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"Les Algériens n'ont pas voté aussi massivement qu'on pourrait le croire" Le Monde

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  • "Les Algériens n'ont pas voté aussi massivement qu'on pourrait le croire" Le Monde

    Depuis l'échec de la prise de pouvoir par le FIS (Front islamique du salut), "le paysage politique est totalement verrouillé", explique Florence Beaugé, l'envoyée spéciale du Monde en Algérie, où le président sortant Abdelaziz Bouteflika a été réélu pour un troisième mandat. Conséquence : "Les Algériens ne croient plus à ce qu'ils considèrent être un simulacre de vie démocratique."

    Virginie : N'est-il pas étonnant que le taux de participation soit si élevé compte tenu des nombreux appels au boycott ?
    Florence Beaugé : Il s'agit du taux de participation officiel. Je pense en effet que les Algériens n'ont pas voté aussi massivement que ce que les autorités algériennes aimeraient laisser croire. Je suppose qu'en effet les appels au boycott ont joué dans le sens de la non-participation, mais c'est beaucoup plus encore le désintérêt pour la politique qui a conduit les électeurs à ne pas se rendre aux urnes. Même s'il n'y avait pas eu d'appel au boycott, je pense que le taux de participation réel aurait été faible. Les Algériens ne croient plus à ce qu'ils considèrent être un simulacre de vie démocratique.
    Virginie : Quelle devrait être la réaction des partis d'opposition ?
    L'opposition réelle, essentiellement le FFS (le Front des forces socialistes) et le RCD (le Rassemblement pour la culture et la démocratie), a déjà réagi violemment, hier soir et ce matin, en dénonçant le taux de participation exagérément gonflé, en parlant d'industrie de la fraude.
    L'autre opposition, les partis qui ont accepté de jouer le jeu tant bien que mal et de concourir à cette élection présidentielle, émet aussi des critiques depuis ce matin, mais sur un ton un peu plus mesuré. Elle dit qu'il y a eu des abus, des dépassements perpétrés avec l'aide de l'administration un peu partout dans le pays.
    De toute façon, la voix de l'opposition est assez peu audible en Algérie, puisque les médias "lourds", la radio et la télévision nationales, ne leur ouvrent pas leur antenne. Il n'y a que la presse écrite privée qui se fait vraiment le relais de leurs critiques. C'est un peu comme en Tunisie, ce sont des critiques qui finalement ne sont entendues que par une élite, pour l'essentiel. Quoiqu'il y ait des chaînes de télévision comme Al-Jazira qui lui ouvrent leur antenne et contribuent un peu à faire entendre ses protestations dans le monde arabe et dans son propre pays.
    cabilia : L'Etat algérien avait invité les observateurs étrangers pour ce scrutin. On nous a parlé de la Ligue arabe, de l'Union africaine… Mais qu'en est-il des observateurs des Nations unies, de l'UE ? Ont-ils été présents sur le terrain ? Quelles sont leur conclusions sur ce scrutin ?
    A ma connaissance, les observateurs européens n'avaient pas été invités à venir. Et, de toutes façons, ceux qui avaient été invités, comme la Ligue arabe et l'Union africaine, avaient je crois un pur rôle d'observateurs, et pas du tout de contrôleurs des opérations. Donc il me semble que c'était plutôt une présence symbolique.
    jazzari : Quelles sont les intentions de l'Etat français, qui n'a pas attendu la confirmation des résultats par le Conseil constitutionnel pour féliciter par deux fois (ministère des affaires étrangères et Nicolas Sarkozy) le "nouveau" président algérien ?
    Je ne suis pas représentante du gouvernement français, et de plus, je suis en Algérie. Mais il me semble que, de toute façon, cela fait partie des usages protocolaires que de féliciter un nouveau président, et à partir du moment où on ne fait pas de commentaires dithyrambiques sur la façon dont se sont déroulées ces élections, un pays étranger peut difficilement faire autre chose.
    Ce qui me choque, c'est quand on en rajoute. Par exemple quand le président Sarkozy, et avant lui Jacques Chirac, décerne des brevets de bonne conduite en matière de démocratie au président tunisien Ben Ali. Là, cela dépasse à mon avis les usages protocolaires.
    RACHID : Comment expliquez-vous cette cohabitation paradoxale entre une liberté de la presse certaine et un verrouillage du pouvoir politique ?
    C'est vrai que c'est un des paradoxes les plus étonnants de l'Algérie. Mais la presse algérienne voit sa marge de liberté se rétrécir depuis cinq ans. Et cette marge va encore se rétrécir dans les années qui viennent, pendant le troisième mandat, me semble-t-il. Je crains aussi que si on lui laisse cette marge de manœuvre, c'est parce qu'on pense qu'elle a une influence limitée et qu'elle n'atteint pas toutes les couches de la population algérienne, notamment dans les coins les plus reculés.
    Car les médias publics, radios et télévisions, eux, sont sacrément bridés et contrôlés, et il n'est toujours pas question de donner l'autorisation d'ouverture de télévisions privées. L'audiovisuel reste public et étroitement contrôlé par le pouvoir. Donc le paradoxe, en fin de compte, est plutôt apparent que réel.
    Mehdi_l_etudiant : Est-ce qu'on vous a laissé travailler en toute liberté en tant qu'envoyée spéciale du Monde depuis que vous êtes en Algérie ?
    Cela fait neuf ans que je viens régulièrement en Algérie. Et je trouve que dans l'ensemble, oui, on me laisse vraiment travailler. Beaucoup plus, par exemple, que dans un pays comme la Tunisie. Ce que je déplore en Algérie, c'est qu'il y a deux moyens de limiter, d'une certaine façon, le travail des journalistes étrangers.
    D'une part, la délivrance des visas au compte-gouttes. Là, par exemple, j'ai attendu plus de six mois pour obtenir un visa. D'autre part, quand on est enfin sur place, on rencontre un formalisme bureaucratique qui empêche d'avoir accès facilement à l'information ou aux responsables du pouvoir. Donc on se retrouve finalement souvent, quand on est sur le terrain, face à un mur de silence, et c'est ça qui me gêne le plus en Algérie. L'opposition parle facilement, on y a accès sans problème, mais le pouvoir, lui, reste toujours dans l'ombre. Et en ça, le travail d'un journaliste, algérien ou étranger, est difficile. Mais je n'ai jamais souffert en Algérie d'intimidations ou de menaces, comme j'y ai eu droit dans d'autre pays.

  • #2
    bina_1 : L'âge du président ou son état de santé (il avait été hospitalisé au Val de Grâce pour des problèmes sérieux…) ont-ils été évoqués lors de la campagne ?
    Je ne crois pas qu'il ait été évoqué par la presse algérienne. Et ce n'est pas une question de censure, c'est une question de culture. Par respect pour le chef de l'Etat, les journalistes n'osent pas trop aborder cette question, alors que nous, la presse étrangère, on met souvent les pieds dans le plat. Et quand on le fait, je sens que ça choque et que ça déplaît en Algérie.
    Dans tous les cas, ce n'est pas l'âge du président Bouteflika qui pose problème. Un homme de 72 ans est encore pour longtemps en état de conduire un pays. Son état de santé, lui, c'est vrai, reste un peu un mystère. Bouteflika a été manifestement très malade ces dernières années. Il va visiblement beaucoup mieux. Mais tous ceux qui l'approchent disent qu'il a quand même des moments de fatigue visibles. Il reste que, pendant les trois semaines de campagne électorale, il a manifesté une énergie assez étonnante.
    kb57 : Des rumeurs prétendent que Bouteflika ne terminera pas son mandat pour laisser la place à son frère Saïd, qu'en pensez-vous ?
    Tout le monde se pose la question en Algérie, sans oser le dire ouvertement : est-ce que le président Bouteflika aura la santé pour aller jusqu'au bout des cinq années ? Je suis bien incapable de répondre. Je crois que personne, pratiquement, mis à part ses frères, en particulier son frère médecin, ne connaît la réponse.
    En revanche, pour ce qui est de Saïd, son autre frère, qui lui sert de conseiller en communication et de grand chambellan à la tête de l'Etat, je crois que c'est une rumeur assez farfelue, et que ni le président Bouteflika ni son frère Saïd n'y pensent sérieusement. C'est un bruit qui circule en Algérie, mais personnellement je n'y ai jamais cru.
    Virginie : Qu'en est-il de la succession de Bouteflika ?
    C'est un vrai problème, qui angoisse les Algériens. On a pensé l'année dernière que dans la réforme de la Constitution, qui est intervenue à l'automne 2008, un poste de vice-président allait être créé. Et finalement, ça n'a pas été le cas. La réforme constitutionnelle a essentiellement consisté à faire sauter le verrou du deuxième mandat, qui empêchait un chef de l'Etat de se présenter une troisième fois. Mais il n'a pas été question de la création d'un poste de vice-président. Et ce n'est pas dans le caractère de Bouteflika de se désigner un dauphin.
    Virginie : On a beaucoup dit que sa réélection avait été le fruit d'un accord passé avec les généraux : il abandonnait la mainmise sur le choix de son successeur et il restait au pouvoir…
    Une chose est sûre : l'institution militaire, qui est au cœur du "système" en Algérie, a donné son accord pour un troisième mandat de Bouteflika. Rien ne se fait sans son aval, aujourd'hui comme hier. Est-ce qu'il y a déjà pour autant un successeur désigné à Bouteflika en cas de problème de santé ou pour l'après-Bouteflika ? Je pense qu'il y a plutôt des hypothèses, et pas un choix arrêté. Evidemment je peux me tromper, je ne suis pas dans le secret des dieux.
    Camille : Alors que la question des disparus reste un problème prégnant de la société algérienne, pour quelles raisons, selon vous, cette question a-t-elle eu du mal à émerger au cours de la campagne et notamment dans la presse ?
    Je crois me souvenir qu'il y a eu deux référendums sur la question de la réconciliation nationale, et qu'il est maintenant pratiquement interdit de soulever cette question, sous peine de porter atteinte à l'ordre public. En principe, on ne doit plus maintenant parler de cette question des disparus.
    Donc le problème est double : d'un côté, il reste un noyau de familles, des mères souvent, qui continuent de réclamer la vérité, mais il est de plus en plus restreint, car cela fait des années qu'elles ont cette exigence sans être entendues. D'un autre côté, il y a une forme de lassitude de la part des journalistes à remettre souvent ce dossier sur le devant de la scène alors qu'en principe ils n'en ont plus le droit. Et quant à la classe politique – si l'on peut parler de classe politique en Algérie –, elle se garde bien de soulever cette question tellement elle est brûlante. C'est une question explosive, tout le monde le sait. D'autant plus qu'elle touche à l'armée et aux services de sécurité.
    KarimMontreal : Est-ce que les blocages actuels et le désespoir de la jeunesse pourraient mener à une instabilité plus grande voire à une révolte généralisée ?
    Depuis neuf ans que je viens en Algérie, je crains ça. Et curieusement ce n'est encore jamais arrivé. Il y a des foyers de révolte qui éclatent un peu partout dans le pays. Longtemps, ces sortes de jacqueries se sont limitées aux localités du nord de l'Algérie, mais depuis trois ou quatre ans elles touchent le centre et le sud.
    Ces derniers jours, juste avant de venir à Alger pour l'élection présidentielle, j'étais à Ouargla et à Hassi-Messaoud, où se trouvent les puits de pétrole et toutes les richesses de l'Algérie, à 1 000 km au sud d'Alger, en plein désert du Sahara. Quand je suis arrivée là-bas, j'ai découvert que la ville avait été secouée par trois jours d'émeutes violentes, déclenchées au lendemain d'une visite du président-candidat Bouteflika par la mort d'un vieux monsieur de 80 ans tué sur la route par un chauffard. C'était évidemment un accident tragique, mais qui ne justifiait pas que les émeutiers descendent dans la rue, pillent, cassent, incendient.
    C'est dire à quel point n'importe quel prétexte est bon pour les jeunes chômeurs d'exprimer leur révolte, leur colère, et je dirai même leur désespoir. Ces jeunes défilaient dans les rues aux cris de "Où passe l'argent du pétrole ?". Et ce n'était pas un slogan lancé par hasard, puisque les richesses nationales en hydrocarbures viennent de cette région.

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    • #3
      bina_1 : Le projet économique du président (fondé sur des réserves de change issues de la manne pétrolière) va-t-il se poursuivre malgré la crise ? Fait-il débat dans le pays ?
      Je pense que la question concerne le nouveau plan de relance annoncé par le président Bouteflika de 150 milliards de dollars pour les cinq années à venir. Pendant ses deux premiers mandats, le président Bouteflika a surtout consacré les ressources tirées de la manne des hydrocarbures à des travaux d'infrastructures qui manquaient dans le pays, comme des routes, des autoroutes, des barrages, des transports publics, etc. Cette politique des grands travaux était sans doute nécessaire, mais elle n'a pas créé d'emplois durables. Je crois que le président Bouteflika en a tout à fait conscience et qu'il va y avoir une orientation économique différente pendant son troisième mandat. C'est du moins ce que dit son entourage.
      Le problème en Algérie, c'est qu'il y a tout à faire à la fois : il faut encore construire un peu plus de trois millions de logements pour endiguer la crise, mais il faut aussi créer des emplois puisqu'à peu près 27 % des jeunes sont au chômage. Il faudrait aussi améliorer le niveau de l'éducation et de la formation. De nombreux dossiers peuvent à juste titre être considérés comme des urgences. Le défi est de rendre l'espoir aux Algériens, qui réellement ne croient plus à rien. Depuis neuf ans que je viens ici, je vois qu'il y a des choses qui avancent, mais les gens sont tellement pris dans les difficultés de la vie quotidienne, en particulier le coût de la vie, les embouteillages, l'absence de logements, l'absence de perspectives, qu'ils voient tout en noir.
      Un exemple : aujourd'hui, à Alger et dans pratiquement toutes les villes algériennes, il y a de l'eau qui coule dans les robinets 24 heures sur 24 ; il y a encore cinq ans, à Alger en tout cas, dans beaucoup de quartiers, les gens avaient de l'eau un jour sur deux ou sur trois, et c'était leur cauchemar quotidien. C'est déjà un problème de réglé. C'est un petit exemple qui montre que les choses avancent, mais les gens n'ont plus la patience d'attendre. Et je les comprends.
      oranais : Quelles sont, selon vous, les raisons de l'absence d'une réelle alternative en Algérie ?
      Je pense que le pouvoir ne veut pas laisser émerger d'alternative, et c'est un peu le fond du problème. Depuis l'échec de la prise de pouvoir par le FIS, le paysage politique est totalement verrouillé. Non seulement le pouvoir ne veut pas voir revenir l'islamisme politique en force, mais il empêche l'émergence de nouvelles figures ou de nouveaux courants démocratiques qui seraient capables de représenter la société civile. L'absence de solution et de perspectives tient à ça.
      François Béguin pour le Monde.fr

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