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Virée dans la Kabylie politique

Campagne, contre-campagne et majorité silencieuse

mardi 23 mars 2004, par Hassiba

De Maillot à El-Kseur, en passant par Tazmalt, Akbou et Sidi-Aïch, notre reporter prend le pouls politique et rend compte d’une campagne mitigée.

La RN26 qui va de Mchedallah jusqu’à Béjaïa est devenue ces dernières années le cauchemar de bien des automobilistes tant la circulation y est intense. À la densité de la population est venu s’ajouter le trafic généré par le port de Bougie, les sablières de la Soummam et les grosses industries qui ont fleuri dans la région ces dernières décennies. Cette route traverse l’une des vallées les plus peuplées mais également les plus frondeuses du pays. C’est cet axe que nous avons suivi pour prendre le pouls politique à différents endroits.

Une constatation s’impose d’emblée. Entre Maillot et El-Kseur, seuls quelques eucalyptus, parce qu’ils ont un tronc assez large, appellent à voter pour l’un ou l’autre des candidats en lice.

Et les rares affiches que nous avons pu voir sont placardées partout sauf sur les panneaux réservés à cet effet. Il faut dire que les militants des différents candidats doivent développer des trésors d’imagination pour trouver des endroits assez hauts pour être vus de tous et suffisamment éloignés des mains prédatrices qui se font un malin plaisir de les déchirer aussitôt collées.
À Raffour, petit village de commerçants au pied du mont Tamgout, seuls quelques portraits de Saïd Sadi ornant des poteaux électriques rappellent qu’une élection présidentielle va bientôt se jouer. Autrement, ni permanences ni ambiance électorales. Ce n’est pas tout à fait le cas à Chorfa où quelques affiches de candidats font une timide apparition. M. Akkache, directeur de campagne de Saïd Sadi au niveau de cette commune, affiche une belle sérénité : “ça se passe très bien, nous ne rencontrons aucun problème et nous écartons d’emblée tout risque de fraude au niveau de notre commune car ici tout le monde se connaît.” Toujours selon notre interlocuteur, le FLN, comme partout ailleurs, est divisé en deux camps, le programme du candidat Bouteflika se résume à une distribution d’argent et de postes, et les archs n’ont ni influence ni assise sur son territoire. ça facilite bien les choses pour le RCD.

La preuve, vendredi dernier, Mouloud Lounaouaci, un cadre du parti, a animé un premier meeting dans une salle de cinéma archicomble sans le moindre incident.
À Tazmalt, la couleur politique locale est affichée dès l’entrée. Le FFS n’a pas lésiné sur la peinture pour dire sur tous les murs disponibles son “boycott actif et massif”. Petite virée à la permanence du parti et discussion avec quelques militants. “Nous sommes le seul parti qui active ici”, nous disent-ils. C’est d’autant plus vrai que depuis le départ de Smaïl Mira, qui a régné sur Tazmalt pendant de longues années, les partisans de Da l’Hou occupent le terrain seuls. Les autres acteurs politiques, quand ils existent, se font très discrets à l’image des pro-Benflis qui font un remarquable travail souterrain, comme nous avons pu le constater.

DES AFFICHES RAGEUSEMENT DÉCHIRÉES

À Akbou, le poumon économique de la Soummam, c’est jour de marché et le commun des mortels semble plus préoccupé par les prix des fruits et légumes que par la cote de popularité des candidats à la présidentielle. Scène insolite : au beau milieu du marché, une dizaine de chiens errants folâtrent au milieu des étals sous l’œil indifférent de l’agent qui règle la circulation. De la campagne électorale, point de traces sur les murs exception faite de deux affiches de Boutef rageusement lacérées.
Ighzer Amokrane, la capitale nationale des eaux minérales et fruitées, donne l’impression de tourner résolument le dos aux élections. Ni slogans sur les murs ni affiches sur les panneaux. Et les sièges du FFS et du RCD en direction desquels nous nous tournons pour un éventuel renseignement sont fermés et offrent une image d’abandon.
Le flic à qui nous demandons s’il s’agit bien des permanences des deux frères ennemis acquiesce et ajoute qu’il n’a vu personne y entrer ou en sortir depuis belle lurette.

Ici comme à Akbou, les seuls posters que nous avons pu apercevoir sont ceux de Kamel Imoula qui fait campagne pour la dernière cassette qu’il vient de produire. Pour la présidentielle, prière d’aller voir ailleurs. Un peu plus loin, à Takeriets, des traces de pneus brûlés subsistent encore sur la chaussée, témoignant de l’accueil réservé vendredi passé au cortège d’Ouyahia, qui s’est fait bombarder de divers projectiles. Il n’est pas le seul à avoir vécu pareille mésaventure, car c’est désormais une tradition dûment respectée, tout ce qui ressemble à un cortège officiel avec une escorte de gendarmes a droit au même traitement de faveur : pierres, tomates et œufs pourris. Gare aux parebrises !

À Sidi Aïch, la politique semble reprendre droit de cité quoique très discrètement car les archs, comme le dit M. Adjaoud zahir, le coordinateur de la kasma “redresseurs” de Sidi Aïch, refusent toute campagne électorale.
Les comités de soutien de Bouteflika se livrent à une guerre sournoise, divisés entre la tendance représentée par le sieur Zerguini et celle que pilote Mme Baouche. Les redresseurs ne seraient qu’une poignée insignifiante alors que les adeptes de Benflis s’estiment à près de deux cents aficionados. Ils disposent d’une permanence et activent surtout à partir de cinq heures de l’après-midi.
Leur responsable, un ancien inspecteur de langue étrangère, aujourd’hui à la retraite, affiche un optimisme nuancé : “La seule chose que nous appréhendons, c’est l’empêchement physique du vote.” Par qui ? Il refuse de les nommer : “C’est une minorité mais une minorité agissante. À part ça, tout est prêt.”

Cependant, l’optimisme du vieil éducateur va jusqu’à penser qu’avec l’arrivée de Benflis, le FLN sera bientôt l’égal du RCD et du FFS en Kabylie.
Abdennour, lui, est aigri. Ce commerçant, ancien militant, qui a débuté son parcours à la défunte Académie berbère de Bessaoud Mohand Aârav, s’estime dépassé par la situation. “Les Kabyles sont trop divisés pour arriver à quelque chose”, lâche-t-il avec dépit. Un écœurement partagé aussi bien par monsieur tout-le-monde que par d’anciens militants de partis politiques qui se sentent impuissants face à une scène politique kabyle atomisée et de plus en plus gangrenée par la violence verbale ou physique. Les “dépassements” se suivent tout en gagnant en gravité.

À Sidi Aïch, jeudi dernier, après une marche et un meeting animé par les archs, un groupe de jeunes s’est détaché pour aller mettre le feu au local du RCD.
Depuis, les esprits s’échauffent et entre les uns et les autres les déclarations publiques et les procès en justice prennent l’allure d’une guerre déclarée où tous les coups sont permis.

EL-K’SEUR LA VILLE SYMBOLE INDIFFÉRENTE

De toutes les villes que nous avons visitées, El-Kseur, qui a offert son nom à la fameuse plate-forme qui a fait couler autant d’encre que de sang, semble être la plus indifférente à ces joutes électorales. Là encore, ni affiches, ni slogans sur les murs, ni permanences de candidats. Des policiers avec des gilets pare-balles et armes au poing veillent discrètement à tous les carrefours.
Ces derniers mois, la ville et sa périphérie ont connu plusieurs hold-up et la proximité des maquis islamistes de l’Akfadou les rendent encore plausibles à tout moment. Toutefois, les El-Kseurois vaquent nonchalamment à leurs occupations sous le regard bienveillant des nombreuses cigognes qui ont élu domicile sur les poteaux électriques et les toits des maisons.

Retour à Sidi Aïch où un meeting de l’interwilayas des archs a lieu à Souk Oufella, une commune qui surplombe la vallée de la Soummam du haut de ses 700 mètres d’altitude. Devant une foule nombreuse où l’élément juvénile est fortement représenté, les animateurs des archs, des moins connus aux plus médiatisés, se relaient au micro pour rejeter cette énième mascarade électorale et fustiger pêle-mêle le pouvoir maffieux et assassin, Bouteflika, Ouyahia, Zerhouni, les généraux, les partis politiques et tutti quanti. Dans le lot, c’est bien, évidemment, Saïd Sadi et son parti qui héritent du plus gros des flèches décochées.
L’assistance, elle, a droit à une bonne vingtaine d’orateurs et de discours qui puisent dans le registre habituel du mouvement qui va des droits des citoyens jusqu’aux devoirs du pouvoir en passant par l’histoire, petite ou grande, l’économie, la politique, l’identité et tutti frutti.

Une vraie “khalouta” idéologique et politique comme seuls les archs savent en faire mais qui amuse et passionne une galerie qui applaudit à tout rompre les envolées lyriques et les harangues des Bezza Benmansour, Farès Oujeddi, Belaïd Abrika, Ali Gherbi, Khoudir Benouaret et compagnie. Cependant, tout le monde est d’accord sur l’essentiel du message qui semble avoir passé : pas d’élections. Il reste à dire qu’il ne faut pas trop se fier aux apparences, car rien n’est encore joué. Tout en déplorant les dérapages, les excès et les dépassements de tout poil, la majorité silencieuse observe tout ce grenouillage avec circonspection. Le soir venu, les bars, les cafés et les tajemaâte s’animent et les langues se délient.

Et si la violence ne vient pas mettre son grain de sel, il n’est pas encore dit qu’en Kabylie, seuls les eucalyptus ont une opinion sur qui occupera le palais d’El-Mouradia.

Boudjellil

Meeting semi-clandestin des partisans de Bouteflika
Une délégation du comité de soutien de Bouteflika, présidée par M. Zerguini, a animé un meeting au chef-lieu de Boudjellil à l’extrême-ouest de Béjaïa. Les vestiaires du stade communal ont en effet accueilli Mme Fourrar, députée du clan des Redresseurs, qui a patiemment, et sous un soleil de plomb, présenté l’argumentaire de sa campagne électorale qui repose sur deux axes essentiels : Bouteflika est bon, Benflis “le traître” est mauvais. Des paroles bues comme du petit-lait par la dizaine de sympathisants invités pour la circonstance et par une poignée de footballeurs en herbe qui ont un instant délaissé la balle pour un événement aussi insolite.

À la fin du “meeting” chambré par une poignée de jeunes “arouchistes” qui ont eu vent de la venue des partisans de l’actuel président de la République, les esprits se sont quelque peu échauffés mais la tension est vite retombée. Pourtant, le village a été soigneusement évité car la délégation a rallié directement le stade qui offre l’avantage d’être situé en dehors de l’agglomération. Notons enfin que la députée, le président du comité et leur escorte ont quitté la commune comme ils sont entrés. En catimini.

Djamel Alilat , Liberté