(1re partie)
Par Mohamed Chafik Mesbah
Mohamed Chafik Mesbah, collaborateur de notre journal, a présenté le lundi 13 juin 2011 au Cidob de Barcelone (Centre des relations internationales et études du développement, think tank que préside Narcis Serra, ancien ministre espagnol de la Défense) une communication intitulée «L’armée algérienne face au défi de la transition démocratique» . Dans cette communication, Mohamed Chafik Mesbah examine passé, présent et perspectives d’évolution de l’institution militaire et services de renseignement dans le pays. Au regard de l’importance du sujet et de l’intérêt des idées développées dans cette communication, nous avons jugé utile de la publier, in extenso, à l’intention de nos lecteurs.
Le président Narcis Serra nous a présenté un modèle théorique, parfaitement élaboré, qui ne souffre pas de contestation lorsqu’il s’applique à des sociétés développées. Le cas est différent, cependant, pour les pays de la rive sud de la Méditerranée qui viennent d’entamer leur processus de transition démocratique. La richesse d’expérience du président Narcis Serra en sa qualité d’ancien ministre espagnol de la Défense nationale, celui de la transition démocratique, ainsi que la rigueur méthodologique de son exposé, celle d’un académicien avéré, explique l’intérêt de cette communication. Il est clair, à cet égard, qu’il existe un grand intérêt à ce que la communication du président Narcis Serra ainsi que son livre intitulé La transition militaire, l’expérience espagnole, disponibles en espagnol et en anglais, le soient en arabe et en français. La courte contribution que je présente, aujourd’hui, ne prétend pas au standard académique. C’est le résultat d’un cheminement intellectuel personnel, laborieusement conduit tout le long d’une carrière militaire marquée par le souci constant de réconcilier dans un projet national fondateur l’armée et le peuple algériens. Cette posture intellectuelle comporte, à l’évidence, une charge émotionnelle. J’assume, sereinement, cette posture délicate. L’objet de cette contribution porte sur l’examen de trois aspects complémentaires liés à la problématique qui requiert notre attention. Il s’agit de soumettre à un éclairage approprié la problématique qui requiert notre attention. Il s’agit, premièrement, de procéder à une genèse rapide de l’évolution de l’armée algérienne, à partir de l’intérieur, notamment avant l’avènement du multipartisme en Algérie. Il s’agit, deuxièmement, de procéder à l’examen de la conduite de l’armée algérienne face aux événements douloureux qui, depuis 1992, ont pris place dans l’imaginaire populaire sous le libellé de «décennie noire». Il s’agira, troisièmement, de procéder à l’étude des perspectives qui s’ouvrent à l’armée algérienne, en rapport avec le nouveau positionnement politique et institutionnel qui, dans le nouveau contexte national et international, pourrait être le sien. Soulignons, avant d’aborder le corps du sujet, que la problématique du rôle de l’armée dans la sphère politique en Algérie s’est posée, de manière récurrente, depuis même le début de la colonisation. Les premières résistances menées contre l’occupant colonial français avaient été conduites par des leaders religieux, chefs guerriers simultanément, la question de la subordination du militaire au civil se trouvant, d’emblée, tranchée. Tout le long de l’évolution du mouvement de résistance politique, du début du siècle au déclenchement de la guerre de Libération nationale le 1er novembre 1954, ce sont des dirigeants politiques civils qui avaient constitué l’interface des autorités coloniales. Ce sont, cependant, des dirigeants de l’Organisation spéciale (OS), structure paramilitaire créée en 1947 par le PPA-MTLD, le principal parti nationaliste algérien, qui avaient déclenché la guerre de Libération nationale, après s’être érigés, de fait, comme instance politico-militaire connue, plus tard, sous l’appellation de «groupe des 22». Ce seront, d’ailleurs, trois principaux membres de ce groupe, les colonels Belkacem Krim, Abdelhafidh Boussouf et Abdallah Bentobal, connus sous la dénomination des «3B», qui se saisiront des leviers de commande du FLN et de l’ALN de guerre. Ils y parviendront après avoir fait abroger, en 1957, par l’instance délibérante de la Révolution algérienne, le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA), le principe de la primauté du politique sur le militaire. Un principe qui venait juste d’être adopté par le congrès de la Soummam réuni en 1956 avec Abane Ramdane comme figure de proue, lequel Abane Ramdane sera assassiné à l’initiative de ces mêmes «3B». La domination de fait de cette direction militaire sur les instances de la Révolution algérienne ne sera mise à mal que par la création, en 1960, de l’état-major général de l’ALN sous le commandement du colonel Houari Boumediene. C’est cette instance qui parviendra, progressivement, à supplanter les «3B». Il est établi, à cet égard, que c’est l’état-major général de l’ALN qui, depuis la proclamation de l’indépendance nationale en 1962, s’était assuré de la réalité du pouvoir, se servant, cependant, de la couverture politique de M. Ahmed Ben Bella, alors figure emblématique de la Révolution. Cette brève rétrospective historique n’est pas superflue pour comprendre comment l’interférence de l’armée dans le champ politique en est venue à constituer une donnée co-substantielle à la fondation de l’Etat moderne en Algérie. Examinons, à présent, le premier volet de cette contribution. Au lendemain de l’interruption du processus électoral, en 1992, l’armée algérienne, pour son rôle dans l’épisode considéré, avait fait l’objet d’attaques en règle jusqu’à être assimilée, parfois, à une armée de «pronunciamiento », ses chefs étant affublés du qualificatif de «junte» au sens le plus négatif du terme.
Par Mohamed Chafik Mesbah
Mohamed Chafik Mesbah, collaborateur de notre journal, a présenté le lundi 13 juin 2011 au Cidob de Barcelone (Centre des relations internationales et études du développement, think tank que préside Narcis Serra, ancien ministre espagnol de la Défense) une communication intitulée «L’armée algérienne face au défi de la transition démocratique» . Dans cette communication, Mohamed Chafik Mesbah examine passé, présent et perspectives d’évolution de l’institution militaire et services de renseignement dans le pays. Au regard de l’importance du sujet et de l’intérêt des idées développées dans cette communication, nous avons jugé utile de la publier, in extenso, à l’intention de nos lecteurs.
Le président Narcis Serra nous a présenté un modèle théorique, parfaitement élaboré, qui ne souffre pas de contestation lorsqu’il s’applique à des sociétés développées. Le cas est différent, cependant, pour les pays de la rive sud de la Méditerranée qui viennent d’entamer leur processus de transition démocratique. La richesse d’expérience du président Narcis Serra en sa qualité d’ancien ministre espagnol de la Défense nationale, celui de la transition démocratique, ainsi que la rigueur méthodologique de son exposé, celle d’un académicien avéré, explique l’intérêt de cette communication. Il est clair, à cet égard, qu’il existe un grand intérêt à ce que la communication du président Narcis Serra ainsi que son livre intitulé La transition militaire, l’expérience espagnole, disponibles en espagnol et en anglais, le soient en arabe et en français. La courte contribution que je présente, aujourd’hui, ne prétend pas au standard académique. C’est le résultat d’un cheminement intellectuel personnel, laborieusement conduit tout le long d’une carrière militaire marquée par le souci constant de réconcilier dans un projet national fondateur l’armée et le peuple algériens. Cette posture intellectuelle comporte, à l’évidence, une charge émotionnelle. J’assume, sereinement, cette posture délicate. L’objet de cette contribution porte sur l’examen de trois aspects complémentaires liés à la problématique qui requiert notre attention. Il s’agit de soumettre à un éclairage approprié la problématique qui requiert notre attention. Il s’agit, premièrement, de procéder à une genèse rapide de l’évolution de l’armée algérienne, à partir de l’intérieur, notamment avant l’avènement du multipartisme en Algérie. Il s’agit, deuxièmement, de procéder à l’examen de la conduite de l’armée algérienne face aux événements douloureux qui, depuis 1992, ont pris place dans l’imaginaire populaire sous le libellé de «décennie noire». Il s’agira, troisièmement, de procéder à l’étude des perspectives qui s’ouvrent à l’armée algérienne, en rapport avec le nouveau positionnement politique et institutionnel qui, dans le nouveau contexte national et international, pourrait être le sien. Soulignons, avant d’aborder le corps du sujet, que la problématique du rôle de l’armée dans la sphère politique en Algérie s’est posée, de manière récurrente, depuis même le début de la colonisation. Les premières résistances menées contre l’occupant colonial français avaient été conduites par des leaders religieux, chefs guerriers simultanément, la question de la subordination du militaire au civil se trouvant, d’emblée, tranchée. Tout le long de l’évolution du mouvement de résistance politique, du début du siècle au déclenchement de la guerre de Libération nationale le 1er novembre 1954, ce sont des dirigeants politiques civils qui avaient constitué l’interface des autorités coloniales. Ce sont, cependant, des dirigeants de l’Organisation spéciale (OS), structure paramilitaire créée en 1947 par le PPA-MTLD, le principal parti nationaliste algérien, qui avaient déclenché la guerre de Libération nationale, après s’être érigés, de fait, comme instance politico-militaire connue, plus tard, sous l’appellation de «groupe des 22». Ce seront, d’ailleurs, trois principaux membres de ce groupe, les colonels Belkacem Krim, Abdelhafidh Boussouf et Abdallah Bentobal, connus sous la dénomination des «3B», qui se saisiront des leviers de commande du FLN et de l’ALN de guerre. Ils y parviendront après avoir fait abroger, en 1957, par l’instance délibérante de la Révolution algérienne, le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA), le principe de la primauté du politique sur le militaire. Un principe qui venait juste d’être adopté par le congrès de la Soummam réuni en 1956 avec Abane Ramdane comme figure de proue, lequel Abane Ramdane sera assassiné à l’initiative de ces mêmes «3B». La domination de fait de cette direction militaire sur les instances de la Révolution algérienne ne sera mise à mal que par la création, en 1960, de l’état-major général de l’ALN sous le commandement du colonel Houari Boumediene. C’est cette instance qui parviendra, progressivement, à supplanter les «3B». Il est établi, à cet égard, que c’est l’état-major général de l’ALN qui, depuis la proclamation de l’indépendance nationale en 1962, s’était assuré de la réalité du pouvoir, se servant, cependant, de la couverture politique de M. Ahmed Ben Bella, alors figure emblématique de la Révolution. Cette brève rétrospective historique n’est pas superflue pour comprendre comment l’interférence de l’armée dans le champ politique en est venue à constituer une donnée co-substantielle à la fondation de l’Etat moderne en Algérie. Examinons, à présent, le premier volet de cette contribution. Au lendemain de l’interruption du processus électoral, en 1992, l’armée algérienne, pour son rôle dans l’épisode considéré, avait fait l’objet d’attaques en règle jusqu’à être assimilée, parfois, à une armée de «pronunciamiento », ses chefs étant affublés du qualificatif de «junte» au sens le plus négatif du terme.
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