Dans une lettre ouverte que j’avais adressée aux enquêteurs du DRS en janvier 2010, je leur avais indiqué 4 pistes auxquelles ils devraient s’intéresser tout particulièrement ; il s’agissait des contrats passés par Sonatrach avec les sociétés Saipem, SNC-Lavalin, Orascom, la quatrième piste se rapportant, elle, aux ventes de pétrole.
J’avais aussi souligné que ces enquêteurs semblaient bridés, car ils ne s’intéressaient alors qu’aux seconds couteaux que sont les managers de Sonatrach, alors que les grosses affaires de corruption sont menées et couvertes par la très haute hiérarchie du pouvoir. Je leur avais également suggéré de s’intéresser tout particulièrement aux cas de ces enfants de très hauts responsables, qui réalisaient depuis l’étranger de grosses affaires grâce au coup de pouce du papa occupant de hautes fonctions dans l’appareil économique algérien. J’ai, plus tard en décembre 2012 et en février 2013, publié deux autres lettres ouvertes, l’une aux enquêteurs et une seconde à leur patron, le général de corps d’armée, Mohamed Tewfik Mediène, dans lesquelles j’ai fourni plus de détails sur les ventes de pétrole ; j’y avais également mentionné ces «Intouchables» du régime algérien, parmi lesquels on retrouve des ministres, des militaires de très haut rang, des hommes d’affaires véreux qui évoluent dans la coupole du pouvoir et «les membres d’une certaine fratrie».
Il aura fallu attendre trois années et demie, alors même que toutes ces pistes étaient bonnes, avant que la justice algérienne semble finalement se résoudre à se pencher plus sérieusement sur les affaires Saipem, SNC-Lavalin, Orascom et décide de lancer un mandat d’arrêt international contre Chakib Khelil, son épouse et ses enfants. On ne peut bien entendu que féliciter les magistrats qui ont permis ce résultat. Pas ceux du parquet d’Alger, mais ceux de Milan, sans lesquels nous aurions pu attendre encore longtemps avant que leurs collègues algériens n’avancent d’un iota dans la recherche de la vérité dans ces dossiers. L’affaire Khalifa, derrière laquelle il n’y avait pas de magistrats étrangers, est édifiante à cet égard. Durant ces trois années et demie, les principaux inculpés se sont évanouis dans la nature pour certains, ou ont été exfiltrés d’Algérie «sur ordre venu d’en haut» pour d’autres. Quant à la quatrième piste, celle relative aux ventes de pétrole, faudra-t-il attendre de nombreuses autres années avant que la justice de notre pays ne s’y intéresse et ne mette la main sur les véritables parrains d’une mafia qui a enveloppé de ses tentacules, non seulement les hydrocarbures, mais aussi de nombreux autres secteurs de l’économie nationale ? Une toute petite lueur d’espoir a cependant commencé à poindre à l’horizon.
Des articles parus dans la presse mentionnant des ventes au noir de quelques cargaisons de pétrole constituent, en effet, des tentatives encourageantes de recherche de la vérité. De même, le fait que certains journalistes aient cité le nom de Saïd Bouteflika, qu’ils considèrent être, pour ce qui est de la rapine opérée sur la manne pétrolière algérienne, le digne successeur du Cardinal, le général Larbi Belkheir, indique une bonne connaissance des hommes et des mœurs du sérail de la part de ces journalistes. Je ne peux, pour ma part, que les encourager à poursuivre leurs investigations dans ces deux directions, car ils ont commencé à approcher du cœur de la bête immonde.
Ce sont là deux excellentes pistes qu’ils doivent creuser encore et encore avant d’arriver à la zone chaude. Ils sont pour l’instant dans le tiède, car ces quelques ventes au noir ne constituent qu’une partie infime des détournements opérés dans la commercialisation du pétrole et du gaz durant les deux dernières décennies et Saïd Bouteflika n’est que l’un des parrains du système mafieux algérien.
C’est pourquoi je dirais à ces journalistes et à d’autres également, intéressez-vous aussi au clan d’en face. Regardez du côté de certains généraux-majors, regardez du côté du DRS : vous y découvrirez d’autres parrains tout aussi puissants.
Quant à la justice, elle semble avoir allumé une toute petite lumière, une lumière de bougie pour le moment, en évoquant une affaire «Sonatrach 3» portant sur l’activité de la filiale anglaise de Sonatrach. J’espère que ce dossier ne sera pas enterré avant même d’être ouvert, car ce qu’ont découvert ou entraperçu les magistrats n’est que le bout d’un long écheveau qui les mènera vers des marais nauséabonds dans lesquels baignent de très gros poissons algériens et étrangers. Il est là le véritable «Sonatrachgate». Ce long délai de trois ans et demi nous a confirmé à nous Algériens ce que nous savions déjà, à savoir que notre justice était aux ordres des puissants du régime, mais a aussi démontré aux pays auxquels on a demandé l’extradition de Chakib Khelil que l’on ne souhaitait surtout pas qu’ils donnent une suite positive à cette demande.
Les Etats-Unis en particulier. Comment voulez-vous qu’ils extradent un individu, que le pays qui en demande aujourd’hui avec désinvolture l’extradition, a laissé filer il y a peu de temps avec une telle facilité, alors même que de très sérieuses charges pesaient déjà sur lui ? Les Américains savent que les affirmations de la justice algérienne, selon lesquelles elle n’a pas jugé utile de l’empêcher de quitter le territoire national car elle n’avait rien à lui reprocher à cette date, sont du pipeau. Ils font certainement plus confiance aux magistrats italiens qui, eux, n’ont pas tergiversé, ont fait leur métier correctement et ont apporté sur un plateau à leurs collègues algériens ce qu’ils recherchaient depuis janvier 2010.
Ils ont bien compris que ces derniers ne voulaient tout simplement pas révéler la vérité, à savoir qu’un proche du Président était englué jusqu’au cou dans un scandale de corruption sans précédent. Et que ce scandale ne s’arrêterait pas au niveau de Khelil.
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