La douane submergée par les scandales de corruption
Des scandales à répétition écornent la réputation de cette omnipotente administration fiscale censée protéger l’économie nationale, contrôler les flux commerciaux et renflouer les caisses du Trésor. Image surfaite, produit d’une exagération collective ? Peut-être. L’opinion, elle, sait parfois se montrer intraitable dans ses jugements. Les Douanes ? Un des milieux les plus corrompus que je connaisse. Je ne parle pas du simple douanier qui fait passer quelqu’un pour un savon ou un paquet de cigarettes, je parle des chefs qui brassent des milliards avec la bienveillance de l’Etat. Je parle des containers qui disparaissent des ports sans laisser de trace. »
Ce tag au vitriol - il en existe des milliers d’autres - laissé par un internaute sur un forum de discussion algérien résume toute la charge négative que peut véhiculer l’administration des Douanes. Les douaniers, s’amuse-t-il, « n’aiment pas partir à la retraite ! ». Une carrière dans les Douanes, même brève, fait rêver de nombreux jeunes algériens tentés par l’ascenseur social. L’enrichissement rapide de certains agents douaniers fait tache d’huile et a parfois valeur d’exemple. Après 5 ans passés en prison, Smail, ancien inspecteur des Douanes, la cinquantaine, sort persuadé désormais de « mériter » de jouir des biens mal acquis durant sa courte carrière. Le douanier tirera plusieurs fois le « gros lot » grâce à son poste au niveau d’un port du centre du pays. Un poste « juteux », une « machine à cash ». Pour chaque container dédouané sans subir les vérifications d’usage, le douanier touche une mirobolante commission. « Mais avant de me faire prendre, j’ai eu largement le temps de mettre ma famille à l’abri du besoin pour les cinquante prochaines années ! », dit-il sans le moindre état d’âme. L’enrichissement fulgurant d’agents et de cadres, symptomatique du mal qui ronge l’institution douanière, fait scandale. « Il est indécent, honteux que des agents qui entament à peine une carrière puissent mener, sans rendre de comptes, un fastueux train de vie, rouler carrosse et s’acheter des résidences haut standing », réagit un ancien haut responsable des douanes. La corruption étalée impunément au grand jour est-elle pour autant l’avatar exclusif de cette institution ?
L’omerta, une règle d’or
« La corruption est là, elle existe, mais pas avec les proportions qu’on lui prête. Il serait en effet erroné de se focaliser uniquement sur les Douanes et oublier des nids de corruption encore plus importants », avertit le haut responsable. « A des degrés variables, toutes les douanes du monde sont touchées par la corruption. Je ne dis pas que chez nous la corruption est moins importante, moins grave, je dis que les grosses commissions sont à chercher plutôt dans des secteurs comme l’énergie, les mines, les gros marchés de travaux publics, etc. » Les Douanes ont beau être aux avant-postes d’une économie mono-exportatrice, importatrice de presque tout (les importations ont dépassé les 40 milliards de dollars en 2008), elles demeurent néanmoins à la « périphérie » de la grande corruption. « Seulement 13% des importations passent réellement sous le nez des Douanes, indique-t-il. Les 87% qui restent et qui représentent essentiellement les biens d’équipements leur échappent complètement et font l’objet de tractations à un autre niveau. » Secret de polichinelle, la corruption ne fait pas moins grincer des dents. Il est presque tabou d’en parler. L’omerta, la loi du silence, est dans le « milieu » une règle d’or. Une règle de survie. Le sort réservé aux rares « gorges profondes » des diwana aura valeur d’exemple. Abdelkader Souhabi a vu son monde s’écrouler depuis qu’il a osé faire éclater, au début des années 1990, l’esclandre D-15. L’affaire dite des D-15, qui fait référence aux fumeuses autorisations douanières permettant aux importateurs de faire transiter par l’Algérie les marchandises destinées aux pays africains ou maghrébins, n’est à ce jour pas tirée au clair. Les containers bourrés de marchandises diverses, véhicules, armes, alimentaient en réalité les circuits de la contrebande en Algérie, avec la bienveillante complicité de douaniers. Les révélations sulfureuses de l’ancien inspecteur des douanes de Blida le conduiront droit dans le box des accusés pour faux et usage de faux, puis à l’exil. « Je vis depuis comme un ermite », nous avoue-t-il. Suspendu de ses fonctions pendant de longues années, il n’a été réhabilité que récemment. Ce qui est scandaleux, fait remarquer Salima Tlemçani, c’est de constater qu’aucune des grandes affaires impliquant les Douanes ne sont suivies d’effets réels. « Dès qu’un scandale éclate, comme ceux, nombreux, qu’on a eu ces vingt dernières années, aussitôt se met en place une sorte de solidarité institutionnelle. Souvent, c’est la justice qui se charge d’étouffer ces scabreuses affaires. Les dénonciateurs se retrouvent dans le box des accusés alors que les auteurs du crime sont maintenus à leurs postes, parfois promus par leur hiérarchie, et ce quand bien même ils pouvaient être sous le coup de condamnations comme c’est effectivement le cas pour certains », observe la journaliste d’El Watan, auteur de nombreuses enquêtes ayant mis à nu certaines pratiques frauduleuses impliquant l’institution des Douanes.
(à suivre)
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