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Une riche culture appauvrie

mercredi 29 décembre 2004, par Hassiba

Dire que la culture, en Algérie, est pauvre est une redondance. Il est vrai que le budget alloué au ministère en charge de la culture est tout simplement et ridiculement chétif.

Selon des responsables de ce ministère, il équivaudrait au budget nécessaire à la construction de 14 kilomètres d’autoroute. Bien maigre pour reconstruire, mettre à niveau et relancer les filières de productions culturelles déstructurées, délaissées et/ou obsolètes (cinéma, livre, théâtre) et promouvoir ou redynamiser les différentes facettes de la culture qui risquent d’être, au mieux, phagocytées par la globalisation ou, au pire, de disparaître, et, avec elles, des pans entiers de ce qui fait notre identité (patrimoine, musique, danse). C’est un vaste chantier qui a, certes, besoin d’argent, mais aussi, et surtout, de maîtres d’œuvre, de concepteurs, d’entrepreneurs... de matière grise, en somme.

Le poids des idées
Or, à voir ce qui a été fait, comment ça été fait et ce qui reste encore à faire, force est de constater que le problème, contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, n’est pas lié au manque d’argent uniquement. La culture algérienne, malgré sa richesse et ses potentialités avérées, a manqué avant tout d’idées et d’initiatives. En clair, ce qui a manqué le plus à la culture en Algérie, c’est une politique conséquente, réaliste et pragmatique qui aurait travaillé avec le budget alloué et, pour pallier le manque d’argent, aurait trouvé d’autres sources de financement publiques ou privées.

Autrement dit, c’était aux responsables et administrateurs de la culture d’aller chercher l’argent là où il se trouvait. Et pour ce faire, il aurait fallu que l’Etat et le ministère définissent d’abord leurs tâches en délimitant leurs champs d’intervention et d’engagement dans les différentes filières et secteurs de la culture. L’Etat, le Trésor et le ministère, c’est un fait, ne pouvaient, ne peuvent et ne doivent pas tout prendre en charge. Aussi se devaient-ils de circonscrire leur intervention à l’administration des filières. Ainsi, L’Etat aurait pu, par l’entremise du ministère, se limiter à la prise en charge de quelques chaînons de la culture tels que la construction d’infrastructures, l’initiation et l’encadrement de projets et l’élaboration de textes de loi permettant l’administration de la culture et la mise en place de mécanismes de régulation et d’aides et de soutiens. Dès lors, le ministère de la Culture n’aurait eu à financer que la partie du vaste chantier lui échéant et procéder ou initier des montages financiers pour le reste.

La corne d’abondance
Théâtre, cinéma, livre, patrimoine et toute autre activité culturelle auraient gagné à être pris en charge sur la base d’un judicieux partage des tâches, attributions et responsabilités entre différents acteurs et intervenants, dont le ministère qui aurait fonction de régulateur. Le maigre budget du ministère ne pouvant faire face à toutes les dépenses, il appartenait à ce ministère de se suffire de cette fonction qui lui ouvre droit à financer, organiser, et administrer le secteur et élaborer et proposer des projets de réalisations et des lois permettant à la culture d’attirer, selon ses besoins, les investisseurs, sans pour autant devoir vendre son âme et se départir de ce qui fait sa particularité.Il appartient au ministère de récupérer le théâtre pour enfants de Riadh El Feth qui a été dévoyé et détourné de sa fonction première pour être transformé en cabaret, mais il n’est dit nulle part que la construction d’un théâtre est la responsabilité de ce seul ministère.

Si l’activité cinématographique doit être réglementée et organisée, la production de films, la gestion, l’exploitation ou la construction de salles de cinéma ne peuvent, elles, être du seul ressort de l’Etat. Il en est de même pour le livre, la musique ou le patrimoine qui, eux aussi, ont besoin d’être protégés et non pris en otages par les lois ou couvés par la tutelle. Le ministère a bien fait l’expérience d’un partage des tâches et des charges avec le site de Timgad pour la restauration, la préservation et l’exploitation duquel, sur proposition du wali de Batna, la ministre a invité les Italiens avec l’objectif de les impliquer dans les différentes étapes du projet. Les mesures incitatives imaginées ayant réussi à décider l’investisseur à s’impliquer dans le montage financier, rien n’empêchait le ministère de renouveler l’expérience pour d’autres sites et d’autres secteurs avec d’autres partenaires. Il suffisait pour cela de penser à instituer ces mesures incitatives qui permettraient aux opérateurs économiques algériens et étrangers d’investir dans un secteur devenu, par la grâce d’une législation bien pensée, attractif et rentable.

Copié-collé intelligent
Sans trop se forcer, on aurait pu se contenter de copier, comme on l’a si souvent fait, ce qui se fait ailleurs. On aurait pu, par exemple, s’inspirer de la loi sur le mécénat votée en 2003 en France, qui accorde une réduction d’impôt pour les particuliers et les entreprises de 60% du montant du don. Cette loi, selon des économistes, est très positive et les avantages fiscaux considérablement augmentés qu’elle accorde en font une loi réellement incitative. Si, parallèlement, le département de Mme Khalida Toumi avait pensé à élaborer des propositions pour le reversement au bénéfice de la culture d’une partie de l’argent perçu pour certaines taxes et ventes de billets, le maigre budget alloué aurait grossi et gagné quelques rondeurs qui permettraient à la culture de mieux se porter, sur tous les plans, et de terminer 2004 en fête, avec un méga-concert et, pourquoi pas, un feu d’artifice.

Au lieu de quoi, les Algériens n’ont droit qu’à la grisaille qu’égayeront peut-être quelques loupiotes qui, comme une hirondelle n’a jamais fait le printemps, ne dissiperont guère la morosité culturelle ambiante et persistante. Les augures restent muets pour 2005. Seuls l’espoir et la revendication d’un changement demeurent tonnants et retentissants. Y aura-t-il oreille attentive ? On ne tardera pas à le savoir. Mais, sans préjuger, on peut dire que, s’il y a changement, il ne sera qu’à dose homéopathique tant il y a de pesanteurs et d’écueils dressés par tous ceux pour qui changement est synonyme de fin de règne, de rente et d’avantages. Car, toute pauvre qu’elle soit, la culture algérienne a permis à de nombreux hippogriffes et rapaces de s’enrichir sans bourse délier. C’est là un autre défi, et non des moindres, qui attend les gouvernants et administrateurs de l’Etat et de la Culture.

Par Hassan Gherab, La Tribune