Rue Didouche Mourad, à hauteur de l’université, tout passant quelque peu attentif peut observer au fronton de la bibliothèque universitaire, de triste mémoire incendiée par l’OAS en 1962, une enseigne lumineuse, en vert et rouge, portant inscription en haut Université of Algiers (sic), plus bas Centenaire (resic) et de part et d’autre sur les colonnes, fraîchement gravées sur le marbre, les dates de 1909 et de 2009.
Depuis quelque temps, des informations, publiées par certains quotidiens et des mails envoyés à des universitaires, les conviant aux « festivités », annonçaient l’heureux événement ! Cerise sur le gâteau, le site lui-même de l’université diffuse un message de son recteur, où celui-ci revendique ces racines historiques et appelle la communauté universitaire et plus loin l’opinion publique à la commémoration, il écrit : « Notre université atteindra cent ans cette année. Cet âge lui conférera d’énormes responsabilités (sic). Cette nouvelle responsabilité la classe parmi les institutions ancestrales. (Quels ancêtres ?), lui permettant par là même d’instaurer de nobles traditions scientifiques et académiques dont elle est fière (c’est nous qui soulignons). » De plus, pour ne pas être en reste, les services de la Poste eux-mêmes ont prévu d’éditer un timbre du centenaire pour l’occasion (Cf quotidien Liberté du 7 mai).
Les promoteurs et les thuriféraires de la loi du 23 février 2005 ainsi que les nostalgiques du temps des colonies ne pouvaient rêver mieux comme justification de leur fallacieuse argumentation et peuvent applaudir. Paradoxalement, au moment même où le ministère de l’Enseignement supérieur relance le débat sur l’avenir des sciences sociales en interpellant la communauté des chercheurs et la diaspora intellectuelle, sans distance, sans pré requis critique, le rectorat de l’université d’Alger, produit d’une université déboussolée, entrée en phase de désinstitutionalisation et de retraditionnalisation depuis au moins une triple décennie, fonctionnant sur des rapports clientélistes et des intérêts catégoriels, voire individuels arc-boutés sur une rente de situation et un fonds de commerce, prenant en otage les valeurs qui fondent le vivre ensemble algérien, semble avoir perdu toute mesure, toute conscience politique et fonctionner, j’ose l’espérer, plus à l’ignorance, à la bêtise qu’à une amnésie programmée.
Faut-il rappeler que l’université coloniale, qui a fait suite aux quatre grandes écoles, fondées en 1909 (c’est le 30 décembre 1909 qu’est votée par le Sénat la loi constituant en université les écoles supérieures d’Alger), a été avant tout l’université de l’empire colonial français et en tant que telle, lieu et réceptacle de production, de justification et de diffusion de l’idéologie coloniale fondant l’inégalité des races. Sans aller à analyser ici les ressorts, les engagements des porte-parole institutionnels, les programmes, ainsi que les formes variant selon les contextes et les rapports de force dans lesquels cette idéologie s’est exprimée et enracinée dans l’espace colonial, il n’y a pas justificatif plus emblématique que le positionnement de Jules Ferry qui, bataillant contre le lobby colon pour justifier d’un relatif élargissement de la scolarisation aux Algériens, interpelle « en s’en tenant au point de vue économique, remarque-t-il, qui est-ce qui peut penser au refoulement des indigènes plus qu’à leur extermination ? La main-d’œuvre arabe, en effet, est la seule main-d’œuvre du colon, c’est le fonds du travail dans ces chaudes régions. Vous ne pouvez pas vous passer du travailleur arabe, si vous l’exterminez, si vous le refoulez, si vous le chassez, par qui le remplacerez-vous ? »
En poursuivant plus loin, justifiant d’une vision fondée sur l’inégalité des races et un essentialisme « racialiste » que Clémenceau va violemment remettre en cause à la Chambre.
« On dit – et le fait dans sa généralité est vrai – que le jeune Arabe, le jeune Kabyle, le musulman jusqu’à l’âge de douze ou de treize ans montre tous les signes d’une vive intelligence », affirme Ferry. « Mais à ce moment, poursuit-il, il se produit dans son organisation une crise et dans son intelligence un arrêt de développement (sic). Il se marie jeune et il est perdu non seulement pour l’école, mais même, ajoute-t-on, pour la civilisation française ! (resic) Messieurs, je pourrais répondre que la crise à laquelle on fait allusion est la même chez les jeunes Tunisiens ; je me contenterai d’une réponse plus simple encore. Si la crise éclate dans la quatorzième année, gardons-les toujours jusqu’à cet âge », propose Ferry. « C’est assez bien ainsi puisque nous ne voulons pas leur rendre familiers nos beaux programmes d’enseignement primaire que nous ne voulons leur apprendre ni beaucoup l’histoire ni beaucoup de géographie, mais seulement le français (…) Si vous le voulez.
à suivre ...
Depuis quelque temps, des informations, publiées par certains quotidiens et des mails envoyés à des universitaires, les conviant aux « festivités », annonçaient l’heureux événement ! Cerise sur le gâteau, le site lui-même de l’université diffuse un message de son recteur, où celui-ci revendique ces racines historiques et appelle la communauté universitaire et plus loin l’opinion publique à la commémoration, il écrit : « Notre université atteindra cent ans cette année. Cet âge lui conférera d’énormes responsabilités (sic). Cette nouvelle responsabilité la classe parmi les institutions ancestrales. (Quels ancêtres ?), lui permettant par là même d’instaurer de nobles traditions scientifiques et académiques dont elle est fière (c’est nous qui soulignons). » De plus, pour ne pas être en reste, les services de la Poste eux-mêmes ont prévu d’éditer un timbre du centenaire pour l’occasion (Cf quotidien Liberté du 7 mai).
Les promoteurs et les thuriféraires de la loi du 23 février 2005 ainsi que les nostalgiques du temps des colonies ne pouvaient rêver mieux comme justification de leur fallacieuse argumentation et peuvent applaudir. Paradoxalement, au moment même où le ministère de l’Enseignement supérieur relance le débat sur l’avenir des sciences sociales en interpellant la communauté des chercheurs et la diaspora intellectuelle, sans distance, sans pré requis critique, le rectorat de l’université d’Alger, produit d’une université déboussolée, entrée en phase de désinstitutionalisation et de retraditionnalisation depuis au moins une triple décennie, fonctionnant sur des rapports clientélistes et des intérêts catégoriels, voire individuels arc-boutés sur une rente de situation et un fonds de commerce, prenant en otage les valeurs qui fondent le vivre ensemble algérien, semble avoir perdu toute mesure, toute conscience politique et fonctionner, j’ose l’espérer, plus à l’ignorance, à la bêtise qu’à une amnésie programmée.
Faut-il rappeler que l’université coloniale, qui a fait suite aux quatre grandes écoles, fondées en 1909 (c’est le 30 décembre 1909 qu’est votée par le Sénat la loi constituant en université les écoles supérieures d’Alger), a été avant tout l’université de l’empire colonial français et en tant que telle, lieu et réceptacle de production, de justification et de diffusion de l’idéologie coloniale fondant l’inégalité des races. Sans aller à analyser ici les ressorts, les engagements des porte-parole institutionnels, les programmes, ainsi que les formes variant selon les contextes et les rapports de force dans lesquels cette idéologie s’est exprimée et enracinée dans l’espace colonial, il n’y a pas justificatif plus emblématique que le positionnement de Jules Ferry qui, bataillant contre le lobby colon pour justifier d’un relatif élargissement de la scolarisation aux Algériens, interpelle « en s’en tenant au point de vue économique, remarque-t-il, qui est-ce qui peut penser au refoulement des indigènes plus qu’à leur extermination ? La main-d’œuvre arabe, en effet, est la seule main-d’œuvre du colon, c’est le fonds du travail dans ces chaudes régions. Vous ne pouvez pas vous passer du travailleur arabe, si vous l’exterminez, si vous le refoulez, si vous le chassez, par qui le remplacerez-vous ? »
En poursuivant plus loin, justifiant d’une vision fondée sur l’inégalité des races et un essentialisme « racialiste » que Clémenceau va violemment remettre en cause à la Chambre.
« On dit – et le fait dans sa généralité est vrai – que le jeune Arabe, le jeune Kabyle, le musulman jusqu’à l’âge de douze ou de treize ans montre tous les signes d’une vive intelligence », affirme Ferry. « Mais à ce moment, poursuit-il, il se produit dans son organisation une crise et dans son intelligence un arrêt de développement (sic). Il se marie jeune et il est perdu non seulement pour l’école, mais même, ajoute-t-on, pour la civilisation française ! (resic) Messieurs, je pourrais répondre que la crise à laquelle on fait allusion est la même chez les jeunes Tunisiens ; je me contenterai d’une réponse plus simple encore. Si la crise éclate dans la quatorzième année, gardons-les toujours jusqu’à cet âge », propose Ferry. « C’est assez bien ainsi puisque nous ne voulons pas leur rendre familiers nos beaux programmes d’enseignement primaire que nous ne voulons leur apprendre ni beaucoup l’histoire ni beaucoup de géographie, mais seulement le français (…) Si vous le voulez.
à suivre ...
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