Les autorités algériennes portent un regard inquiet sur la Libye. En effet, le pays partage un certain nombre de similitudes avec son voisin : une rente pétrolière supposée le protéger des révoltes ; des islamistes libérés après avoir été vaincus et emprisonnés ; une population exaspérée ; des conditions de vie difficiles. Les dirigeants algériens escomptaient un enlisement de l'Otan en Libye où ils espéraient jouer le rôle d'un allié indésirable mais incontournable, à l'instar du Pakistan en Afghanistan. Mais la fin tragique de Kadhafi a sonné le glas de cette vision. La Libye "libérée" suscite des interrogations en Algérie.
Pourquoi, à l'inverse de ce qui s'est produit en Tunisie, en Egypte ou en Syrie, la révolte libyenne a-t-elle aussi rapidement tourné à l'insurrection ? Le scénario libyen est-il à même de se reproduire en Algérie ? Certes, Alger n'est pas Tripoli et le président Abdelaziz Bouteflika n'inspire pas à son peuple un sentiment de détestation aussi violent que celui que Kadhafi éveillait chez les Libyens. En revanche, si révolte il y a, elle pourrait fort bien ne pas s'apparenter au mode sacrificiel des manifestants syriens mais, bien plus, à celui de l'insurrection libyenne.
Mais pour l'heure et contre toute attente, l'Algérie ne se soulève pas. Même si des centaines de manifestations sont organisées, pour l'instant, aucune n'a débouché sur un mouvement de masse. La plupart de ces rassemblements sont sectoriels et revendiquent, non pas le départ du président, mais des augmentations de salaire ! Alors que l'on cherche à comprendre comment la Tunisie et l'Egypte sont parvenues, de façon inattendue, à chasser leurs chefs de l'Etat respectifs, on s'interroge sur l'incapacité de l'Algérie à produire une action collective pacifique qui soit à même de la faire basculer, elle aussi, dans le camp des pays en transition.
DES EMEUTES RECURRENTES
Des émeutes secouent régulièrement le pays. Pourtant, aucune n'est parvenue à impulser une dynamique de révolte de nature à catalyser les griefs et les doléances qui traversent la société algérienne. Ainsi, en 2004, le prix administré du gaz butane connaissait une importante augmentation, passant de 170 à 300 dinars (soit de 17 à 30 euros) la bombonne.
En janvier 2005, des soulèvements qualifiés par la presse d'émeutes du gaz, éclataient dans la wilaya de Djelfa et s'étendaient au Centre et à l'Ouest du pays. Depuis cette date, le Sud est également l'objet de soulèvements réguliers animés par un sentiment d'injustice : comment accepter l'idée que les hydrocarbures qui constituent la principale source de revenus extérieurs du pays soient contrôlés, gérés et distribués par les élites de la capitale perçues comme étrangères ? Pour la première fois, la population revendique le droit de contrôler la principale ressource nationale et réclame des comptes aux gouvernements successifs quant à leurs choix économiques. Pourquoi la région la plus riche en ressources énergétiques n'est-elle pas mieux dotée en infrastructures civiles ? Il est inquiétant de constater que les émeutiers font un lien entre cette injustice et leur identité berbère. Ainsi, en mai 2008, dans la vallée du Mzab, la ville de Berriane devenait le symbole de l'affrontement entre Arabes et Berbères. Les rues de la ville voyaient s'opposer des individus convaincus qu'il existait un lien entre le montant des retombées de la richesse pétrolière et l'appartenance ethnique ou raciale. Après la contestation et la violence des islamistes, de la Kabylie au Mzab, advenait le temps de la revanche des campagnes. En 2006, selon une étude de l'Agence nationale de l'aménagement du territoire (ANAT) réalisée pour le compte du ministère de l'Emploi et de la Solidarité nationale, plus de 177 des 1 200 communes que compte l'Algérie étaient considérées comme défavorisées. Elles se situaient, pour 11% dans les régions du Nord ; pour 53% dans celles des Hauts-Plateaux et pour 36% dans le Sud. Sur ces territoires, le revenu des ménages était compris entre 5 000 et 10 000 dinars par mois, soit de 50 à 100 euros. Entre 1989 et 2003, le salaire moyen a diminué de 20% : "engendrant un sentiment d'appauvrissement qui ne s'est pas dissipé quand la situation économique s'est améliorée et que des augmentations de salaire ont été effectuées". Traumatisée par l'effondrement du prix du baril de pétrole en 1986, les Algériens a gardé de cette période la conviction que la richesse pétrolière était de nature aléatoire. Dans les années 1990, un quart de la population était considéré comme pauvre ; 4 millions de personnes vivaient au-dessous du seuil de pauvreté, c'est-à-dire avec 1 dollar par jour, et 22% des habitants étaient privés d'un accès à l'eau potable.
En 2011, épuisée par la guerre civile, la population n'a ni la force ni l'énergie de se révolter.
Plutôt que de chercher à renverser le président, les salariés ont préféré s'emparer du contexte révolutionnaire de la région pour négocier des augmentations de salaire. A la différence de l'UGTT tunisienne qui a basculé du côté des opposants au régime de Ben Ali, les syndicats algériens ont défendu les différentes catégories de salariés, privant ainsi les sans-emploi d'un remarquable outil de mobilisation. De fait, force est de constater que, depuis 2003, le gouvernement consacre 50% de la fiscalité pétrolière (soit environ 13% du PIB) aux transferts sociaux (770 milliards de dinars, soit 75 milliards d'euros) afin de corriger les effets destructeurs du contrechoc pétrolier (1986-2001). Les résultats sont là : le taux de pauvreté est tombé à 4,9% de la population totale pour 12,1% en 2000.
Il reste que, si la population est moins pauvre, la précarité reste le lot de la majorité des citoyens : 4 millions de personnes, soit la moitié des actifs, ne disposent d'aucune protection sociale et sont employés dans l'économie informelle (secteur des services, agriculture et bâtiment). Enfin, n'oublions pas qu'en l'espace d'une décennie, 500 000 jeunes, constatant que le taux de chômage augmentait avec le niveau d'études, ont quitté prématurément le système scolaire sans aucune formation. En effet, 17% des chômeurs sont titulaires d'un diplôme de l'enseignement supérieur.
Pourquoi, à l'inverse de ce qui s'est produit en Tunisie, en Egypte ou en Syrie, la révolte libyenne a-t-elle aussi rapidement tourné à l'insurrection ? Le scénario libyen est-il à même de se reproduire en Algérie ? Certes, Alger n'est pas Tripoli et le président Abdelaziz Bouteflika n'inspire pas à son peuple un sentiment de détestation aussi violent que celui que Kadhafi éveillait chez les Libyens. En revanche, si révolte il y a, elle pourrait fort bien ne pas s'apparenter au mode sacrificiel des manifestants syriens mais, bien plus, à celui de l'insurrection libyenne.
Mais pour l'heure et contre toute attente, l'Algérie ne se soulève pas. Même si des centaines de manifestations sont organisées, pour l'instant, aucune n'a débouché sur un mouvement de masse. La plupart de ces rassemblements sont sectoriels et revendiquent, non pas le départ du président, mais des augmentations de salaire ! Alors que l'on cherche à comprendre comment la Tunisie et l'Egypte sont parvenues, de façon inattendue, à chasser leurs chefs de l'Etat respectifs, on s'interroge sur l'incapacité de l'Algérie à produire une action collective pacifique qui soit à même de la faire basculer, elle aussi, dans le camp des pays en transition.
DES EMEUTES RECURRENTES
Des émeutes secouent régulièrement le pays. Pourtant, aucune n'est parvenue à impulser une dynamique de révolte de nature à catalyser les griefs et les doléances qui traversent la société algérienne. Ainsi, en 2004, le prix administré du gaz butane connaissait une importante augmentation, passant de 170 à 300 dinars (soit de 17 à 30 euros) la bombonne.
En janvier 2005, des soulèvements qualifiés par la presse d'émeutes du gaz, éclataient dans la wilaya de Djelfa et s'étendaient au Centre et à l'Ouest du pays. Depuis cette date, le Sud est également l'objet de soulèvements réguliers animés par un sentiment d'injustice : comment accepter l'idée que les hydrocarbures qui constituent la principale source de revenus extérieurs du pays soient contrôlés, gérés et distribués par les élites de la capitale perçues comme étrangères ? Pour la première fois, la population revendique le droit de contrôler la principale ressource nationale et réclame des comptes aux gouvernements successifs quant à leurs choix économiques. Pourquoi la région la plus riche en ressources énergétiques n'est-elle pas mieux dotée en infrastructures civiles ? Il est inquiétant de constater que les émeutiers font un lien entre cette injustice et leur identité berbère. Ainsi, en mai 2008, dans la vallée du Mzab, la ville de Berriane devenait le symbole de l'affrontement entre Arabes et Berbères. Les rues de la ville voyaient s'opposer des individus convaincus qu'il existait un lien entre le montant des retombées de la richesse pétrolière et l'appartenance ethnique ou raciale. Après la contestation et la violence des islamistes, de la Kabylie au Mzab, advenait le temps de la revanche des campagnes. En 2006, selon une étude de l'Agence nationale de l'aménagement du territoire (ANAT) réalisée pour le compte du ministère de l'Emploi et de la Solidarité nationale, plus de 177 des 1 200 communes que compte l'Algérie étaient considérées comme défavorisées. Elles se situaient, pour 11% dans les régions du Nord ; pour 53% dans celles des Hauts-Plateaux et pour 36% dans le Sud. Sur ces territoires, le revenu des ménages était compris entre 5 000 et 10 000 dinars par mois, soit de 50 à 100 euros. Entre 1989 et 2003, le salaire moyen a diminué de 20% : "engendrant un sentiment d'appauvrissement qui ne s'est pas dissipé quand la situation économique s'est améliorée et que des augmentations de salaire ont été effectuées". Traumatisée par l'effondrement du prix du baril de pétrole en 1986, les Algériens a gardé de cette période la conviction que la richesse pétrolière était de nature aléatoire. Dans les années 1990, un quart de la population était considéré comme pauvre ; 4 millions de personnes vivaient au-dessous du seuil de pauvreté, c'est-à-dire avec 1 dollar par jour, et 22% des habitants étaient privés d'un accès à l'eau potable.
En 2011, épuisée par la guerre civile, la population n'a ni la force ni l'énergie de se révolter.
Plutôt que de chercher à renverser le président, les salariés ont préféré s'emparer du contexte révolutionnaire de la région pour négocier des augmentations de salaire. A la différence de l'UGTT tunisienne qui a basculé du côté des opposants au régime de Ben Ali, les syndicats algériens ont défendu les différentes catégories de salariés, privant ainsi les sans-emploi d'un remarquable outil de mobilisation. De fait, force est de constater que, depuis 2003, le gouvernement consacre 50% de la fiscalité pétrolière (soit environ 13% du PIB) aux transferts sociaux (770 milliards de dinars, soit 75 milliards d'euros) afin de corriger les effets destructeurs du contrechoc pétrolier (1986-2001). Les résultats sont là : le taux de pauvreté est tombé à 4,9% de la population totale pour 12,1% en 2000.
Il reste que, si la population est moins pauvre, la précarité reste le lot de la majorité des citoyens : 4 millions de personnes, soit la moitié des actifs, ne disposent d'aucune protection sociale et sont employés dans l'économie informelle (secteur des services, agriculture et bâtiment). Enfin, n'oublions pas qu'en l'espace d'une décennie, 500 000 jeunes, constatant que le taux de chômage augmentait avec le niveau d'études, ont quitté prématurément le système scolaire sans aucune formation. En effet, 17% des chômeurs sont titulaires d'un diplôme de l'enseignement supérieur.
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