Accueil > ECONOMIE > Les Algériens, consommateurs primaires ?

Les Algériens, consommateurs primaires ?

samedi 23 avril 2005, par nassim

Ils sont au cœur de la reprise économique. Leur goûts et leurs préférences hantent les réunions de managers. Leurs revenus sont scrutés par tous. Pourtant, peu de choses précises se publient sur les comportements des consommateurs algériens. Survol rapide ici de quelques traits connus et moins connus du consommateur de chez nous. Qui le feraient ressembler à un personnage roublard de notre imaginaire.

Jeudi matin, les places de stationnement sont chères aux abords de Galaxie, cette enseigne prisée de supermarché près du stade du 5 Juillet, sur les hauteurs d’Alger. « Je fais mes courses pour la semaine. Ici, je suis tranquillisée sur la qualité des produits. Et au total, mes achats me coûtent moins cher », raconte Baya, médecin et mère de trois enfants. Le contenu des caddies est éloquent. Il n’y a pas un seul produit algérien qui transparaît. Près de la caisse, un pack d’eau minérale nationale sauve l’honneur. La bouteille de Perrier est hors de prix. A regarder d’un peu plus près, d’autres produits made in Algeria s’écoulent aussi bien que les produits étrangers : des laitages, des boissons.

Mais là aussi les marques étrangères fabriquées en Algérie passent devant. « Ils ont une offre plus variée. Mes enfants préfèrent un crème-dessert qui n’est pas produit par les concurrents de Danone-Algérie. » Les Algériens sont-ils accros des produits importés ou à défaut des marques étrangères ? De nombreux fabricants nationaux en sont convaincus. Mais peu savent vraiment ce qui commande les décisions d’achat des consommateurs algériens. Et d’ailleurs, de quels consommateurs ? Au lieudit El Karia, sur la route de Bouchaoui, à Souïdania, un petit magasin de campagne à 20 km d’Alger. Il est ouvert 16 heures par jour, dessert voisins et routiers de passage. Ses étals sont l’exact inverse de ceux des supérettes de Dély Ibrahim ou Sidi Yahia. Très peu de produits importés. « Les gens ici ne sont pas très riches.

Ils viennent acheter d’abord du pain, du lait ou une bouteille de gaz l’hiver. Ils prennent les produits les moins chers. Ce sont les produits algériens », expliquent l’un des deux frères qui assure le service. Les habitudes de consommation sont d’abord une affaire de revenus. Une évidence qui ne nécessitait peut-être pas ce parallèle ville-campagne. Les consommateurs algériens seraient donc un peu plus patriotiques en économie selon qu’ils soient un peu plus démunis. Par la force des choses. Une amélioration globale du revenu moyen des Algériens devrait donc être plus favorable aux produits importés, car plus de consommateurs y auraient accès. C’était en tout cas l’intime conviction du ministre des Finances, M. Abdelatif Benachenhou, lorsqu’il justifiait, il y a quelques années, son refus d’augmenter les salaires des fonctionnaires en affirmant que « cela allait profiter aux producteurs européens et asiatiques ». Producteurs nationaux, pouvoirs publics, les attitudes de consommation sont finalement méconnues de tous.

Le paramètre prix

Tout montre à croire, en attendant une étude précise, que le surplus de revenus après les augmentations de 2003 et 2004 a surtout profité à l’épargne en liaison avec le boom du bâtiment et les acquisitions de logements. Il a aussi amélioré le niveau d’équipement des ménages et pas nécessairement au détriment de ENIE, Eniem et autres marques privées algériennes de l’électroménager. Le consommateur algérien ne livrerait donc pas - systématiquement - le moindre dinar additionnel gagné à des producteurs étrangers... s’il a mieux à faire avec cet argent. Sa « rationalité économique est assez élémentaire », comme l’explique Kamel, 34 ans, scrutateur du marché dans une grande boîte de pub étrangère en Algérie : « Ailleurs, dans les pays industrialisés, les paramètres qui décident d’une décision d’achat sont complexes et fluctuants.

Le prix reste le paramètre le plus discriminant entre les produits et configurent les habitudes de consommation. Mais cela peut changer en fonction d’autres paramètres. La sécurité alimentaire a suscité la montée des produits bio, alors qu’ils sont beaucoup plus chers. Le réflexe écologique dans les achats progresse très vite aussi et une marque comme Total a souffert de l’échouage de ses pétroliers. Il y a aujourd’hui le refus d’acheter des produits fabriqués par des enfants exploités dans certains pays d’Asie, même si cette campagne, soutenue par les patronats, arrange parfois plus les intérêts protectionnistes des patrons occidentaux que ceux des consommateurs. » Rien de tout cela chez nous, « le paramètre des prix - et accessoirement le rapport qualité/prix - continue d’écraser la décision d’achat du consommateur algérien ». Kamel aime citer l’exemple de la viande d’âne écoulée dans des marchés d’Alger, il y a deux ans : « Si c’est comestible et que cela casse les prix, ça se vend. » Il recoupe en cela la diatribe pleine de dérision du ministre du Commerce, M. Nourredine Boukrouh, sur les ondes de la radio, il y a deux mois, lorsqu’il répondait aux questions des journalistes au sujet de « la démission de l’Etat » face au marché parallèle : « Parlons aussi du manque de civisme de nos concitoyens.

Civisme

Tout le monde se précipite sur les produits étalés en dehors des circuits légaux du commerce. Même sur la route, il suffit que quelqu’un dépose un cageot sur le bas-côté pour voir des automobilistes s’arrêter net et voir s’il n’y a pas là une bonne affaire. » Scènes connues de la vie quotidienne. Le consommateur algérien serait donc incivique. Il coupe au plus court pour acheter bon marché. Il aide ainsi le contournement de la fiscalité, des douanes, du contrôle de la qualité et d’autres exigences minimales de l’activité de distribution. Circonstance aggravante, selon le ministre du Commerce : cela touche toutes les couches de revenus. C’est bien M. Nourredine Boukrouh qui a écrit qu’un Djeha dans une société, cela était utile ; mais qu’une société faite que de Djeha au pluriel... Le tableau est donc ainsi fait. Il n’existe pas d’approches fines des comportements de consommation en Algérie. Cependant, on en connaît quelques grossiers travers.

Pour faire « une affaire », les Algériens sont peu regardants sur la norme. Alors, peut-on leur demander de « Consommer bladi », comme l’a fait le Forum des chefs d’entreprise (FCE), il y a deux ans, dans une campagne haute en couleur ? « Dans la durée, la répétition d’une telle campagne peut finir par avoir un écho significatif », pronostique Kamel. Au Maroc, en Jordanie, en Tunisie et en Egypte, la guerre américaine contre l’Irak a porté préjudice à des marques comme Coca-Cola et Pepsi-Cola. Il y a eu une réaction patriotique qui s’est répercutée dans les décisions d’achat. En Algérie, l’ouverture du marché est plus récente. Les consommateurs algériens n’ont pas encore fini avec l’ivresse du produit importé. « C’est le plaisir de la transgression de l’interdit. C’est comme en Russie, ce plaisir ne peut pas retomber aussi vite, car l’interdit a duré longtemps », explique Kamel.

En somme, le consommateur algérien serait un ex-taulard à qui il faudrait tout pardonner. Même son manque de confiance symptomatique dans les médicaments génériques. Une attitude qui a longtemps plombé les comptes de la Sécurité sociale avant que l’on se décide à rembourser au prix le moins cher disponible. La santé est l’un des seuls domaines où le paramètre prix devient très flexible dans les choix d’achat. La croyance maraboutique est ici plus forte. On ne prend pas facilement un « wali » turc à la place du « wali » français habituel qui nous a déjà guéris. La rationalité du consommateur « économétrique » n’est pas pour tout de suite. Djeha a de beaux jours...

Par El Kadi Ihsane, elwatan.com