Introduction générale sur la démarche en cours
Sauf le respect qui est dû à vos rangs, concitoyens membres de cette commission, j'ai le regret de vous dire en toute sincérité le caractère peu enthousiasmant de la démarche dont vous avez la charge. Je ne souhaite pas à votre rapport final le même sort que celui réservé naguère à celui de la commission Sbih sur la réforme de l'administration, celui de la commission Issad sur la réforme de la justice et son deuxième rapport sur la répression sanglante en Kabylie, et de celui de la commission Benzaghou sur le système éducatif…
En effet, face à une crise multiforme sans précédent, cette démarche, c'est le moins qu'on puisse dire, est fondée sur une sous-estimation de la gravité de la crise de l'Etat et le constat de disjonction avancée qui caractérise la relation entre le pouvoir et les citoyens, d'un côté, et entre le pouvoir et l'opposition, d'un autre côté. Dans l'impasse, le système politique actuel, incapable de se remettre en cause et d'initier lui-même les changements politiques nécessaires, il ruse et met, ce faisant, la nation en danger. Cette démarche dénote en soit l'illégitimité et le discrédit dont sont frappées les institutions élues (?) de l'Etat et démontre que l'exécutif lui-même n'en est pas dupe. La focalisation des efforts des pouvoirs publics sur l'élimination, par divers moyens répressifs, de toute alternative politique organisée, constitue bien un aspect de la gravité de la crise actuelle, car aucun cadre politique n'est plus assez efficient et crédible pour canaliser un éventuel débordement et garantir une transition politique pacifique (moins coûteuse) devenue nécessaire qui préserve les vies et les biens des citoyens, les capacités infrastructurelles, économiques, sécuritaires et humaines de l'Etat ainsi que les forces armées d'un éventuel nécessaire engagement qui raviverait les traumatismes d'octobre 88. La fragilisation des liens sociaux et politiques de la communauté politique algérienne a atteint un niveau trop sérieux pour que ces derniers puissent supporter une érosion supplémentaire. Ce qui décrédibilise davantage cette démarche c'est que son lancement n'a pas mis fin à la fermeture du champ médiatique lourd et du champ des libertés, notamment celle de manifester et cela en total contradiction avec la Constitution en vigueur. Sans oublier que cette dernière a été révisée par l'exécutif et à son seul avantage sans consultation populaire, il y a de cela peu de temps ! A quoi bon, alors, focaliser les «efforts de sortie de crise» sur la réforme de la Constitution si le principe de fonctionnement du pouvoir exécutif consiste à ne jamais la respecter ? Un homme célèbre disait : «Quand je visite un pays, je ne demande jamais s'il a des lois, je demande si elles sont appliquées» !
1 - Posture intellectuelle et pratique politique dans les Etats dits arabes
a- Posture intellectuelle générale
On comprendra bien que le fonctionnement des systèmes politiques arabes actuels relève d'une posture philosophique commune non dite. Partout dans le monde, la pensée a évolué en rupture avec des catégories rendues obsolètes par l'histoire et la pensée philosophique et politique. L'avancée de la pensée s'énonce par le changement des concepts et des grilles de lecture des faits. La pensée islamique et arabe, quant à elle, a pris congé de la raison depuis le XVIe siècle, et en se réveillant pour un court instant au XIXe siècle, dans ce qu'il est convenu d'appeler la Nahda (renaissance), s'est trouvée subjuguée face à la prodigieuse avancée de l'Occident. Mais incapable de rupture, elle s'est engluée dans la tentative de conciliation de pôles antinomiques ! On connaît les fameuses dichotomies conceptuelles de cette pensée sclérosée : hadata, mu'âsara (modernité)/ taqlid, ‘asâla (tradition, authenticité), ‘aql (raison) /naql (imitation des anciens), et aujourd'hui encore des pseudo-penseurs les remettent au goût du jour en les renommant science et tradition !… Au nom d'une spécificité mythique et spécieuse, la pensée dominante, qui étouffe toute autre alternative cognitive, voudrait que l'on puisse avancer tout en restant immobile, et même en régressant vers un passé mythique ! L'échec est patent, et les principaux épigones de la pompeusement dénommée nahdha arabe de l'époque s'étaient eux-mêmes vite recroquevillés dans la tradition. Le mouvement des Frères musulmans en naîtra en Egypte et se propagera, et prendra greffe en Algérie, sous la forme de l'islamisme, plus orienté vers l'autodestruction, qui a creusé davantage la notion de spécificité en tentant d'achever ce qui filtrait comme lumière dans le clair-obscur de la raison dite arabe dominante. Pour eux, les problèmes de cette nation ne pourraient être solutionnés que par ce qui a pu les solutionner au début ! (lâ tasluhu ‘umûru hadhihi al-‘umma ‘illâ bimâ salaha bihi ‘awalluhâ) et, par conséquent, la plongée dans le passé devient la seule voie de recherche de solution pour les problèmes actuels de la nation, d'où la tendance à rechercher l'imitation des costumes et des comportements supposés être des anciens. La fuite de la réalité devient la seule thérapie collective et le dogme de la spécificité arabe est là pour renforcer cette tendance !
b - Hétéronomie du savoir scientifique et effondrement du système universitaire
La pensée dominante revendique désormais la spécificité érigée en épistémologie générale et fera une guerre systématique contre le savoir scientifique et la raison qu'elle finit par contenir dans la marge tout en lâchant la bride à la pensée traditionnaliste religieuse au lieu de la circonscrire à la sphère privée — conception déclarée spécificité occidentale et chrétienne comme si le christianisme n'était pas né dans la même sphère géoculturelle que l'islam (Jésus-Christ est palestinien de Nazareth). En résultera de cette clôture dogmatique l'hétéronomisation du champ du savoir, et le sous-développement culturel, cognitif et social. La mise en marche arrière est institutionnalisée, systématisée et toute pensée rationnelle sera contrainte à lutter à contrecourant. Face à l'avancée de l'Occident — qui avait systématisé la pensée cartésienne, qui posait que ce n'est ni dans la tradition ni dans les autorités existantes que la vérité se fonde, mais dans le sujet universel de la science, et que la lumière naturelle est supérieure à l'exemple et à la coutume —, la raison arabe dominante a opposé la spécificité, le retour aux vieilles certitudes qui ne sont que des croyances et, en fin de parcours, le figement de l'ordre cognitif et social. L'Algérie n'en fait pas exception. La répression est généralisée. Les syndicats d'étudiants et d'enseignants universitaires sont parasités, selon la même méthode appliquée au champ économique. L'université n'est pas perçue comme l'espace propre au savoir, son acquisition, sa production, sa reproduction et sa diffusion… Une nation sans élite est une nation vouée à la disparition. Les gestionnaires des universités ne sont pas évalués compte tenu des productions de savoirs (revues, thèses, essais publiés, expertises, reconnaissance scientifique internationales…) mais selon le degré de maîtrise de l'ordre public et d'allégeance. C'est un espace de domination politique organisant la compétition d'allégeance au pouvoir, et c'est d'ailleurs à partir de cette seule logique que les contestations estudiantines récentes ont été interprétées : comme des tentatives de déstabilisation politique ! Ceci explique l'effondrement du système universitaire et éducatif dominé par l'administration (pouvoir)- les classements internationaux des universités placent les nôtres au bas du tableau.
Sauf le respect qui est dû à vos rangs, concitoyens membres de cette commission, j'ai le regret de vous dire en toute sincérité le caractère peu enthousiasmant de la démarche dont vous avez la charge. Je ne souhaite pas à votre rapport final le même sort que celui réservé naguère à celui de la commission Sbih sur la réforme de l'administration, celui de la commission Issad sur la réforme de la justice et son deuxième rapport sur la répression sanglante en Kabylie, et de celui de la commission Benzaghou sur le système éducatif…
En effet, face à une crise multiforme sans précédent, cette démarche, c'est le moins qu'on puisse dire, est fondée sur une sous-estimation de la gravité de la crise de l'Etat et le constat de disjonction avancée qui caractérise la relation entre le pouvoir et les citoyens, d'un côté, et entre le pouvoir et l'opposition, d'un autre côté. Dans l'impasse, le système politique actuel, incapable de se remettre en cause et d'initier lui-même les changements politiques nécessaires, il ruse et met, ce faisant, la nation en danger. Cette démarche dénote en soit l'illégitimité et le discrédit dont sont frappées les institutions élues (?) de l'Etat et démontre que l'exécutif lui-même n'en est pas dupe. La focalisation des efforts des pouvoirs publics sur l'élimination, par divers moyens répressifs, de toute alternative politique organisée, constitue bien un aspect de la gravité de la crise actuelle, car aucun cadre politique n'est plus assez efficient et crédible pour canaliser un éventuel débordement et garantir une transition politique pacifique (moins coûteuse) devenue nécessaire qui préserve les vies et les biens des citoyens, les capacités infrastructurelles, économiques, sécuritaires et humaines de l'Etat ainsi que les forces armées d'un éventuel nécessaire engagement qui raviverait les traumatismes d'octobre 88. La fragilisation des liens sociaux et politiques de la communauté politique algérienne a atteint un niveau trop sérieux pour que ces derniers puissent supporter une érosion supplémentaire. Ce qui décrédibilise davantage cette démarche c'est que son lancement n'a pas mis fin à la fermeture du champ médiatique lourd et du champ des libertés, notamment celle de manifester et cela en total contradiction avec la Constitution en vigueur. Sans oublier que cette dernière a été révisée par l'exécutif et à son seul avantage sans consultation populaire, il y a de cela peu de temps ! A quoi bon, alors, focaliser les «efforts de sortie de crise» sur la réforme de la Constitution si le principe de fonctionnement du pouvoir exécutif consiste à ne jamais la respecter ? Un homme célèbre disait : «Quand je visite un pays, je ne demande jamais s'il a des lois, je demande si elles sont appliquées» !
1 - Posture intellectuelle et pratique politique dans les Etats dits arabes
a- Posture intellectuelle générale
On comprendra bien que le fonctionnement des systèmes politiques arabes actuels relève d'une posture philosophique commune non dite. Partout dans le monde, la pensée a évolué en rupture avec des catégories rendues obsolètes par l'histoire et la pensée philosophique et politique. L'avancée de la pensée s'énonce par le changement des concepts et des grilles de lecture des faits. La pensée islamique et arabe, quant à elle, a pris congé de la raison depuis le XVIe siècle, et en se réveillant pour un court instant au XIXe siècle, dans ce qu'il est convenu d'appeler la Nahda (renaissance), s'est trouvée subjuguée face à la prodigieuse avancée de l'Occident. Mais incapable de rupture, elle s'est engluée dans la tentative de conciliation de pôles antinomiques ! On connaît les fameuses dichotomies conceptuelles de cette pensée sclérosée : hadata, mu'âsara (modernité)/ taqlid, ‘asâla (tradition, authenticité), ‘aql (raison) /naql (imitation des anciens), et aujourd'hui encore des pseudo-penseurs les remettent au goût du jour en les renommant science et tradition !… Au nom d'une spécificité mythique et spécieuse, la pensée dominante, qui étouffe toute autre alternative cognitive, voudrait que l'on puisse avancer tout en restant immobile, et même en régressant vers un passé mythique ! L'échec est patent, et les principaux épigones de la pompeusement dénommée nahdha arabe de l'époque s'étaient eux-mêmes vite recroquevillés dans la tradition. Le mouvement des Frères musulmans en naîtra en Egypte et se propagera, et prendra greffe en Algérie, sous la forme de l'islamisme, plus orienté vers l'autodestruction, qui a creusé davantage la notion de spécificité en tentant d'achever ce qui filtrait comme lumière dans le clair-obscur de la raison dite arabe dominante. Pour eux, les problèmes de cette nation ne pourraient être solutionnés que par ce qui a pu les solutionner au début ! (lâ tasluhu ‘umûru hadhihi al-‘umma ‘illâ bimâ salaha bihi ‘awalluhâ) et, par conséquent, la plongée dans le passé devient la seule voie de recherche de solution pour les problèmes actuels de la nation, d'où la tendance à rechercher l'imitation des costumes et des comportements supposés être des anciens. La fuite de la réalité devient la seule thérapie collective et le dogme de la spécificité arabe est là pour renforcer cette tendance !
b - Hétéronomie du savoir scientifique et effondrement du système universitaire
La pensée dominante revendique désormais la spécificité érigée en épistémologie générale et fera une guerre systématique contre le savoir scientifique et la raison qu'elle finit par contenir dans la marge tout en lâchant la bride à la pensée traditionnaliste religieuse au lieu de la circonscrire à la sphère privée — conception déclarée spécificité occidentale et chrétienne comme si le christianisme n'était pas né dans la même sphère géoculturelle que l'islam (Jésus-Christ est palestinien de Nazareth). En résultera de cette clôture dogmatique l'hétéronomisation du champ du savoir, et le sous-développement culturel, cognitif et social. La mise en marche arrière est institutionnalisée, systématisée et toute pensée rationnelle sera contrainte à lutter à contrecourant. Face à l'avancée de l'Occident — qui avait systématisé la pensée cartésienne, qui posait que ce n'est ni dans la tradition ni dans les autorités existantes que la vérité se fonde, mais dans le sujet universel de la science, et que la lumière naturelle est supérieure à l'exemple et à la coutume —, la raison arabe dominante a opposé la spécificité, le retour aux vieilles certitudes qui ne sont que des croyances et, en fin de parcours, le figement de l'ordre cognitif et social. L'Algérie n'en fait pas exception. La répression est généralisée. Les syndicats d'étudiants et d'enseignants universitaires sont parasités, selon la même méthode appliquée au champ économique. L'université n'est pas perçue comme l'espace propre au savoir, son acquisition, sa production, sa reproduction et sa diffusion… Une nation sans élite est une nation vouée à la disparition. Les gestionnaires des universités ne sont pas évalués compte tenu des productions de savoirs (revues, thèses, essais publiés, expertises, reconnaissance scientifique internationales…) mais selon le degré de maîtrise de l'ordre public et d'allégeance. C'est un espace de domination politique organisant la compétition d'allégeance au pouvoir, et c'est d'ailleurs à partir de cette seule logique que les contestations estudiantines récentes ont été interprétées : comme des tentatives de déstabilisation politique ! Ceci explique l'effondrement du système universitaire et éducatif dominé par l'administration (pouvoir)- les classements internationaux des universités placent les nôtres au bas du tableau.
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