"Le Christ s'est arrêté à Tizi-Ouzou. Enquête sur les conversions en terre d'islam", de Salah Guemriche : l'enjeu des conversions
Dans les télégrammes des diplomates américains en poste en Algérie révélés par le site WikiLeaks, le thème de la liberté religieuse revient fréquemment. Dès qu'un haut fonctionnaire de l'administration est reçu par le président Abdelaziz Bouteflika, le sujet revient sur le tapis. Les Américains réclament le droit pour les pasteurs protestants de pouvoir prêcher en Algérie. Et le chef de l'Etat le leur refuse en avançant deux raisons : le zèle des prédicateurs chrétiens est mal vécu par la population à qui il rappelle la colonisation française ; et il fait le jeu des islamo-conservateurs.
Le sujet des conversions est sensible et ne se cantonne pas à l'Algérie. Il touche aussi les autres pays d'Afrique du Nord, de la Mauritanie à la Tunisie. En 2010, accusés de prosélytisme, une vingtaine d'étrangers, des évangélistes qui géraient en toute légalité un orphelinat, le Village de l'espérance, se virent accorder trente minutes pour quitter le royaume. Des religieuses catholiques ont également été expulsées du royaume à la même époque.
Le phénomène de la conversion de musulmans à la religion de Sidna Aïssa, autrement dit "Notre Seigneur Jésus", est au coeur du dernier ouvrage de Salah Guemriche, un fin connaisseur des rapports entre le monde musulman et l'Occident.
Le livre, en dépit d'une construction déconcertante - les témoignages de musulmans convertis alternent avec les chapitres d'analyse -, est solide, érudit et honnête sur le fond.
Lorsqu'il évoque les conversions de musulmans (difficiles à quantifier faute de données fiables), l'auteur n'oublie pas de rappeler que l'apostasie est réprimée dans le monde arabo-musulman - au moins dans les textes. Au Maroc, la peine peut aller de six mois à trois ans de prison. Elle est plus lourde dans d'autres pays du Proche-Orient. Parfois, elle est punie de "mort civile" : l'apostat voit son mariage dissous et sa succession ouverte.
Mais, plus intéressant, Salah Guemriche sait faire ressortir l'enjeu idéologique et les arrière-pensées politiques qui se cachent derrière les conversions au christianisme. C'est notamment le cas en Kabylie où perdure l'image d'un peuple berbère "irréductible", distinct des Algériens et broyé par l'histoire.
Les Berbères étaient chrétiens naguère. Depuis la conquête arabe de la fin du VIIe siècle, ils seraient victimes d'une oppression étrangère. D'où cette interrogation, note l'auteur, qui agite certains militants indépendantistes kabyles et les évangélistes : ne faut-il pas "désarabiser" le Berbère ?
Autrement dit, une conversion massive au christianisme permettrait-elle aux Berbères de retrouver une unité et une identité disparues ?
Identité
Ces interrogations, qui étaient déjà celles de religieux français peu après la colonisation de l'Algérie, n'ont aucun sens, rétorque Salah Guemriche qui, convoquant historiens, linguistiques et ethnologues, n'a aucun mal à prouver que la grandeur berbère relève du travestissement de l'histoire. "On ne peut nier la singularité de ce peuple", convient-il, mais il existe aussi "une volonté de mystification" chez ceux qui défendent l'identité berbère.
L'histoire récente de l'Algérie lui donne raison. Pendant la décennie noire des années 1990, les groupes armés islamistes n'étaient pas moins actifs en Kabylie que dans le reste de l'Algérie. C'est d'ailleurs sur la terre natale de Saint-Augustin que survivent les ultimes "barbus".
le monde .fr
Dans les télégrammes des diplomates américains en poste en Algérie révélés par le site WikiLeaks, le thème de la liberté religieuse revient fréquemment. Dès qu'un haut fonctionnaire de l'administration est reçu par le président Abdelaziz Bouteflika, le sujet revient sur le tapis. Les Américains réclament le droit pour les pasteurs protestants de pouvoir prêcher en Algérie. Et le chef de l'Etat le leur refuse en avançant deux raisons : le zèle des prédicateurs chrétiens est mal vécu par la population à qui il rappelle la colonisation française ; et il fait le jeu des islamo-conservateurs.
Le sujet des conversions est sensible et ne se cantonne pas à l'Algérie. Il touche aussi les autres pays d'Afrique du Nord, de la Mauritanie à la Tunisie. En 2010, accusés de prosélytisme, une vingtaine d'étrangers, des évangélistes qui géraient en toute légalité un orphelinat, le Village de l'espérance, se virent accorder trente minutes pour quitter le royaume. Des religieuses catholiques ont également été expulsées du royaume à la même époque.
Le phénomène de la conversion de musulmans à la religion de Sidna Aïssa, autrement dit "Notre Seigneur Jésus", est au coeur du dernier ouvrage de Salah Guemriche, un fin connaisseur des rapports entre le monde musulman et l'Occident.
Le livre, en dépit d'une construction déconcertante - les témoignages de musulmans convertis alternent avec les chapitres d'analyse -, est solide, érudit et honnête sur le fond.
Lorsqu'il évoque les conversions de musulmans (difficiles à quantifier faute de données fiables), l'auteur n'oublie pas de rappeler que l'apostasie est réprimée dans le monde arabo-musulman - au moins dans les textes. Au Maroc, la peine peut aller de six mois à trois ans de prison. Elle est plus lourde dans d'autres pays du Proche-Orient. Parfois, elle est punie de "mort civile" : l'apostat voit son mariage dissous et sa succession ouverte.
Mais, plus intéressant, Salah Guemriche sait faire ressortir l'enjeu idéologique et les arrière-pensées politiques qui se cachent derrière les conversions au christianisme. C'est notamment le cas en Kabylie où perdure l'image d'un peuple berbère "irréductible", distinct des Algériens et broyé par l'histoire.
Les Berbères étaient chrétiens naguère. Depuis la conquête arabe de la fin du VIIe siècle, ils seraient victimes d'une oppression étrangère. D'où cette interrogation, note l'auteur, qui agite certains militants indépendantistes kabyles et les évangélistes : ne faut-il pas "désarabiser" le Berbère ?
Autrement dit, une conversion massive au christianisme permettrait-elle aux Berbères de retrouver une unité et une identité disparues ?
Identité
Ces interrogations, qui étaient déjà celles de religieux français peu après la colonisation de l'Algérie, n'ont aucun sens, rétorque Salah Guemriche qui, convoquant historiens, linguistiques et ethnologues, n'a aucun mal à prouver que la grandeur berbère relève du travestissement de l'histoire. "On ne peut nier la singularité de ce peuple", convient-il, mais il existe aussi "une volonté de mystification" chez ceux qui défendent l'identité berbère.
L'histoire récente de l'Algérie lui donne raison. Pendant la décennie noire des années 1990, les groupes armés islamistes n'étaient pas moins actifs en Kabylie que dans le reste de l'Algérie. C'est d'ailleurs sur la terre natale de Saint-Augustin que survivent les ultimes "barbus".
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