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Salim Yezza : « La gendarmerie a torturé les jeunes »

lundi 31 mai 2004, par Hassiba

Salim Yezza est le principal animateur du mouvement citoyen des Aurès.

Le Matin : Comment avez-vous vécu tous ces jours de clandestinité ?
Salim Yezza : Je refuse d’utiliser le mot clandestinité parce qu’en réalité je ne suis à aucun moment sorti de T’kout. Nous étions protégés, moi et d’autres délégués, par la population. Des hommes et des femmes formidables se sont mobilisés pour monter la garde dans tous les villages où je passais la nuit. Hier, la veille de mon départ, nous avons mené une grande campagne de sensibilisation pour qu’un maximum de personnes participent à la marche de protestation qui doit avoir lieu aujourd’hui à T’kout. Une grève générale est prévue au cours de la même journée. C’était vraiment incroyable, la population était ravie de
voir le mouvement de nouveau à l’oeuvre après ce qui s’est passé. Notre popularité a augmenté car tout le monde est conscient que nous avons tout fait pour ne pas sortir du cadre pacifique.

Combien de personnes se trouvaient avec vous ?
Trente personnes, délégués et jeunes militants du mouvement, ont vécu ces journées.

Pourquoi êtes-vous recherché aujourd’hui ?
Le Pouvoir est décidé à casser le mouvement citoyen des Aurès car il a donné un caractère national au mouvement des aârouch de Kabylie. Il a été créé à T’kout le 24 avril 2001, soit une vingtaine de jours seulement après l’assassinat du jeune Guermah Massinissa. Le mouvement n’a pas tardé à prendre de l’ampleur pour s’étendre à d’autres localités, dont Arris. Le Pouvoir a immédiatement réagi en infiltrant certaines cellules et en les faisant éclater ensuite. Son objectif est de cantonner le mouvement des aârouch à la Kabylie, de faire croire à l’opinion publique qu’il s’agit d’un phénomène régional. Pour casser son prolongement à T’kout, il a entrepris de nombreuses manuvres, mais en vain. Les corrompus ont été exclus. En 2003, une visite de Bouteflika a été annoncée à T’kout. Immédiatement, nous nous sommes réunis pour signifier notre refus de le recevoir. Des communiqués ont été rédigés et c’est dans ce cadre que la gendarmerie m’a arrêté. J’ai subi un interrogatoire de cinq heures, ce qui a poussé la population à réagir en exigeant que ces derniers me relâchent auquel cas des émeutes auraient éclaté à la veille de la visite du Président. Par la suite, la justice m’a envoyé de nombreuses convocations. Plusieurs d’entres elles ont été interceptées par la gendarmerie qui les a dissimulées afin de me mettre en difficulté avec la justice. Reporté à plusieurs reprises, le procès est fixé au 19 juin. Je ne comprends donc pas pourquoi on me recherche.

Vous reproche-t-on d’avoir déclenché les évènements de T’kout ?
L’opinion nationale doit savoir que le mouvement n’est pas responsable de ce qui s’est passé. Au contraire, sans notre intervention de graves dérapages auraient pu se produire. Nous avons arraché les munitions découvertes dans les locaux de la gendarmerie des mains des jeunes et nous les avons remises aux concernés par le biais d’intermédiaires.
Après l’assassinat du jeune Argabi Chouaïb, des personnes inconnues à la ville ont provoqué la population et alimenté sa colère pour la pousser à incendier, non pas les locaux de la gendarmerie, comme cela a été rapporté, mais les affaires qui se trouvaient à l’intérieur.

Avez-vous découvert de qui il s’agissait ?
Pas du tout, nous ne le savons pas à ce jour. Tout ce que je sais c’est que le mouvement ne sortira jamais du cadre pacifique. Mais ils nous ont eu par surprise.

Votre père est toujours prisonnier ?
Oui, il est otage, ils exigent ma reddition pour le relâcher. Mon petit frère aussi a été embarqué alors qu’il n’a pas pris part aux émeutes. Il a été condamné à trois ans de prison.

La situation dans les Aurès peut-elle, selon vous, dégénérer au point d’en arriver à celle qui prévaut aujourd’hui en Kabylie ?
Absolument. La situation qui prévaut actuellement à T’kout n’augure rien de bon. Le scénario qui a précédé les évènements qu’a vécus cette ville commence à se dérouler dans d’autres localités. La population est menacée, provoquée Sur un autre volet, il faudrait rappeler que le mouvement exige le départ de la gendarmerie.

Que compte faire votre mouvement à présent ?
Vous savez, et pour être honnête, nous avons reçu de sérieux coups ; à présent, nous sommes en phase de restructuration. La campagne que nous avons menée la veille de notre départ à T’kout nous a redonné espoir.
Le mouvement se relèvera rapidement. Je voudrais seulement ajouter que la seule raison qui m’a poussé à sortir de T’kout est de venir témoigner ma solidarité au directeur du Matin dont le procès se déroulera aujourd’hui.

Pouvez-vous en dernier lieu nous confirmer les sévices endurés par les jeunes après leur arrestation ? La gendarmerie nie ces faits
Au cours de la nuit où les jeunes ont été arrêtés, leurs cris nous parvenaient jusqu’à l’extérieur. Tout le monde a entendu les hurlements de ces malheureux. Les parents des victimes qui se sont rendus à la gendarmerie pour emmener à leurs enfants de quoi manger ont vu les détenus nus alignés dans les locaux. Ils ont attenté à leur honneur. Tous ceux qui ont témoigné le contraire mentent.

Propos recueillis par Abla Chérif, Le Matin