Écrit par Farid Allouache
Dans cette interview, Abdelhamid Boudaoud, président du Collège national des experts-architectes, revient sur le marché du logement en Algérie et soutient que la thèse de la crise du logement n’est pas fondée. Il reproche notamment aux communes de ne pas connaître leur patrimoine immobilier, comme il n’hésite pas à remettre en cause les chiffres officiels relatifs au nombre de logements réalisés. Entretien.
Reporters : L’Etat a pris un train de mesures pour régler le problème des constructions illicites et inachevées, qu’en est-il sur le terrain cinq après la promulgation de la loi de 2008 ?
Abdelhamid Boudaoud : L’initiative de l’Etat est louable, le ministère de l’Habitat, dont je ne doute pas de la volonté de prendre à bras-le-corps ce problème, n’a malheureusement pas de mainmise sur les collectivités locales. Lorsque la loi n°08/15 de 2008, portant mise en conformité des constructions et leur achèvement, a été prise, le ministre chargé de l’Habitat avait sillonné le territoire national à l’effet de sensibiliser les présidents d’APC, les chefs de daïra et les walis quant à la nécessité de procéder à la régularisation du maximum de constructions possibles. Tout le monde était d’accord. Mais il a fallu attendre 14 mois pour voir apparaître - cependant avec du retard - le décret exécutif. C’est à ce moment-là qu’on s’était rendu compte que les municipalités n’étaient pas prêtes pour s’attaquer à la racine du mal. Normalement, les collectivités locales dépendant d’une même wilaya devaient se réunir pour arrêter une stratégie commune. Or, malheureusement, aucun président d’APC n’a daigné se rapprocher de ses collègues. Chaque commune applique la loi à sa manière. Le ministre chargé de l’Habitat avait préconisé un bureau spécial, fonctionnel 7 jours sur 7. Les mairies, qu’est-ce qu’elles ont fait ? Elles ont ouvert des bureaux qui fonctionnent une demi-journée par semaine. Leur mission soi-disant est de réceptionner les dossiers. Les autres jours de la semaine étant consacrés à l’enquête.
Nous sommes contre cette manière de voir les choses. Les dossiers sont normalement élaborés par des architectes, ils renferment un reportage photographique et un rapport d’expertise. Si les agents ne font pas confiance à l’architecte, l’opération est vouée à l’échec. Au 31 décembre 2012, le ministre avait fait état du dépôt à l’échelle nationale de 150 000 dossiers. Si on répartit ces dossiers sur les 1 541 communes du pays, on a une moyenne de 94 dossiers par commune. Cela veut dire qu’en quatre ans, chaque commune n’a reçu que 94 dossiers. Le Collège national des experts-architectes (Cnea) a toujours appelé le gouvernement à aider les collectivités locales. De quelle manière ? Nous leur avons proposé un mécanisme pour contrôler le suivi de l’opération. Il suffit d’établir un tableau sur lequel on reporterait dans une colonne la date du dépôt du dossier par l’intéressé, une seconde colonne indiquerait la date d’envoi à la commission, et une troisième colonne ferait mention de la réponse de la commission. Ce tableau, qui doit faire l’objet d’un affichage public, aurait servi de publicité gratuite, où tout le monde aurait trouvé son compte. Quand les gens ont la latitude de prendre connaissance de l’identité des personnes ayant déposé un dossier et quand ils peuvent voir que des cas litigieux ont pu être solutionnés, ils s’investissent davantage. Or, des gens ont déposé des dossiers il y a de cela 3 ans, et jusqu’au jour d’aujourd’hui, ils n’ont reçu aucune réponse.
Dans tout ça, quelle attitude adoptent les citoyens ?
Non, non, je refuse d’appliquer le qualificatif de citoyens à ceux qui sont tout juste des usagers, des consommateurs. On n’a pas de citoyens, parce que le citoyen connaît ses droits et ses devoirs. On est le seul pays au monde où les collectivités locales attribuent des permis de construire avec une décision, alors qu’il existe une loi universelle qui stipule que le permis de construire est délivré sur présentation d’un acte de propriété dûment publié et enregistré. Qu’ont fait nos communes ? Elles ont octroyé des décisions (suppléant les actes) assorties du permis de construire. Il en est résulté que lorsque les usagers vont déposer le dossier de régularisation, la commune même qui avait délivré le permis de construire à madame ou à monsieur leur recommande de renoncer au dépôt du dossier au motif que ledit document n’est pas reconnu. L’usager se retrouve dans une impasse. Il a entre les mains une décision lui reconnaissant la possession d’un terrain, ainsi qu’un permis de construire, mais il ne peut faire appel à un architecte pour refaire les plans de l’existant, car il doit y joindre le permis de construire que l’APC dit ne pas reconnaître. L’administration ne reconnaît pas ses propres documents, forcément l’usager est acculé à tout abandonner. Cela dit, je regrette que le président de l’APC ne connaisse pas sa commune.
Pourquoi l’édile ne sillonne-t-il pas le territoire de sa municipalité, comme ailleurs dans le monde, pendant les week-ends ? Même les jours de réception, il ne reçoit pas, étant toujours en réunion. Le ministère de l’Habitat a mis en place un bureau de communication pour recueillir les doléances des usagers, mais le ministère n’a pas de mainmise sur les collectivités locales, qui dépendent du ministère de l’Intérieur. Si l’on veut réussir l’opération de régularisation sous réserve de prolonger les délais, il faut absolument une coordination étroite entre ces deux ministères, sinon l’affaire sera vouée à l’échec.
Est-ce que la régularisation concerne uniquement les constructions réalisées par les particuliers ou intéresse-t-elle aussi les constructions engagées par l’Etat ?
Justement, un arrêté interministériel daté du 4 janvier 2012 est venu enjoindre aux organismes publics de régulariser leur situation. Sachez, par exemple, que l’Université de Bab Ezzouar (USTHB) est illicite. Elle n’a ni permis de construire, ni acte de propriété, ni certificat de conformité. Idem pour toutes les infrastructures réalisées sur le territoire national depuis 1962 jusqu’à 2010. Les 300 usines, les cités d’habitation comme Garidi, Aïn Naâdja, Aïn Allah et toutes les autres, les écoles primaires, les collèges, les lycées, les universités, les hôpitaux, les ministères, les hôtels n’ont pas de papiers. Quand les particuliers ont appris à travers nos tables rondes que le secteur public ne se conformait pas à une loi faite en principe pour tout le monde, ils ont alors cessé de lui accorder trop d’importance. L’inertie des collectivités locales a fait le reste. On peut dire en deux mots que la loi n°08/15 de 2008 est une loi mort-née. Le ministère de l’Habitat a lancé une campagne publicitaire, mais elle n’a pas porté ses fruits. De notre point de vue, les communes devraient organiser des portes ouvertes pour sensibiliser la population. Aucune ne l’a fait. On a saisi dernièrement le ministère de l’Habitat pour lui demander de prolonger les délais, (car la loi a expiré le 19 juillet 2013), pour peu que les collectivités locales s’impliquent.
Connaît-on le nombre de constructions illicites ?
Il y aurait 1,2 million de bâtisses inachevées. Jusqu’au jour d’aujourd’hui, 10% environ des propriétaires de ces bâtisses ont déposé un dossier de régularisation. Je me souviens que dans les années 1970, quand quelqu’un demandait un permis de construire, il était tenu d’achever sa construction. Un permis de construire a une durée de validité de 3 ans et peut être prolongé d’une année. 4 ans en tout, c’est largement suffisant pour achever une villa. Malheureusement, les gens ont pris l’habitude depuis un certain temps de ne construire que le rez-de-chaussée qu’ils louent à des tiers. De ce fait, ils gagnent un argent fou et ils n’en ont cure du reste de la bâtisse. Le Collège national des experts-architectes ne peut s’empêcher de faire l’observation
suivante : si vraiment il y a une crise du logement, ces gens-là seraient intéressés par achever leurs maisons. Ça veut dire que les gens ont des logements ailleurs. Partout, on voit le rez-de-chaussée achevé et aménagé en magasins qu’on loue à des commerçants. Il y a une image qui se dégage, nos commerces ont des portails de foundouk, pour ne pas dire autre chose. Pas de cachet architectural ni d’urbanisme. On a perdu le sens de la construction et de la propreté depuis qu’on a supprimé le garde champêtre et le concierge. Ils étaient les deux yeux de l’administration. Mais ces deux yeux, on les a crevés.
Dans cette interview, Abdelhamid Boudaoud, président du Collège national des experts-architectes, revient sur le marché du logement en Algérie et soutient que la thèse de la crise du logement n’est pas fondée. Il reproche notamment aux communes de ne pas connaître leur patrimoine immobilier, comme il n’hésite pas à remettre en cause les chiffres officiels relatifs au nombre de logements réalisés. Entretien.
Reporters : L’Etat a pris un train de mesures pour régler le problème des constructions illicites et inachevées, qu’en est-il sur le terrain cinq après la promulgation de la loi de 2008 ?
Abdelhamid Boudaoud : L’initiative de l’Etat est louable, le ministère de l’Habitat, dont je ne doute pas de la volonté de prendre à bras-le-corps ce problème, n’a malheureusement pas de mainmise sur les collectivités locales. Lorsque la loi n°08/15 de 2008, portant mise en conformité des constructions et leur achèvement, a été prise, le ministre chargé de l’Habitat avait sillonné le territoire national à l’effet de sensibiliser les présidents d’APC, les chefs de daïra et les walis quant à la nécessité de procéder à la régularisation du maximum de constructions possibles. Tout le monde était d’accord. Mais il a fallu attendre 14 mois pour voir apparaître - cependant avec du retard - le décret exécutif. C’est à ce moment-là qu’on s’était rendu compte que les municipalités n’étaient pas prêtes pour s’attaquer à la racine du mal. Normalement, les collectivités locales dépendant d’une même wilaya devaient se réunir pour arrêter une stratégie commune. Or, malheureusement, aucun président d’APC n’a daigné se rapprocher de ses collègues. Chaque commune applique la loi à sa manière. Le ministre chargé de l’Habitat avait préconisé un bureau spécial, fonctionnel 7 jours sur 7. Les mairies, qu’est-ce qu’elles ont fait ? Elles ont ouvert des bureaux qui fonctionnent une demi-journée par semaine. Leur mission soi-disant est de réceptionner les dossiers. Les autres jours de la semaine étant consacrés à l’enquête.
Nous sommes contre cette manière de voir les choses. Les dossiers sont normalement élaborés par des architectes, ils renferment un reportage photographique et un rapport d’expertise. Si les agents ne font pas confiance à l’architecte, l’opération est vouée à l’échec. Au 31 décembre 2012, le ministre avait fait état du dépôt à l’échelle nationale de 150 000 dossiers. Si on répartit ces dossiers sur les 1 541 communes du pays, on a une moyenne de 94 dossiers par commune. Cela veut dire qu’en quatre ans, chaque commune n’a reçu que 94 dossiers. Le Collège national des experts-architectes (Cnea) a toujours appelé le gouvernement à aider les collectivités locales. De quelle manière ? Nous leur avons proposé un mécanisme pour contrôler le suivi de l’opération. Il suffit d’établir un tableau sur lequel on reporterait dans une colonne la date du dépôt du dossier par l’intéressé, une seconde colonne indiquerait la date d’envoi à la commission, et une troisième colonne ferait mention de la réponse de la commission. Ce tableau, qui doit faire l’objet d’un affichage public, aurait servi de publicité gratuite, où tout le monde aurait trouvé son compte. Quand les gens ont la latitude de prendre connaissance de l’identité des personnes ayant déposé un dossier et quand ils peuvent voir que des cas litigieux ont pu être solutionnés, ils s’investissent davantage. Or, des gens ont déposé des dossiers il y a de cela 3 ans, et jusqu’au jour d’aujourd’hui, ils n’ont reçu aucune réponse.
Dans tout ça, quelle attitude adoptent les citoyens ?
Non, non, je refuse d’appliquer le qualificatif de citoyens à ceux qui sont tout juste des usagers, des consommateurs. On n’a pas de citoyens, parce que le citoyen connaît ses droits et ses devoirs. On est le seul pays au monde où les collectivités locales attribuent des permis de construire avec une décision, alors qu’il existe une loi universelle qui stipule que le permis de construire est délivré sur présentation d’un acte de propriété dûment publié et enregistré. Qu’ont fait nos communes ? Elles ont octroyé des décisions (suppléant les actes) assorties du permis de construire. Il en est résulté que lorsque les usagers vont déposer le dossier de régularisation, la commune même qui avait délivré le permis de construire à madame ou à monsieur leur recommande de renoncer au dépôt du dossier au motif que ledit document n’est pas reconnu. L’usager se retrouve dans une impasse. Il a entre les mains une décision lui reconnaissant la possession d’un terrain, ainsi qu’un permis de construire, mais il ne peut faire appel à un architecte pour refaire les plans de l’existant, car il doit y joindre le permis de construire que l’APC dit ne pas reconnaître. L’administration ne reconnaît pas ses propres documents, forcément l’usager est acculé à tout abandonner. Cela dit, je regrette que le président de l’APC ne connaisse pas sa commune.
Pourquoi l’édile ne sillonne-t-il pas le territoire de sa municipalité, comme ailleurs dans le monde, pendant les week-ends ? Même les jours de réception, il ne reçoit pas, étant toujours en réunion. Le ministère de l’Habitat a mis en place un bureau de communication pour recueillir les doléances des usagers, mais le ministère n’a pas de mainmise sur les collectivités locales, qui dépendent du ministère de l’Intérieur. Si l’on veut réussir l’opération de régularisation sous réserve de prolonger les délais, il faut absolument une coordination étroite entre ces deux ministères, sinon l’affaire sera vouée à l’échec.
Est-ce que la régularisation concerne uniquement les constructions réalisées par les particuliers ou intéresse-t-elle aussi les constructions engagées par l’Etat ?
Justement, un arrêté interministériel daté du 4 janvier 2012 est venu enjoindre aux organismes publics de régulariser leur situation. Sachez, par exemple, que l’Université de Bab Ezzouar (USTHB) est illicite. Elle n’a ni permis de construire, ni acte de propriété, ni certificat de conformité. Idem pour toutes les infrastructures réalisées sur le territoire national depuis 1962 jusqu’à 2010. Les 300 usines, les cités d’habitation comme Garidi, Aïn Naâdja, Aïn Allah et toutes les autres, les écoles primaires, les collèges, les lycées, les universités, les hôpitaux, les ministères, les hôtels n’ont pas de papiers. Quand les particuliers ont appris à travers nos tables rondes que le secteur public ne se conformait pas à une loi faite en principe pour tout le monde, ils ont alors cessé de lui accorder trop d’importance. L’inertie des collectivités locales a fait le reste. On peut dire en deux mots que la loi n°08/15 de 2008 est une loi mort-née. Le ministère de l’Habitat a lancé une campagne publicitaire, mais elle n’a pas porté ses fruits. De notre point de vue, les communes devraient organiser des portes ouvertes pour sensibiliser la population. Aucune ne l’a fait. On a saisi dernièrement le ministère de l’Habitat pour lui demander de prolonger les délais, (car la loi a expiré le 19 juillet 2013), pour peu que les collectivités locales s’impliquent.
Connaît-on le nombre de constructions illicites ?
Il y aurait 1,2 million de bâtisses inachevées. Jusqu’au jour d’aujourd’hui, 10% environ des propriétaires de ces bâtisses ont déposé un dossier de régularisation. Je me souviens que dans les années 1970, quand quelqu’un demandait un permis de construire, il était tenu d’achever sa construction. Un permis de construire a une durée de validité de 3 ans et peut être prolongé d’une année. 4 ans en tout, c’est largement suffisant pour achever une villa. Malheureusement, les gens ont pris l’habitude depuis un certain temps de ne construire que le rez-de-chaussée qu’ils louent à des tiers. De ce fait, ils gagnent un argent fou et ils n’en ont cure du reste de la bâtisse. Le Collège national des experts-architectes ne peut s’empêcher de faire l’observation
suivante : si vraiment il y a une crise du logement, ces gens-là seraient intéressés par achever leurs maisons. Ça veut dire que les gens ont des logements ailleurs. Partout, on voit le rez-de-chaussée achevé et aménagé en magasins qu’on loue à des commerçants. Il y a une image qui se dégage, nos commerces ont des portails de foundouk, pour ne pas dire autre chose. Pas de cachet architectural ni d’urbanisme. On a perdu le sens de la construction et de la propreté depuis qu’on a supprimé le garde champêtre et le concierge. Ils étaient les deux yeux de l’administration. Mais ces deux yeux, on les a crevés.
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