du FLN : par l’humiliation du Conseil d’État, instance suprême de la justice, qui avait interdit la réunion de cooptation, mais dont on a annulé la décision par une décision d’une structure subalterne, le tribunal administratif de Bir Mourad Raïs. Or, l’artisan de ce camouflet contre les institutions de la justice algérienne vient d’être nommé ministre de la Justice ! C’est dire ce dont le clan prédateur est capable. Puisque son salut doit passer par l’affaiblissement de l’État, et ben soit, on affaiblira l’État !
Dans une récente chronique, nous avions fait remarquer que, depuis la nomination du nouveau gouvernement, on n’entend plus parler des poursuites judiciaires contre les ministres délinquants. « C’est à peine si quelques-uns parmi nous ont souvenance d’un vague ministre du pétrole recherché par la justice italienne et par Interpol pour avoir, le bienheureux, collectionné durant les dix dernières années, propriétés dans l’État du Maryland et placements bancaires. C’est dire le changement de style ! C’est pourquoi petits et grands voleurs militent pour la gouvernance en pyjama pour cinq autres années, le temps que les amis se fassent oublier. Pour l’heure, avec Tayeb Louh à la Justice, celui du discours déchirant d’Abuja, les voleurs ne risquent rien. »
On y est ! « Le gouvernement veut-il étouffer l’affaire Chakib Khelil ? », a candidement demandé un député. Tayeb Louh, le nouveau ministre de la Justice, refuse de lui répondre. Mieux : une source du gouvernement non identifiée lui a fait savoir qu’il n’avait nullement le droit de s’immiscer dans le travail de la justice. Et pour cause : cette besogne est réservée au clan ! Sauver Chakib Khelil est une impérieuse nécessité pour la sauvegarde même du cercle présidentiel. Il sait trop de choses. Mais le secret Chakib Khelil, c’est bien d’autres choses encore. Nous y reviendrons dans la deuxième chronique consacrée à ce personnage dont l’histoire gardera que, avec lui plus qu’avec aucun autre, le pétrole a mérité de s’appeler l’or noir.
Mohamed Benchicou
Facebook Tweet Google + envoyer à un ami IMPRIMERCOMMENTER
C’est l’une des extravagances de cette époque sans morale que de ne plus s’étonner ni de s’émouvoir d’aucune crapulerie, à commencer par celles qui sont le fait de nos dirigeants, c'est-à-dire ceux-là même qui ont la charge de faire respecter la loi et, autant que faire se peut, la morale.
Pourtant, si elle venait à se confirmer, l’information selon laquelle le gouvernement algérien a retiré le mandat d’arrêt international contre l’ancien ministre de l’Énergie et des Mines, Chakib Khelil, devrait profondément nous interpeller. Elle serait le signe absolu non plus seulement de la décomposition du pouvoir mais, en quelque sorte, de sa recomposition autour de la prédation.
Autrement dit, l’Algérie, avant même le quatrième mandat de Bouteflika, serait déjà sous la coupe d’une oligarchie mafieuse, c'est à dire un régime dans lequel le pouvoir appartient à un petit groupe de personnes privilégiant essentiellement leur intérêt personnel. Ce qui distingue cette oligarchie de celles qui l’ont précédée est une remarquable incongruité : les anciennes oligarchies sous Boumediene, Chadli ou même Zéroual (avec l’épisode Betchine) s’appuyaient sur un État fort et autoritaire pour exercer leur hégémonie ; les clans mafieux d’aujourd’hui profitent d’un pouvoir faible pour prospérer et s’installer au sein des rouages de l’État déliquescent.
C’est le syndrome eltsinien sans la puissance russe : l’État est impuissant à jouer son rôle d'arbitre indispensable à toute société, entraînant une vacance de pouvoir lequel pouvoir tombe, de facto, entre les mains de bandes organisées. La gouvernance, ou ce qu’il faut désigner comme telle, se transforme alors en « gestion du butin » et le mot d’ordre central se résume en un mot : impunité. C’est cette mission qui s’impose à tous, du président de la République jusqu’au commis de l’État local. Le lauréat doit savoir, avant tout, protéger les amis.
L’édifice du pouvoir se comprend avant tout comme une muraille solidaire qui doit abriter la kleptocratie contre toute mauvaise surprise. Je crois bien que c’est le sens à donner aux derniers réaménagements gouvernementaux et ceux qui ont concerné le FLN, dont on sait qu’il est dirigé par un personnage désigné non plus par ce que l’on a appelé le cabinet noir, c’est-à-dire la hiérarchie militaire et les services, mais par une assemblée de milliardaires enrichis sous Bouteflika.
L’État algérien, ou ce qu’il en reste, n’a plus d’autorité face aux coteries qui l’ont vidé de l’intérieur. C’est la voie ouverte à une dictature débridée ! Il n’y a qu’à se rappeler comment le sieur Amar Saadani a été parachuté à la tête du FLN : par l’humiliation du Conseil d’État, instance suprême de la justice, qui avait interdit la réunion de cooptation, mais dont on a annulé la décision par une décision d’une structure subalterne, le tribunal administratif de Bir Mourad Raïs. Or, l’artisan de ce camouflet contre les institutions de la justice algérienne vient d’être nommé ministre de la Justice ! C’est dire ce dont le clan prédateur est capable. Puisque son salut doit passer par l’affaiblissement de l’État, et ben soit, on affaiblira l’État !
Dans une récente chronique, nous avions fait remarquer que, depuis la nomination du nouveau gouvernement, on n’entend plus parler des poursuites judiciaires contre les ministres délinquants. « C’est à peine si quelques-uns parmi nous ont souvenance d’un vague ministre du pétrole recherché par la justice italienne et par Interpol pour avoir, le bienheureux, collectionné durant les dix dernières années, propriétés dans l’État du Maryland et placements bancaires. C’est dire le changement de style ! C’est pourquoi petits et grands voleurs militent pour la gouvernance en pyjama pour cinq autres années, le temps que les amis se fassent oublier. Pour l’heure, avec Tayeb Louh à la Justice, celui du discours déchirant d’Abuja, les voleurs ne risquent rien. »
On y est ! « Le gouvernement veut-il étouffer l’affaire Chakib Khelil ? », a candidement demandé un député. Tayeb Louh, le nouveau ministre de la Justice, refuse de lui répondre. Mieux : une source du gouvernement non identifiée lui a fait savoir qu’il n’avait nullement le droit de s’immiscer dans le travail de la justice. Et pour cause : cette besogne est réservée au clan ! Sauver Chakib Khelil est une impérieuse nécessité pour la sauvegarde même du cercle présidentiel. Il sait trop de choses. Mais le secret Chakib Khelil, c’est bien d’autres choses encore. Nous y reviendrons dans la deuxième chronique consacrée à ce personnage dont l’histoire gardera que, avec lui plus qu’avec aucun autre, le pétrole a mérité de s’appeler l’or noir.
Commentaire