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Lakshmi Mittal, l’homme de fer

dimanche 20 mars 2005, par Stanislas

Numéro un mondial de l’acier, Lakshmi Mittal doit son ascension à une stratégie aussi habile qu’efficace. Portrait d’un industriel indien au caractère trempé.

Les vraies histoires de nababs sont celles où les cuillères en argent ne sont pas en bouche dès la naissance. Celle de Lakshmi Mittal en est une. Né en 1950 dans un petit village sans électricité du Rajasthan, vaste État aux reflets rose et ocre dans le nord-ouest de l’Inde, le futur magnat de l’acier a de qui tenir. Quelques années après sa naissance, son père, Mohan Mittal, traverse le pays pour installer une aciérie à Calcutta. L’histoire ajoute que chaque jour, après ses classes, Lakshmi part illico aider son père à l’usine.

L’entreprise familiale se développe, s’enrichit et se fait un nom en Inde : Ispat Industries. Au lieu du sang, c’est désormais l’acier qui coule dans les veines des Mittal. Mais de là à ce que le fils aîné, Lakshmi, devienne l’homme le plus riche de Grande-Bretagne...

Imaginez des aciéries au fin fond du Kazakhstan. Ici, à Karaganda, Staline avait trouvé l’endroit idéal pour un de ses goulags. Il y fait 40 °C en été et - 50 °C en hiver. Aucun industriel sobre n’y mettrait le pied, sauf Mittal. Dès son premier rachat - des aciéries qui perdaient de l’argent par tuyaux entiers sur l’archipel de Trinité et Tobago -, Mittal a trouvé sa stratégie, et ce qui fait jusqu’à ce jour sa force : racheter des aciéries décrépites dans les ex-États communistes, des installations perdues au Mexique dont personne ne veut, des plates-formes en Indonésie sur lesquelles même un chat ne miserait pas une roupie... Avec un sens aigu des affaires, une équipe rodée et formée dans les meilleures universités occidentales, une main-d’oeuvre qualifiée disposant des meilleures technologies, l’Indien de Calcutta transforme ces usines croupies en mines d’or.

Lakshmi Mittal étend son empire. Après s’être séparé de son père en 1995, il reprend Ispat International (le patriarche gardant Ispat Industries), crée la compagnie LNM (ses initiales), déménage à Londres et achète la fameuse usine du Kazakhstan. Ce rachat surprenant fait doucement rire dans le milieu. Mais la volonté et l’énergie que cet Indien, adepte du yoga, investit pour rentabiliser sa mine, et le succès qu’il en obtient lui valent une réputation qu’il ne va plus jamais faire mentir : un homme d’affaires en acier. Suivent, entre autres, des acquisitions aux États-Unis (Ispat Inland, 1988), en France (Ispat Unimetal, 1999), en Algérie (Ispat Annaba, 2001), en Allemagne, en Afrique du Sud...

Quand, en 1988, l’industriel rachète une aciérie à Chicago, il s’empresse de diminuer drastiquement les allocations attribuées aux conjoints des employés décédés. Mittal se heurte alors à une grève dont il mettra des mois à se remettre. Il ne l’oubliera jamais. En 2002, en reprenant la grande usine tchèque d’acier, il fournit d’emblée des équipements adéquats aux mineurs et réduit considérablement le taux d’accidents. Le rachat, au début de 2005 (moyennant une coquette somme de 4,5 milliards de dollars), de l’américain International Steel Group (ISG) propulse LNM au premier rang des producteurs mondiaux d’acier. Cette acquisition, la deuxième sur le sol américain, a été faite dans les règles de l’art des OPA (offres publiques d’achat). Négociations et entente avec les syndicats, zéro licenciement, amitié affichée avec l’ex-patron de l’ISG, sourires ultrabrite à l’annonce officielle du rachat. Lakshmi Mittal tire des leçons de ses échecs.

Avec le rachat de l’ISG, l’empire de Mittal prévoit de fournir 57 millions de tonnes d’acier par an (notamment pour l’industrie de l’automobile), contre 47,2 millions pour son dauphin, le français Arcelor. Présent dans 14 pays, de Trinidad à la Macédoine, LNM compte 165 000 salariés et flirte avec un chiffre d’affaires de 31,5 milliards de dollars. La fortune personnelle de cet amoureux de Londres - qui a conservé la nationalité indienne - s’élève à 23 milliards de dollars. Désormais, il fait simple : appelez-le Steel, Mittal Steel.

Il n’y a plus guère que la Chine qui lui résiste encore. De nombreuses visites lui ont appris que le gouvernement chinois garde la haute main sur ses usines et qu’ici le communisme a les reins solides. Alors, en attendant, il se contente de miettes, comme cet investissement riquiqui dans une aciérie de la province de Liaoning. Peut-être reviendra-t-il à son fils, Aditya, d’entrer dans le marché chinois. Ce jeune homme de 28 ans, calme et élégant comme son père, avait, sur le papier, tout du fils à papa. Après des études à Wharton, en Pennsylvanie, il fait un passage éclair dans une banque avant d’être promu vice-président de LNM. Le jeunisme n’est pas un délit chez les Mittal. Aditya possède la fougue de son père et serait même l’architecte des dernières acquisitions de Mittal Steel. Mais le passage du témoin n’est pas à l’ordre du jour. Son père ne compte pas prendre sa retraite de sitôt et se trouve plutôt en forme.

Lakshmi Mittal est de ces patrons qui considèrent qu’une heure de réunion chaque matin, en visioconférence avec tous les directeurs des usines Mittal Steel, est la meilleure façon de commencer la journée. Il n’hésite pas à prendre son jet privé au pied levé et à régler un problème les yeux dans les yeux, la main dans le charbon. Mais n’allez pas croire que sous prétexte de son ascendance indienne Lakshmi Mittal serait ascète, méditant et végétarien. Avant lui, les patrons de l’acier avaient plutôt la réputation d’être aussi joyeux que, justement, des mines de charbon. Lakshmi Mittal, lui, vit sa fortune au grand jour : il s’est offert la maison la plus chère jamais vendue en Angleterre (120 millions de dollars). Quoi de moins étonnant pour l’homme le plus riche du pays ? En 2004, il marie sa fille comme au temps des rois de France. Un palais reconstitué dans le parc de Saint-Cloud, un temple hindou dans les jardins de Vaux-le-Vicomte, le jardin des Tuileries loué pour une nuit, 1 500 invités, Kylie Minogue en animatrice de la soirée...

En 2002, une donation suspecte au Parti travailliste de Tony Blair l’oblige à fuir la presse anglaise. Le mariage de son fils Aditya, en 1998, à Calcutta (quatre jours de fiesta-massala), provoque carrément une manifestation de la gauche dans les rues de la ville. On raconte qu’il ne paye pas d’impôts en Grande-Bretagne, que LNM est enregistré dans un paradis fiscal, que la nouvelle piscine familiale serait incrustée de pierres précieuses... Le nabab de l’acier vit comme un maharaja, avec ors et scandales. Au fait, vous a-t-on dit que lakshmi, en hindi, signifie prospérité ?

NATHACHA APPANAH, www.lintelligent.com