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Les puces "indics" sont parmi nous

vendredi 18 mars 2005, par Hassiba

L’identification à distance (RFId) concerne l’ensemble des objets qui nous entourent, mais aussi les êtres vivants et les humains.

Solution idéale pour la gestion, confortable pour le paiement, rassurante pour les informations médicales, elle autorise aussi une surveillance permanente des citoyens.

Le parti communiste chinois les utilise pour identifier ses congressistes, le marathon de Berlin pour classer ses coureurs, le géant américain de la distribution Wal-Mart pour gérer ses stocks, des fermiers pour reconnaître leurs bovins, certains Californiens pour retrouver leur chien. Beaucoup de Parisiens en présentent une version rudimentaire aux tourniquets du métro - le passe "Navigo" de la RATP - ; quelques cobayes américains en portent un prototype high-tech sous la peau, qui donne accès à leurs données de santé ; de plus en plus d’automobilistes en actionnent une, sans trop le savoir, en se servant de leur clé. Les puces fonctionnant selon la technologie de radio-identification (radio-frequency identification ou RFId, selon la terminologie américaine qui s’est imposée) ne prolifèrent pas encore, mais elles s’insinuent chaque jour davantage dans nos sociétés. A la joie des industriels et investisseurs, qui les guettent comme un marché prévu de 3 milliards de dollars en 2007, avant le grand boom d’une généralisation annoncée pour 2010, mais au grand dam d’associations de consommateurs ou de défense des libertés publiques qui les redoutent comme un avenir de cauchemar où chaque objet pourra nous dénoncer.

"CONTRÔLES INVISIBLES"
De quoi s’agit-il ? De rien de moins que de se libérer des codes-barres qui détiennent depuis des années, derrière leurs barreaux informatisés, les données élémentaires d’identification des produits. Et, sans doute bien plus encore, tant les possibilités et les applications de cette technologie, classée comme pervasive (envahissante, qui se fera sentir un peu partout) par les Américains, paraissent variées. Après de glorieux débuts qui avaient permis à l’armée de l’air britannique, pendant la seconde guerre mondiale, de distinguer ses appareils de ceux de l’ennemi, la radio-identification a été, en effet, dopée récemment par la course à la miniaturisation lancée par l’arrivée des microsystèmes et des nanotechnologies. Aujourd’hui, une puce RFId pourrait tenir sur un des points de cet article.

Dans sa version la plus simple, cette étiquette intelligente associe une mémoire, contenue dans un microprocesseur, à une antenne miniature permettant de transmettre les données par fréquences radio et à un mécanisme de production d’énergie, vrai coup de génie de l’ensemble puisqu’il permet d’abaisser son coût et d’augmenter sa durée de vie en se passant de batterie. En effet, c’est l’appareil de lecture à distance qui va réveiller la puce en lui transmettant un champ électromagnétique. Celui-ci est aussitôt converti en énergie, suffisante pour que l’étiquette puisse adresser en retour au lecteur un signal radio qui contient toutes les informations souhaitées. La distance à laquelle peut être effectué le contrôle dépend de la longueur d’onde radio utilisée : elle varie entre 10 centimètres et une dizaine de mètres selon les quatre fréquences autorisées par les normes internationales. Pour des entreprises telles que celles de la grande distribution, qui gèrent des stocks de produits énormes, c’est l’idéal. L’étiquette intelligente peut éviter les contorsions du contact direct jusque-là indispensables entre le lecteur et le code-barres, tout en contenant davantage d’informations. L’américain Wal-Mart et l’allemand Metro viennent donc de l’adopter, en rêvant sans doute au jour où les caisses des supermarchés n’auront plus qu’à décrypter en quelques secondes le contenu d’un chariot entier. A terme, pour le secteur de la distribution et l’industrie en général, la RFId peut aider à réduire les stocks, à améliorer la lutte contre le vol et la contrefaçon et parfaire la traçabilité des produits : couplée à un capteur de température, la puce pourrait signaler, par exemple, toute rupture dans la chaîne du froid.

La technologie RFId peut aussi autoriser un véritable dialogue entre le lecteur et la puce, dont le contenu pourra alors être reprogrammé à volonté. Ces versions plus sophistiquées intéressent particulièrement le domaine des transports, où elles peuvent servir, par exemple, à ajouter la destination à l’identifiant d’un bagage dans un aéroport. Ou encore se comporter en porte-monnaie électronique, comme dans le système Speed-pass mis en place par Exxon Mobil dans ses stations américaines, un tag RFId collé sur la voiture qui permet à des millions d’automobilistes de faire le plein en étant reconnus par la pompe à essence, sans passer par la caisse. Les autorités fédérales américaines ont fait savoir, en janvier, qu’elles testeraient, dès l’été 2005, une adaptation de ce procédé qui permettrait d’accélérer le passage des postes-frontières par les véhicules équipés. Sous l’objectif louable affiché - résorber les files d’attente -, les associations de défense des libertés civiles ont immédiatement décrypté le besoin d’en savoir plus sur ceux qui entrent et qui sortent du territoire. "Ce système permettrait au gouvernement de mener des contrôles d’identité invisibles", estime Jay Stanley, leur porte-parole.

De fait, la contestation des dérives que pourraient engendrer les étiquettes intelligentes s’est rapidement organisée aux Etats-Unis, pas seulement sur les questions de sécurité telles que le projet de passeport RFId. Une association, Caspian (Consumers against supermarket privacy invasion and numbering), s’est entièrement dévouée à cette lutte. Sur Internet, des firmes comme Gillette ou Benetton, qui avaient envisagé de recourir à la nouvelle technologie, ont essuyé un tollé. En Californie, un directeur d’école qui a mis en place, en janvier, un système d’identification des élèves grâce à la technologie RFId est confronté à une forte mobilisation des parents. Comme souvent, la rumeur a amplifié la frayeur. Un canular a laissé croire que plusieurs Etats avaient décidé d’identifier les sans-abri grâce à des puces sous-cutanées. Ces puces de la taille d’un grain de riz, autorisées en décembre 2004 par la Food and Drug Administration (FDA) et, en réalité, destinées à informer les services médicaux sur les éventuels troubles de santé de ceux qui les portent, n’en finissent pas de nourrir la polémique.

Un argument principal fédère les craintes : dans une société de consommation où chaque individu est entouré de milliers d’objets, l’analyse à distance des caractéristiques de ces produits peut être assimilée à un profilage qui porte atteinte à la vie privée. "Imaginez que des vêtements portent chacun une puce RFId pour pouvoir être reconnus automatiquement par une machine à laver, selon leur degré de fragilité, explique Yann Le Hegarat, du service de veille informatique de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Cela simplifie la vie mais, chaque fois que vous passerez dans un hall d’immeuble avec l’un de ces habits, vous pourrez être identifié par un capteur placé là à votre insu." "Le débat doit être ouvert pour que chacun connaisse les risques, mais aussi les grands avantages de la RFId, estime, de son côté, Gilbert Reyne, spécialiste des matériaux actifs et des applications pour un environnement intelligent (CNRS, Institut national polytechnique de Grenoble). Cette nouvelle technologie a besoin d’être encadrée, mais il faut bien comprendre que nous changeons d’époque : les objets ne resteront plus inertes par rapport aux hommes."

Par Jérôme Fenoglio

Des obstacles avant la généralisation
La domination du monde des objets par les RFId n’est pas encore certaine. Leurs concepteurs voient, en effet, leur développement se heurter à plusieurs obstacles. La technique d’abord : certaines surfaces en métal ainsi que les contenus liquides de nombreux produits peuvent brouiller le signal radio. Le coût ensuite : pour s’imposer sur le marché, la puce intelligente ne doit pas dépasser les 5 centimes d’euro par unité. Or les industriels ne font que s’approcher, pour l’instant, de ce seuil. Selon son degré de sophistication, une puce RFId coûte actuellement de 15 à 25 centimes. Un lecteur revient, lui, aux alentours de 5 euros.

La sécurité enfin
la principale mauvaise nouvelle pour la technologie RFId est venue, en février, d’un groupe d’informaticiens américains qui a fait savoir que plusieurs modèles de puces, comme celles utilisées dans le système Speedpass d’Exxon-Mobil, pouvaient être facilement violés par des moyens rudimentaires. Si elles se révélaient exactes, ces failles pourraient compromettre la réputation des étiquettes.

La CNIL réservée
Dans une communication de l’un de ses commissaires, Philippe Lemoine, adoptée le 30 octobre 2003, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) avait identifié plusieurs pièges qui conduisent à minorer les risques des RFId sur la protection de la vie privée. La CNIL, qui est déjà intervenue pour faire modifier le système "Navigo" de la RATP (Le Monde du 14 juillet 2004), demandait que les informations traitées par cette technologie soient considérées comme des données personnelles et que des mécanismes de désactivation des étiquettes soient mis en place. Depuis, un groupe de travail rassemblant les autorités de protection des données des membres de l’Union européenne a produit une série de recommandations, soumises à consultation publique jusqu’au 31 mars.

Source : www.lemonde.fr