Si la Grande Muette reste l'un des piliers du régime algérien, l'institution évolue. Vingt ans après l'interruption du processus électoral, le changement de génération dans l'état-major de l'armée algérienne et l'évolution du rapport des forces au sein du pouvoir ont modifié la donne.
C'était il y a un peu plus de vingt ans. L'Armée nationale populaire (ANP), rouage essentiel dans le système qui gouverne l'Algerie depuis l'indépendance, interrompait un processus électoral qui devait conduire à un raz-de-marée islamiste et contraignait le président Chadli Bendjedid à la démission après avoir obtenu de lui la dissolution du Parlement. Nous étions le 11 janvier 1992. Le pays basculait dans le vide. Mais aujourd'hui – alors que se profile a nouveau une poussée islamiste par les urnes aux elections legislatives de mai 2012 –, il est peu probable que les militaires optent pour une intrusion aussi directe dans la vie politique. Les temps ont changé. « Le caractère républicain de l'État et le multipartisme ont été sanctifiés par la révision de la Constitution de novembre 2008, assure un général-major, ce n'était pas le cas en 1992. Autre différence de taille par rapport à l'épisode du le Front Islamique du Salut(fis), l'édifice institutionnel comprend, aujourd'hui, un Sénat qui ferait contrepoids à une Assemblée tenue par des islamistes. » En Algérie, l'armée reste un pilier du régime, vigilant et attentif.
L'élimination, le 2 janvier, de Moh el-Khechkhach, numéro deux d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) en Kabylie, est un sérieux coup porté à l'ennemi principal : l'islamisme armé. Recherché depuis des années, le commanditaire des dernières attaques kamikazes ayant frappé cette région en juillet 2010 et août 2011 (de son vrai nom Mohand Ouramdane) était l'une des cibles prioritaires des forces spéciales de l'ANP. Ce sont d'ailleurs des membres des troupes d'élite, des parachutistes, qui ont mené l'embuscade contre celui qui s'était fait une spécialité : le rapt de grands commerçants et de notables locaux libérés contre le paiement de fortes rançons. L'opération a été rondement menée, mais le succès de l'entreprise n'a provoqué aucun communiqué triomphaliste. Ce n'est pas le genre de la maison.
« La lutte antiterroriste prend une part importante dans notre quotidien, assure un général-major de la Direction de la sécurité intérieure (DSI, contre-espionnage), mais nous ne perdons jamais de vue qu'elle ne constitue qu'un aspect de notre vocation : défendre l'intégrité territoriale et protéger la souveraineté nationale. » En fait, l'ANP n'a pas l'exclusivité de la lutte anti-terroriste. Elle est, avant tout, chargée de sa coordination aux côtés des autres forces de sécurité : police, gendarmerie et « milices patriotes » (des civils engagés dans le combat). « Nous n'avons pas à exulter de l'élimination d'un terroriste, aussi dangereux soit-il, poursuit notre interlocuteur. En fait, nos véritables performances sont passées sous silence : le maintien de la cohésion de l'institution, nos succès en matière de modernisation et de rajeunissement de l'armée. Nous tirons autant de fierté du sauvetage de la République, en 1992, que de la perspective de pouvoir satisfaire un vieux fantasme national : produire, dans quelques mois, le premier véhicule algérien. »
Officiers polyglottes
Il est vrai que l'ANP – avec ses 147 000 hommes et 150 000 réservistes, ses 3 000 blindés, ses 163 avions et son budget de 5,6 milliards de dollars (422 milliards de dinars) en 2010 – n'est pas uniquement un acteur politique déterminant de l'Algérie indépendante, mais également un opérateur économique de premier plan doté d'une branche industrielle performante. C'est notamment le cas avec la base logistique de Béni Mered, à proximité de Blida (50 km à l'ouest d'Alger), le siège de la Ire région militaire. En partenariat avec le constructeur allemand Daimler, le premier complexe de production de véhicules tout-terrain va être prochainement inauguré, dans la région de Tiaret. L'ANP ne néglige pas non plus la recherche scientifique en s'associant aux plus grands centres de recherche et laboratoires nationaux. Les spécialités les plus prisées vont du nucléaire au spatial, en passant par l'aéronautique ou les nanotechnologies. Recrutée dans les filières d'excellence, son élite est formée dans des structures pédagogiques de haut niveau et réputées pour leur sérieux. Citons notamment : l'Académie militaire interarmes (Amia), située à Cherchell (70 km à l'ouest d'Alger) ; l'École de guerre de Tamentafoust, dans la banlieue ouest d'Alger, où sont prodigués les cours d'état-major ; etl 'École militaire polytechnique de Bordj el-Bahri, ville balnéaire à l'est de la capitale. Ces écoles dispensent également des formations à des élèves officiers étrangers, essentiellement africains (maliens, mauritaniens, nigériens, tchadiens, angolais ou mozambicains) et arabes (palestiniens et syriens). Et si l'actuel chef d'état-major, le général Ahmed Gaïd Salah, fêtera cette année son 80e anniversaire, les généraux qui constituent l'ossature du commandement, les chefs des six régions militaires et les patrons des unités opérationnelles sont des quinquagénaires, d'une génération postindépendance, débarrassés des conflits et contentieux du passé. Contrairement à leurs prédécesseurs, leur formation n'est pas exclusivement soviétique ou russe. Polyglottes et ouverts à la coopération internationale, leur apport dans les mutations de l'ANP est indéniable.
L'épine des félons
C'est en juin 1997 qu'a lieu la première opération de cyberdissidence, avec l'apparition du site anp.org. Animé par un mystérieux colonel B. Ali, ce site connaît très vite une bonne fréquentation en publiant régulièrement des dossiers sur les généraux les plus influents. Mais l'anonymat des auteurs, le peu de crédibilité des accusations (l'opinion algérienne n'a jamais vraiment cru au « qui tue qui ? ») et l'actualisation aléatoire (la dernière remonte à février 2011) du site ont fini par lasser les internautes. Autres détracteurs : les déserteurs. Mohamed Samraoui, ex-officier du contre-espionnage, ou le sous-lieutenant Habib Souaïdia ont publié des pamphlets rendant l'armée algérienne responsable des massacres collectifs de villageois au milieu des années 1990. Quant à Abdelkader Tigha, il est le principal témoin à charge dans l'affaire des moines de Tibéhirine.Les adversaires de l'armée se recrutent également en France. En tête de liste, un éditeur, François Gèze (La Découverte) et deux journalistes, Josée Garçon (Libération) et Jean-Baptiste Rivoire (Canal+). CH.O.
Pour des raisons idéologiques,l'armée a longtemps été dépendante de son unique fournisseur, l'Union soviétique, puis de la Russie et de l'Ukraine après la chute du mur de Berlin. Mais, progressivement, les militaires ont multiplié leurs interlocuteurs étrangers et diversifié la provenance des armes achetées. Contrairement aux politiques et aux diplomates toujours embarrassés lorsqu'il s'agit de discuter avec Paris, l'ANP entretient d'excellentes relations avec l'armée de l'ex-métropole. Outre West Point aux États-Unis, ses officiers suivent d'ailleurs des formations dans les plus prestigieuses académies militaires que sont Saint-Cyr et l'École de guerre de Paris.
Cemoc
Dans la même dynamique, l'Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger sont parvenus à s'entendre, après un long processus diplomatique, sur la création du Comité d'état-major opérationnel conjoint (Cemoc), à Tamanrasset, le 21 avril 2010. Cela n'allait pas de soi, mais cela a été fait. L'installation de cette structure n'a pour l'instant pas endigué le trafic de drogue aux confins du Sahara, ni évité la multiplication des prises d'otages occidentaux par les salafistes d'Aqmi dans la région, ni empêché la dissémination de l'arsenal libyen et encore moins freiné la déferlante de convois de 4x4 bourrés de desperados armés jusqu'aux dents. Il n'empêche, ce Cemoc constitue une première pour l'ANP depuis sa participation à la guerre du Kippour, en 1973. C'est en effet la première fois qu'elle s'engage dans une opération concertée avec trois armées étrangères. « Nous croyons en ce mécanisme, s'enthousiasme un général-major, il assure une gestion régionale du péril Aqmi et éloigne le spectre d'une intervention militaire occidentale, ce qui constituerait le pire des scénarios. » Côté opérationnel, deux bataillons d'infanterie mécanisée sont prépositionnés à Bordj Badji Mokhtar (frontière malienne) et In Guezzam (frontière nigérienne). Ces deux postes de commandement avancés disposent également de moyens aériens : deux hélicoptères d'attaque et deux autres pour le transport de troupes ainsi qu'un avion de reconnaissance doté d'une caméra infrarouge transmettant les images en temps réel.
C'était il y a un peu plus de vingt ans. L'Armée nationale populaire (ANP), rouage essentiel dans le système qui gouverne l'Algerie depuis l'indépendance, interrompait un processus électoral qui devait conduire à un raz-de-marée islamiste et contraignait le président Chadli Bendjedid à la démission après avoir obtenu de lui la dissolution du Parlement. Nous étions le 11 janvier 1992. Le pays basculait dans le vide. Mais aujourd'hui – alors que se profile a nouveau une poussée islamiste par les urnes aux elections legislatives de mai 2012 –, il est peu probable que les militaires optent pour une intrusion aussi directe dans la vie politique. Les temps ont changé. « Le caractère républicain de l'État et le multipartisme ont été sanctifiés par la révision de la Constitution de novembre 2008, assure un général-major, ce n'était pas le cas en 1992. Autre différence de taille par rapport à l'épisode du le Front Islamique du Salut(fis), l'édifice institutionnel comprend, aujourd'hui, un Sénat qui ferait contrepoids à une Assemblée tenue par des islamistes. » En Algérie, l'armée reste un pilier du régime, vigilant et attentif.
Après avoir été accusée d'être putschiste, d'avoir eu la main lourde contre les manifestants en octobre 1988 et dans la lutte contre le djihadisme, d'être derrière les massacres collectifs de villageois durant la décennie noire – des crimes susceptibles de poursuites devant la Cour pénale internationale (CPI) –, l'ANP a réussi à maintenir sa cohésion. À aucun moment sa chaîne de commandement n'a connu de rupture. Les gradés ont fait front. Mieux, boycottée par les organisations militaires régionales et sous embargo durant les années 1990, cette toute-puissante armée est redevenue fréquentable. Son savoir-faire en matière de lutte antiterroriste est loué de toutes parts. Son chef d'état-major est reçu à Washington, Bruxelles ou Paris. Une véritable consécration, alors que le pays entame une étape politique cruciale dans un contexte marqué par les révolutions arabes. Qui plus est, la Grande Muette peut s'enorgueillir d'un joli succès en ce début d'année.
AntiterrorismeL'élimination, le 2 janvier, de Moh el-Khechkhach, numéro deux d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) en Kabylie, est un sérieux coup porté à l'ennemi principal : l'islamisme armé. Recherché depuis des années, le commanditaire des dernières attaques kamikazes ayant frappé cette région en juillet 2010 et août 2011 (de son vrai nom Mohand Ouramdane) était l'une des cibles prioritaires des forces spéciales de l'ANP. Ce sont d'ailleurs des membres des troupes d'élite, des parachutistes, qui ont mené l'embuscade contre celui qui s'était fait une spécialité : le rapt de grands commerçants et de notables locaux libérés contre le paiement de fortes rançons. L'opération a été rondement menée, mais le succès de l'entreprise n'a provoqué aucun communiqué triomphaliste. Ce n'est pas le genre de la maison.
« La lutte antiterroriste prend une part importante dans notre quotidien, assure un général-major de la Direction de la sécurité intérieure (DSI, contre-espionnage), mais nous ne perdons jamais de vue qu'elle ne constitue qu'un aspect de notre vocation : défendre l'intégrité territoriale et protéger la souveraineté nationale. » En fait, l'ANP n'a pas l'exclusivité de la lutte anti-terroriste. Elle est, avant tout, chargée de sa coordination aux côtés des autres forces de sécurité : police, gendarmerie et « milices patriotes » (des civils engagés dans le combat). « Nous n'avons pas à exulter de l'élimination d'un terroriste, aussi dangereux soit-il, poursuit notre interlocuteur. En fait, nos véritables performances sont passées sous silence : le maintien de la cohésion de l'institution, nos succès en matière de modernisation et de rajeunissement de l'armée. Nous tirons autant de fierté du sauvetage de la République, en 1992, que de la perspective de pouvoir satisfaire un vieux fantasme national : produire, dans quelques mois, le premier véhicule algérien. »
Officiers polyglottes
Il est vrai que l'ANP – avec ses 147 000 hommes et 150 000 réservistes, ses 3 000 blindés, ses 163 avions et son budget de 5,6 milliards de dollars (422 milliards de dinars) en 2010 – n'est pas uniquement un acteur politique déterminant de l'Algérie indépendante, mais également un opérateur économique de premier plan doté d'une branche industrielle performante. C'est notamment le cas avec la base logistique de Béni Mered, à proximité de Blida (50 km à l'ouest d'Alger), le siège de la Ire région militaire. En partenariat avec le constructeur allemand Daimler, le premier complexe de production de véhicules tout-terrain va être prochainement inauguré, dans la région de Tiaret. L'ANP ne néglige pas non plus la recherche scientifique en s'associant aux plus grands centres de recherche et laboratoires nationaux. Les spécialités les plus prisées vont du nucléaire au spatial, en passant par l'aéronautique ou les nanotechnologies. Recrutée dans les filières d'excellence, son élite est formée dans des structures pédagogiques de haut niveau et réputées pour leur sérieux. Citons notamment : l'Académie militaire interarmes (Amia), située à Cherchell (70 km à l'ouest d'Alger) ; l'École de guerre de Tamentafoust, dans la banlieue ouest d'Alger, où sont prodigués les cours d'état-major ; etl 'École militaire polytechnique de Bordj el-Bahri, ville balnéaire à l'est de la capitale. Ces écoles dispensent également des formations à des élèves officiers étrangers, essentiellement africains (maliens, mauritaniens, nigériens, tchadiens, angolais ou mozambicains) et arabes (palestiniens et syriens). Et si l'actuel chef d'état-major, le général Ahmed Gaïd Salah, fêtera cette année son 80e anniversaire, les généraux qui constituent l'ossature du commandement, les chefs des six régions militaires et les patrons des unités opérationnelles sont des quinquagénaires, d'une génération postindépendance, débarrassés des conflits et contentieux du passé. Contrairement à leurs prédécesseurs, leur formation n'est pas exclusivement soviétique ou russe. Polyglottes et ouverts à la coopération internationale, leur apport dans les mutations de l'ANP est indéniable.
L'épine des félons
C'est en juin 1997 qu'a lieu la première opération de cyberdissidence, avec l'apparition du site anp.org. Animé par un mystérieux colonel B. Ali, ce site connaît très vite une bonne fréquentation en publiant régulièrement des dossiers sur les généraux les plus influents. Mais l'anonymat des auteurs, le peu de crédibilité des accusations (l'opinion algérienne n'a jamais vraiment cru au « qui tue qui ? ») et l'actualisation aléatoire (la dernière remonte à février 2011) du site ont fini par lasser les internautes. Autres détracteurs : les déserteurs. Mohamed Samraoui, ex-officier du contre-espionnage, ou le sous-lieutenant Habib Souaïdia ont publié des pamphlets rendant l'armée algérienne responsable des massacres collectifs de villageois au milieu des années 1990. Quant à Abdelkader Tigha, il est le principal témoin à charge dans l'affaire des moines de Tibéhirine.Les adversaires de l'armée se recrutent également en France. En tête de liste, un éditeur, François Gèze (La Découverte) et deux journalistes, Josée Garçon (Libération) et Jean-Baptiste Rivoire (Canal+). CH.O.
Pour des raisons idéologiques,l'armée a longtemps été dépendante de son unique fournisseur, l'Union soviétique, puis de la Russie et de l'Ukraine après la chute du mur de Berlin. Mais, progressivement, les militaires ont multiplié leurs interlocuteurs étrangers et diversifié la provenance des armes achetées. Contrairement aux politiques et aux diplomates toujours embarrassés lorsqu'il s'agit de discuter avec Paris, l'ANP entretient d'excellentes relations avec l'armée de l'ex-métropole. Outre West Point aux États-Unis, ses officiers suivent d'ailleurs des formations dans les plus prestigieuses académies militaires que sont Saint-Cyr et l'École de guerre de Paris.
Cemoc
Dans la même dynamique, l'Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger sont parvenus à s'entendre, après un long processus diplomatique, sur la création du Comité d'état-major opérationnel conjoint (Cemoc), à Tamanrasset, le 21 avril 2010. Cela n'allait pas de soi, mais cela a été fait. L'installation de cette structure n'a pour l'instant pas endigué le trafic de drogue aux confins du Sahara, ni évité la multiplication des prises d'otages occidentaux par les salafistes d'Aqmi dans la région, ni empêché la dissémination de l'arsenal libyen et encore moins freiné la déferlante de convois de 4x4 bourrés de desperados armés jusqu'aux dents. Il n'empêche, ce Cemoc constitue une première pour l'ANP depuis sa participation à la guerre du Kippour, en 1973. C'est en effet la première fois qu'elle s'engage dans une opération concertée avec trois armées étrangères. « Nous croyons en ce mécanisme, s'enthousiasme un général-major, il assure une gestion régionale du péril Aqmi et éloigne le spectre d'une intervention militaire occidentale, ce qui constituerait le pire des scénarios. » Côté opérationnel, deux bataillons d'infanterie mécanisée sont prépositionnés à Bordj Badji Mokhtar (frontière malienne) et In Guezzam (frontière nigérienne). Ces deux postes de commandement avancés disposent également de moyens aériens : deux hélicoptères d'attaque et deux autres pour le transport de troupes ainsi qu'un avion de reconnaissance doté d'une caméra infrarouge transmettant les images en temps réel.
Notre fierté : le sauvetage de la République, en 1992, et produire bientôt le premier véhicule algérien.
Un Général-Major
Un Général-Major
Commentaire