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Rivers and Tides

mercredi 27 avril 2005, par nassim

Rivers and Tides est un documentaire sur l’artiste écossais du Land Art Andy Goldsworthy.

Le mur de pierres sèches s’élève.

Andy Goldsworthy dans Rivers and Tides.

Les maçons s’activent, gestes précis, torse nu et gras du bide. Bientôt, il atteint une hauteur d’homme, la dépasse. Comme le mur s’élève, la caméra aussi, et découvre un interminable serpent pierreux qui court et ondule à travers la forêt, s’arrête au bord des routes, repart et semble se perdre entre ciel et terre. Le mur a été pensé, conçu et dessiné par Andy Goldsworthy, artiste écossais du Land Art. La caméra est dirigée par le cinéaste allemand Thomas Riedelsheimer, qui filme son cinquième opus dans le nord de l’Etat de New York. Il s’agit d’un documentaire sur une personnalité artistique, un de plus. Pas tout à fait, car deux choses retiennent l’attention.

Utopie. La première concerne le mur, qui décrit un tracé ivre, contournant les arbres comme une écharpe jetée autour d’un cou. A force de tournicoter, il produit un curieux effet. On ne sait plus de quel côté on se trouve, à l’image d’un ruban de Moebius. Ce mur-là ne sépare rien. Il faudrait imaginer un ex-mur de Berlin qui aurait confondu est et ouest de sorte que les Allemands en auraient perdu le nord en retrouvant le sud, ou vice-versa, et se seraient demandé si leur ville et leurs histoires ne se seraient pas mélangées à celles de leurs voisins. Au sens strict, c’est une utopie, soit ce qui se trouve « en aucun lieu ».

Anticipation. La seconde chose concerne la caméra, capable d’accompagner son sujet et de l’anticiper. Car, s’il faut un point de vue surplombant pour comprendre le sens des errements du mur, filmer un land-artiste fait courir le risque de la carte postale. A force d’arpenter des contrées neigeuses, d’enjamber des torrents... la tentation est grande de lisser de belles images. Riedelsheimer s’en garde : ses plans obéissent à une nécessité où l’esthétique tient le rôle du sparring-partner.

Echecs. S’attachant aux pas de Goldsworthy, le cinéaste finit par montrer ce qui n’apparaît jamais dans les films sur artistes : les échecs. Car l’Ecossais affronte moins le paysage que le temps, pas seulement le temps météorologique. Quand il assemble des branches ou des pierres au bord d’un estuaire, il dispose de la durée que lui accorde le flux de la marée. Lorsque, pour la quatrième fois, son fragile édifice s’effondre, le corps de l’artiste à son tour s’affaisse. « Je ne connais pas encore assez la pierre », admet-il. La caméra saisit le désastre avec la même compréhension qu’elle illustre la réussite. Le cinéaste ne juge pas, il regarde, attend et enregistre.

A l’exception d’une courte halte dans la maison familiale, le versant biographique est évité. Et pourtant la méticulosité du travail, les réflexions de l’artiste et ses silences dessinent la carte d’une intimité d’autant plus émouvante qu’elle est impersonnelle.

Par Hervé GAUVILLE, liberation.fr