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Les professionnels analysent le transport routier en Algérie

mardi 15 mars 2005, par Stanislas

Le transport terrestre est l’un des moyens de transport le plus usuel en Algérie. Que ce soit pour les voyageurs ou pour les marchandises, pas moins de 85% empruntent quotidiennement la route. Mais dans quelles conditions ?

Ces derniers, regroupés dans leur majorité dans des syndicats autonomes, tentent de s’organiser mais en vain. Les raisons, à les entendre parler, sont diverses. Pour les animateurs de l’Union nationale des transporteurs (UNAT), de nombreux problèmes sont rencontrés à l’exemple du manque d’infrastructures routières, de l’absence à l’accès aux véhicules neufs avec des facilités bancaires ou encore de l’absence d’une politique claire du secteur. Le président de l’UNAT, M. Aider, affirme que « la politique des transports est très loin de la réalité du terrain. Car le transport doit être regroupé dans des entreprises et non artisanal. Donc, c’est la création d’entreprises de grande envergure qui doit s’imposer dans le transport terrestre ». Revenant sur le développement du secteur, M. Aider rappellera qu’« en 1988, il y avait 90% d’entreprises étatiques et 10% de privé. Actuellement, c’est le contraire mais, malheureusement, il n’y a pas d’entreprises qui gèrent le secteur mais plutôt de nombreux opérateurs. Il y a au moins 1,003 véhicule par opérateur.

Ce qui représente 50 000 véhicules pour 40 000 opérateurs ! ». Un nombre très important qui ne peut, selon le syndicaliste, être facilement géré ou organisé. Même en termes d’emploi, explique encore le président de l’UNAT, « si le secteur était organisé en entreprises, il y aurait entre 4 à 5 salariés par autocar ». Mais pourquoi les opérateurs en possession d’un seul véhicule ne s’organisent-ils pas en petite entreprise ? « Car ce n’est pas dans la mentalité des Algériens. Ils continuent de penser chacun pour soi et Dieu pour tous mais il faut dire aussi qu’il n’y a pas de mesures fiscales et parafiscales qui les incitent à le faire. Nous avons demandé aux autorités de trouver des mécanismes de fiscalité pour un remboursement sur 4 ou 5 ans », soutient le vice-président de l’UNAT, M. Bedrane. Pour ce dernier, il n’est plus question de s’interroger sur l’anarchie évidente du secteur des transports mais plutôt d’essayer de trouver des solutions : « Il n’est pas normal qu’un transporteur fasse sa mécanique sous un balcon ou encore sa vidange sur la route. Pourtant c’est ce qui se passe.

Il est impossible d’organiser 40 000 opérateurs et je défie n’importe quelle direction de transport de pouvoir le faire alors essayons de trouver des solutions ensemble et nous, en tant que syndicat, nous sommes disposer à coopérer. » M. Aider considère que cette coopération est déjà en bonne voie : « Nous commençons à être écoutés. En tant que professionnels du secteur et syndicat, cela fait des années que nous avons pris conscience de ce qui allait se produire. Actuellement, avec la loi n°01/13 de 2001 où l’accès à l’exploitation dans le secteur a été conditionné, nous espérons que c’est là un début vers le professionnalisme. »

L’emploi de jeunes, la genèse de l’anarchie

L’UNAT a également entamé des démarches pour un regroupement des transporteurs, « mais nous avons demandé aux administrations concernées d’avoir des mesures incitatives, comme l’exonération des charges sociales et parafiscales, de façon à n’avoir sur une seule ligne qu’une société ou deux », explique de nouveau le président du syndicat, en ajoutant : « Ce qui permettra d’avoir un interlocuteur en cas de défaillance. Aujourd’hui, il y a des lignes où il y a 100 à 120 transporteurs, à qui s’adresser ? » Le syndicat qui dit s’impliquer dans l’organisation des transporteurs ou encore les prestations fournies, tient à rappeler que l’Etat est le premier régulateur. Par la voix de M. Mameri, le président adjoint du syndicat, il est expliqué qu’il y a « un système de contrôle et des textes de loi à respecter et, en ce qui concerne les professionnels du métier, les lois sont respectées.

Maintenant, il y a une petite anarchie qui s’est installée avec l’arrivée des opérateurs de l’emploi de jeunes qui ne connaissent pas le métier ni les lois. Nous essayons encore de moraliser et d’organiser mais c’est loin d’être gagné. D’ailleurs, notre but est de reconquérir nos lettres de noblesse mais malheureusement il y a encore des transporteurs qui ne sont pas très réceptifs ». Abondant dans ce sens, M. Bedrane précise : « A Alger, nous comptons actuellement 2 900 transporteurs. En toute honnêteté et dans le meilleur des cas, on ne peut en maîtriser que 20%. Il est impossible aujourd’hui de cerner les 2 900 et de les organiser. Même l’Etat est dépassé et ses contrôleurs également. Continuer à sévir par la sanction ne réglera pas le problème, il faudrait trouver un système pour regrouper les gens et créer des entreprises et avoir un cahier des charges comme c’est le cas dans des pays voisins ». M. Aider a préféré, pour sa part, rappeler que les professionnels du métier offraient des prestations très satisfaisantes : « confort, sécurité, vidéo ou encore journal » mais c’est, bien sûr, pour les longs trajets. Le transport urbain, c’est une autre paire de manches.

Les prestations qu’offre ce dernier très en deçà des attentes citoyennes s’expliquent au niveau de l’UNAT. En premier lieu et selon M. Mameri, « le citoyen doit faire la différence entre un transport urbain et un autocar destiné au long trajet. Les normes internationales font qu’en transport urbain, les capacités en position debout soient les 2/3 de la totalité. Le reste des positions assises, c’est pour les invalides, les personnes âgées ou les malades. C’est ça un autobus et c’est international, pas spécifique à l’Algérie. Un 100V8 par exemple est fait pour transporter 102 personnes en position debout pas assise notamment pendant les heures de pointe. Simplement dit, l’urbain, c’est rapide en position debout ».

50 000 véhicules de transport pour 40 000 opérateurs !

Le nombre important des transporteurs urbains est l’autre explication du non-respect de la réglementation et des prestations offertes. « Il y a, c’est certain, une faillite de l’organisation des transports quand, pour une ligne, il y a 40 ou 50 transporteurs », explique M. Bedrane. Selon ce dernier, un chauffeur d’autocar est tenu de donner un horaire fixe de son départ. Seul le stationnement au quai d’embarquement est autorisé. Sur le parcours, tous les arrêts (facultatifs ou obligatoires) ne doivent dépasser en aucun cas le temps de faire descendre et de faire monter les voyageurs disponibles. « Il est vrai que de nombreux transporteurs ne respectent pas les points d’arrêt, ni le temps d’arrêt. C’est le premier problème des grandes agglomérations. Il faut arriver à instituer un transport avec des horaires de départ et d’arrivée avec des horaires intermédiaires. Or aujourd’hui, tout le système de transport urbain est basé sur un système de navette. Alors que, normalement, un client a le droit de connaître l’heure de démarrage et d’arrivée. Aujourd’hui, c’est le cas des longs trajets et, malheureusement pour l’urbain, le manque de gares routières et d’aires de stationnement fait que les arrêts sont devenus des mini-gares », affirme encore M. Bedrane. L’absence d’une politique claire est une autre raison avancée par l’UNAT pour expliquer l’anarchie qui règne dans le secteur.

Le citoyen complice de la désorganisation

Le président de l’UNAT considère, quant à lui, que le citoyen est complice de l’anarchie qui règne dans le secteur du transport urbain : « Le citoyen doit s’impliquer. Il doit dénoncer le transporteur qui ne respecte pas les règles au niveau de la direction des transports car la passivité du citoyen aide beaucoup l’installation de l’anarchie. L’Etat n’est plus concerné par certaines choses et il ne faut pas s’adresser à chaque fois à l’administration quand il y a un problème. » C’est l’économie de marché et la libre concurrence, ne cesseront de rappeler les représentants des transporteurs privés. Notamment en ce qui concerne les prix. Justement et parlant des dernières augmentations discordantes décidées par des transporteurs sur certaines lignes, les animateurs de l’UNAT ont tenu à expliquer qu’il y a un certain cafouillage dans la loi.

Economie de marché oblige, l’augmentation des prix est libre

« Chaque transporteur est libre d’imposer ses tarifs. Nous, nous préconisons un prix plafond à ne pas dépasser et c’est tout », explique M. Aider, en ajoutant qu’« il y a cafouillage entre l’ordonnance 95/06 et le décret 96/39 où l’un parle d’une limitation à 0,25 centimes/km pour un service de ramassage et l’autre explicite que tous les tarifs sont libres et soumis à la concurrence sauf ceux spécifiques et stratégiques définis par le chef du gouvernement ; or, jusqu’à maintenant, rien n’a été défini. Les prix sont alors libres et concurrentiels, à charge seulement pour le transporteur d’afficher les prix et libre aux usagers d’accepter ou de refuser ». Partageant l’avis de son président du syndicat, M. Bedrane convient tout de même qu’« actuellement, c’est un peu l’anarchie au niveau des prix mais, théoriquement, la loi sur la concurrence interdit formellement aux transporteurs de s’aligner sur un prix, ce n’est plus le monopole. Le syndicat l’explique à ses adhérents afin que chaque transporteur affiche ses prix avec son propre cachet et non celui de l’organisation ». Pour le syndicaliste, chaque transporteur a le droit de fixer le prix de son ticket en fonction du type de son véhicule. Car, comme il l’explique encore, il est normal que le prix chez un transporteur qui met en exploitation un autocar de deux milliards de centimes diffère de celui qui a un véhicule de vingt ans d’ancienneté. « Prenons à titre d’exemple l’axe Alger-Tizi Ouzou : le dernier des véhicules qui sont actuellement en exploitation coûte 2,5 milliards de centimes. Il offre la sécurité, le confort, la climatisation et en plus le journal à bord, c’est presque un avion. C’est au client de faire son choix. Celui qui peut payer sa place dans un bus de 2 milliards, alors qu’il paye. Il ne faut pas oublier qu’il y a de nombreux paramètres à prendre en considération comme l’amortissement du prix du véhicule. Pour un véhicule de 2 milliards, il faut un amortissement de 400 millions par an sur 5 ans, alors qu’il ne faut que 100 millions par ans pour un véhicule dont le coût est de 500 millions. Déjà et juste pour la rubrique amortissement, ça revient 4 fois plus cher. »

« L’investisseur ne fait pas dans le social »

Plus précis, M. Mameri s’exclame : « Pour les transporteurs qui payent leurs droits fiscaux et parafiscaux, il faut dire que les tarifs sont en dessous de la réalité des prix qui devraient être pratiqués. L’augmentation est une nécessité et il appartient à l’Etat de faire du social, moi je suis investisseur, je mets de l’argent pour gagner de l’argent. Je crée de la richesse, j’offre des postes d’emploi permanents et, si j’investis, c’est pour faire des bénéfices. » Le message est clair. Si les prix doivent être revus à la baisse, il faut que l’Etat paye la différence. Les opérateurs du secteur sont clairs : « Pourquoi voulez-vous que les opérateurs fassent du social envers le citoyen. Ce n’est pas entre opérateurs et citoyen de trouver un compromis. Le citoyen qui a sa prime de transport doit réclamer son augmentation et non la baisse du prix du ticket », expliquent encore les syndicalistes. Ces derniers donnent l’exemple des allocations familiales que le gouvernement, après la dernière rencontre de la tripartite, a décidé de mettre à la charge du patronat. « L’Etat est-il conscient de la catastrophe qui va se produire ? Demain, la personne qui sera recrutée, son seul diplôme sera sa fiche familiale. Nous avons déjà discuté avec les opérateurs et ces derniers sont clairs, ils vont proposer à une personne un salaire qui englobera toutes les charges ou autres allocations. C’est à prendre ou à laisser. Pour ces opérateurs, il y a un ministère de la Solidarité et, à travers le monde, les allocations familiales sont prises en charge par l’Etat et le citoyen ne doit pas réclamer à leur niveau mais frapper aux bonnes portes », déclare M. Aider. Il en est de même pour les augmentations des prix du transport, à entendre les animateurs de l’UNAT. Cette organisation a, tout de même, ouvert une discussion avec le ministère des Transports pour revoir la tarification et définir un prix plafond. Ce prix-là, une fois fixé, ne devra pas être dépassé par l’ensemble des opérateurs. Un bureau d’études agréé et spécialisé va déterminer le coût et la marge bénéficiaire pour établir le prix au kilomètre par voyageur. Actuellement, les prix exercés en urbain sont d’un dinar/km par voyageur et l’UNAT propose d’arriver à 1,74/km/voyageur. Cette proposition a été faite, comme l’explique M. Aider, en prenant en compte plusieurs paramètres à l’exemple du personnel, du carburant, de l’amortissement, des impôts, de l’entretien, de l’assurance, des taxes ou encore des droits de timbre. Lors des discussions entamées en 2002, différents syndicats de ce secteur ont avancé des propositions entre 2 et 2,5 DA/km/voyageur alors que le ministère a proposé le prix de 1,5 DA/km/voyageur.

« Fixons les prix en diminuant les charges »

Cette demande d’augmentation est justifiée, comme l’explique M. Mameri, « depuis 1996, il n’y a pas eu de revalorisation des prix. L’ancien décret fixait à 0,25 centimes/km/voyageur, c’était un prix administré. Aujourd’hui, nous sommes très loin de ce prix-là. En 1990, le prix d’un autocar SNVI coûtait 53 millions centimes ; aujourd’hui, il coûte 850 millions, c’est 15 fois plus. Il y a dix ans, le coût du ticket était de 2 dinars, il est aujourd’hui de 10 DA, 5 fois seulement le prix. Le gasoil a aussi augmenté. Tout cela justifie l’augmentation ». L’UNAT propose donc une augmentation de 75% du prix actuel mais « par escaliers » car, comme le précisera M. Bedrane, « à chaque fois qu’il y a augmentation, pour nous, c’est une perte de clientèle alors, nous, honnêtement, nous ne voulons pas augmenter les prix, ça ne nous intéresse pas. Ce qui nous intéresse, c’est plutôt de trouver une possibilité avec l’Etat de diminuer nos charges, de supprimer la TVA de 17% où de la ramener à 7% comme pour les chemins de fer, de revoir le droit de timbre et de diminuer les charges patronales de 35%. Nous nous engagerons alors à garder pour les cinq ans à venir le même prix ».

Exaspérés d’être considérés comme « des suceurs de sang », les syndicalistes affirment : « Nous ne pouvons pas continuer à travailler dans ces conditions, il faut se mettre autour d’une table. » Sinon, concluent-ils, « si l’Etat veut qu’on travaille à un prix inférieur à celui du coût, il faut subventionner. En France, à titre d’exemple, les prix dans certaines régions sont subventionnés et par le Trésor public et par la région ou la collectivité. Donc, si l’Etat veut administrer les prix, les opérateurs ne sont pas contre mais il faut leur donner la compensation car nous ne pouvons pas travailler à perte et ce sera la faillite des entreprises de transport et celle de toute l’économie nationale. Sauf si c’est dans l’intention de l’Etat de récupérer le monopole du transport, il faut que ce soit dit clairement. Qu’on nous donne du temps pour liquider notre matériel ». S’exprimant au nom de tous les transporteurs qu’ils représentent, les syndicalistes de l’UNAT souhaitent la préservation des postes d’emploi, la création de mécanismes d’encouragement afin de permettre aux sociétés constituées de professionnels de renouveler leur parc automobile roulant et enfin l’ouverture d’un débat permettant de mettre fin à l’anarchie qui règne dans le secteur.

Par Hasna Yacoub, allafrica.com