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Lounis Aït Menguellet, le poète

lundi 14 mars 2005, par nassim

Le dernier album de Lounis Aït Menguellet fait un carton. C’est une bonne nouvelle, la poésie reprend ses droits. Écoutons le poète.

Liberté : Lounis, qu’est-ce qui te fait encore chanter à ton âge ?
Lounis Aït Menguellet : Qu’est-ce qui me fait chanter ? C’est le seul moyen d’expression que je connais. J’en use. Ça sert à quelque chose. À sortir ce qu’il y a en moi. Il y a des gens qui peignent, qui écrivent, qui sculptent, moi je chante. J’exorcise.

Tu chantes pour donner des leçons ?
Je me l’interdis. Je ne fais que de l’observation. Elle peut être juste ou fausse. Mes mots ne sont pas des vérités générales. Mais, quand je les dis, ça me fait du bien. Quand tu as des choses à dire et que tu arrives à le faire, à ta façon, tu ne peux être que satisfait ! Tu fais œuvre utile...

À l’origine, tu as décidé d’être chanteur ?
Je suis le fruit d’un accident. Non, je n’ai jamais voulu être chanteur. À ce jour, je considère que je suis victime de l’accident originel. Je me défends d’avoir opté pour le processus qui consiste à fabriquer une vedette, un nom. Depuis mes débuts, qui remontent à quarante ans, je n’ai jamais su si j’allais créer un album, puis un autre, puis un autre... Je ne sais pas de quoi est fait demain.

Comment se déclenche l’envie de créer ?
Je ne connais pas le mécanisme. Il y en a qui ont besoin de calme, de campagne, de situations particulières, ou de dope pour écrire. Moi, je peux créer dans n’importe quelle circonstance. Je ne suis pas, par exemple, tributaire des évènements que traverse le pays. Prend pour illustration Nedjayawen amkan (on vous a laissé la place), qui est censée être une chanson-réponse au lynchage public dont j’ai été victime, il y a quatre ans. Je l’ai écrite une, voire deux années après ma mise à mort. Je ne réagis pas à chaud. Les évènements n’expliquent pas ma carrière. Ils ne l’ont pas faite.

Lounis, philosophe, poète ou sage. Qui es-tu ?
Je ne suis ni philosophe ni penseur. Si je l’étais, j’aurais plus de prise sur ce que je fais. Je suis un homme ordinaire, plus ordinaire que les ordinaires.

Tu ne te vois même pas poète ?
Pas trop, mais on me le dit si souvent que je commence à y croire.

Qu’attends-tu pour prétendre à l’universalité ? Passer à un autre mode d’écriture ?
La chanson est un mode d’expression qui s’est imposé à moi. Je m’exprime comme je sais le faire. Ce que je dis est-il important ? Certains pensent que si. Moi, je pense que je ne dis que des évidences. Tant mieux si on pense que c’est spécieux...

Ta chanson est fondée sur du texte, sur la langue. Fais-tu un travail de recherche, à l’instar des linguistes, ou un travail de mémoire ?
Je ne fais pas de travail de recherche. Peut-être fais-je un travail de mémoire ? Les mots du “kabyle” me parlent et je continue à en découvrir. La langue, c’est la mère, la terre. Il y a un phénomène qui compte, c’est l’oralité. Une langue orale est obligée d’être pleine de subtilités. Ce qu’elle ne peut pas exprimer à l’écrit, elle est obligée de le compenser par autre chose. De l’impalpable. La langue, parlons-en, le kabyle par exemple, s’il ne s’enrichit pas d’apports extérieurs, restera bloqué, en panne. Cette logique est implacable. Une langue qui ne va pas vers d’autres langues, c’est un serpent qui se mord la queue.

Tu écris, donc tu lis ?
La lecture, c’est mon alimentation. Je n’ai pas de genre littéraire préféré. C’est une chance. Je suis un boulimique de la lecture. Pour les genres, je réponds de la même manière que lorsqu’on me demande quelle est ma saison préférée. J’aime toutes les saisons. Je m’adapte à tous les temps. La pluie ne me donne pas le cafard. J’aime... Il en va ainsi de la lecture.

Tu as parlé de lynchage. Tu as été insulté...
Je ne veux pas revenir là-dessus...

Ton public a été ingrat ? Les Kabyles ?
C’est prétentieux. J’ai eu un mot juste, un jour : nous sommes des fusibles. Je ne sais pas ce qu’on attend de nous. Ce que je sais, c’est qu’on attend de nous plus que ce qu’on peut donner. Le poète a toujours une place spéciale dans notre société. Quand ça va mal, on fait appel à lui. On lui fait des reproches. On le prend pour la source de toutes les misères. De tous les maux. Si ça doit faire du bien à mon monde, j’accepte de servir de fusible...

Ce n’est pas ridicule de rattacher l’avenir, le devenir à la JSK et à la chanson ?
Pour la cause, pour les libertés, on a besoin de symboles. La chanson a toujours porté à bout de bras l’âme kabyle, l’essence algérienne. Il y a plein de Kabyles qui ont appris leur langue grâce à la chanson.

Tu commences à te bonifier sur le plan musical, c’est nouveau...
Je n’ai aucun mérite sur ce plan. Ce travail est celui de Djaâfar, mon fils. C’est indiscutable. Il est capable de faire redécouvrir des mélodies que j’ai créées dans les années 1970. C’est miraculeux le travail d’un arrangeur... Depuis qu’il travaille avec moi, nous avons des retours d’écoute très favorables.

Au niveau éditorial, tu sembles te porter mieux...
C’est la première que j’ai à faire à une édition (Izem-Pro, ndlr), qui fait des efforts sérieux. Belaïd, le patron, a des idées formidables. Il faudrait que les chanteurs suivent. Qu’ils l’aident à aller vers un changement nécessairement. Progressivement, nous allons nous adapter aux normes mondiales. Il faudra tout de même inventer le mécénat et le sponsoring... Les choses évoluent lentement. Cette lenteur est normale. L’essentiel est que les choses soient mises en place. Sur le parcours, il y aura des avatars. Il y en aura beaucoup. Pas de mesure.

Lounis, il n’y a plus de salles de spectacles...
Beaucoup de structures ont été détruites. Il faudra les réinventer. J’aime bien ce qui se passe à Tizi, à la maison de la Culture. El-Hadi Ould Ali a de vrais projets et il commence à les mettre en œuvre. J’assume aussi cela : j’estime qu’avec Khalida Messaoudi, c’est la première fois qu’on a un vrai ministre de la Culture. On la dénigre souvent, toujours. ça correspond à notre mentalité ! “C’est nous qui vendons les nôtres, au lieu de les encourager, lorsqu’ils approchent des cimes. C’est dégueulasse ! On cherche le pouvoir et lorsque l’un des nôtres y arrive, on crie, scandalisés : ah, il a pris le pouvoir !”

Les partis politiques sont-ils morts en Kabylie ?
Il y a un malentendu terrible. J’ai beau crier que je ne connais rien en politique. Que je n’en fais pas et que je n’en ferai jamais, on ne veut pas me croire. Le multipartisme est une bonne chose. Chaque parti doit travailler à faire évoluer la société. Qu’il vienne de là ou de ci, le positif, je l’accepte. Pourquoi vouloir faire de moi un politique, alors que ne suis qu’un chanteur ?

Les archs ont-ils été une alternative crédible ? Juste ?
À une époque ancienne, ils étaient adaptés à la société. Je comprends leur résurrection. Il sont venus dire aux partis : “Arrêtez de faire les cons !” Si les partis pouvaient aujourd’hui prendre leurs responsabilités, les délégués, les archs quitteraient l’agora. Ils ont joué un rôle nécessaire. Il faut qu’ils cèdent maintenant la place aux partis. À condition que ces derniers aient retenu quelques leçons.

Les archs ne sont pas indemnes de tout soupçon...
Dans toute action initiée par des gens sincères, il y a des parasites qui viennent se greffer. À l’origine, les archs sont venus pour mettre de l’ordre.

Et le dialogue ? Tu es d’accord ?
C’est une bonne chose, mais j’aurais aimé qu’il soit mené par les partis. Pour cela, il aurait fallu qu’ils se ressaisissent. S’ils l’avaient fait, les délégués des archs, j’en suis convaincu, seraient rentrés chez eux.

Bouteflika prépare un projet d’amnistie générale ?
Franchement, je préfère ne pas livrer mon opinion.

Penses-tu que le pays va vers un mieux ?
J’ose l’espérer, mais je connais notre frein. Comme le disait Fellag, on veut tout, tout de suite. C’est quoi 1962-2005, 40 ans dans l’histoire d’une nation ? Tout, tout de suite, c’est de l’utopie, du conte de fées... Avant qu’on devienne un pays, il y aura encore de la corruption, des sacrifices, des déçus, du sang... C’est comme ça qu’un pays se construit !

Tu continues à contribuer au travail des associations ?
Un peu, mais plus trop. On nous demande trop de choses. Si 365 associations sollicitent un artiste, 365 fois dans l’année pour se solidariser d’une cause ou d’une autre, alors l’artiste, tout artiste, finirait dans le caniveau.

Par Meziane Ourad, liberte-algerie.com