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Le théâtre d’expression kabyle est à inventer

mercredi 20 octobre 2004, par Hassiba

La littérature d’expression amazighe est plutôt portée sur l’oral, d’après des spécialistes du domaine qui ont depuis le XXe siècle affirmé la nécessité de mettre en place les voies et moyens de rattraper le retard causé par la rareté des supports écrits réservés à cette langue depuis des millénaires.

Il va de soi que la pérennité, sinon l’existence même de traditions littéraires, est subordonnée à la maîtrise de l’écrit sans lequel aucune assise durable ne pourrait être préparée pour parer aux aléas de la culture orale qui domine les sociétés amazighophones.

A travers la pauvre production littéraire en langue kabyle on remarque aisément que le théâtre figure parmi les genres les plus lésés de celle-ci même si la minuscule production théâtrale pourrait rivaliser au critère de qualité avec les autres genres plus présents dans notre société tels que la poésie. La chanson, le conte... les pièces de théâtre radiophoniques diffusées en soirée par la radio nationale chaîne II (en langue kabyle) constituent pour les auditeurs curieux et tout le monde une première dans le domaine tant aucune tradition signifiante n’a été signalée dans le temps malgré des textes favorables qui ont permis une richesse thématique des autres genres qui se sont imposés durant la guerre d’indépendance, la période de l’après-guerre et bien avant, pendant le mouvement national où les berbéro-nationalistes s’étaient confectionnés leur propre répertoire de chants révolutionnaires.

En effet, c’est grâce aux ondes de la chaîne kabyle que les autochtones ont découvert et apprécié pour la première fois les techniques du théâtre, un art fait pour exclusivement rire croyait-on à l’époque en raison des textes de type satirique joués par des artistes polyvalents (chanteurs, compositeurs, comédiens, poètes en même temps). Ces pièces traitaient en général de sujets ayant trait aux problèmes familiaux et de voisinage, d’amour, de jalousie, de crimes. Un créneau tout ce qu’il y a de politiquement correct au temps où la chape de plomb du parti unique hantait les nuits des Algériens interdits d’expression plurielle en dehors des canaux autorisés plantés au sein des « organisations de masses » outils par excellence de propagande entre les mains des bureaucrates. Parallèlement à cette expérience théâtrale radiophonique se développait dans les milieux universitaires berbéristes et de gauche un théâtre populaire, revendicatif à slogans avec un souci mineur pour la forme et l’esthétique.Au début des années 1980 des étudiants engagés dans la lutte pour des revendications socioculturelles, identitaires et linguistique ont pris sur eux le risque de monter des troupes théâtrales en guise de support à leurs idéaux.

Des lycéens ont exploité l’opportunité qu’offrait leur établissement à travers des sections de jeunes affiliés à l’UNJA (Union nationale de la jeunesse algérienne) pour « infiltrer » ces structures et en faire des relais de contre-propagande notamment au chef-lieu de Tizi Ouzou au milieu des années 1970 début 1980, selon plusieurs témoignages de militants.On comprendra vite que le théâtre était un moyen sans travail de recherche en tant qu’art. Mais « l’explosion » théâtrale kabyle aura lieu avec les réformes politiques engagées fin 1989 début 1990 et les fameuses lois y découlant sur les associations (partis politiques, associations divers objectifs) perçues positivement par des partis clandestins et la majorité des acteurs de la société civile. Les milliers d’associations culturelles agréées donneront lieu à un mouvement associatif très remuant, les syndicats autres que l’UGTA et les partis politiques autorisés permettront une vie culturelle plurielle à ses débuts. Le théâtre d’expression amazigh a droit chaque année à un festival organisé par des étudiants à l’actuelle université Mouloud Mammeri.

Pendant plusieurs années successives des milliers de collégiens, lycéens et étudiants s’initient au lexique théâtral et encouragent par une présence record aux représentations données parfois en plein air les acteurs en herbe. Une véritable euphorie. L’espoir était permis. Un nom volera la vedette. C’est Mohya (ou bien Mohand) Ouyahia qui écrira les meilleures pièces produit d’adaptation d’auteurs au cachet et à la réussite mondiale tels Molière, Samuel Beckett, Voltaire, Luxun... Les cassettes audio de ses adaptations feront le tour et le bonheur de nombre de personnes dont une partie n’arrivait pas à croire à l’existence d’un tel travail en leur langue maternel. Incroyable, disait-on. Pour preuve supplémentaire, on n’en a pas vu de morceaux aussi succulents de théâtre depuis le temps à l’exception des mêmes scénarios repris par des compagnies théâtrales il n’y pas longtemps. Le théâtre d’expression kabyle se résume donc aux adaptations de Mohya ? Malheureusement... Un nuage d’état.

Les associations culturelles manquent de moyens et baissent les bras. Les troupes théâtrales étouffent par le manque aussi de matériels et de perspectives. Les jeunes manquent de formation, se répètent, se lassent et disparaissent dans la nature. La nécessité de faire appel aux professionnels se fait sentir. Mais où sont tous les diplômés d’écoles des arts dramatiques ? Que sont-ils devenus ? des gardiens de parking dans les froides nuits de Paris ? des plongeurs... ? C’est le début de la décennie rouge du terrorisme. La fin de la récréation. Maintenant on joue plus au théâtre. Cette fois-ci les acteurs et les balles sont réels. L’imagination, le génie et les libertés sont rangés sans préavis. La vie tout court est menacée de disparition.La mort, l’exil, le silence complice étaient les planches de choix dédiées aux artistes. A Tizi Ouzou, les rares salles de théâtre sont demeurés silencieuses avec des productions espacées sans susciter l’intérêt d’un public qui n’existe plus. Terrorisme, crise économique, chômage, pauvreté. On entend partout dire « le cinéma c’est nous, c’est notre situation ». La qualité des « œuvres » publiées laisse à désirer.

Déjà en 1985, Mohya fait le constat suivant : « Quand on fait le tour de tout ce qui s’écrit et de tout ce qui se dit chez nous, et on en fait vite le tour, croyez-le bien, on ne manque pas de ressentir un certain sentiment d’insatisfaction. Car on constate que tout cela est un peu rudimentaire par rapport à ce qui se dit sous d’autres latitudes ». Près de deux décennies après, la ville de Tizi Ouzou, sans théâtre régional, s’offre le luxe de fermer son théâtre à tous les concernés. On croit savoir dans ce cas que les choses sérieuses se jouent à l’extérieur, qu’on a plus le cœur à jouer sur scène, que les planches ne supportent plus les pas dénonciateurs des acteurs. Que le théâtre est ailleurs.

Par Lakhdar Siad, la Tribune