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La Banque centrale européenne victime, à son tour, de l’euro fort

mardi 25 janvier 2005, par Hassiba

Les pertes de la BCE pourraient dépasser le milliard d’euros en 2004, soit plus du double de celles de 2003. En cause : la gestion des réserves de change de l’institut monétaire européen, qui sont placées pour l’essentiel en... dollars.

Bien qu’il fasse l’orgueil de la Banque centrale européenne (BCE), l’euro fort ne fait pas ses affaires. L’envolée de la devise européenne face au dollar en 2004 (+ 7,5 % sur l’ensemble de l’année) devrait lourdement peser, comme en 2003, sur les résultats financiers de l’institut d’émission.

Tout s’est joué le 31 décembre 2004. L’ambiance est très tendue au sein de la BCE : sur un mouvement spéculatif, l’euro a battu la veille un record historique face au dollar. Cette performance arrive au plus mauvais moment car il plombe les comptes de la banque pour tout l’exercice fiscal. Avec du recul, les banquiers centraux, qui siègent au conseil des gouverneurs de la BCE, sont d’autant plus énervés que, quinze jours plus tôt, la monnaie européenne cotait environ 2 % de moins - de même que quinze jours plus tard. Mais il n’y a rien à faire, les résultats financiers de 2004 seront plus mauvais que prévu.

Les comptes de la BCE comme ceux des banques centrales nationales des pays de la zone euro ne seront rendus publics qu’en mars ou avril, mais quelques indiscrétions ont déjà donné le ton. "Il est exact que la BCE a enregistré une perte", a déclaré, le 13 janvier, son vice-président, Lucas Papademos, lors d’une conférence de presse à Francfort confirmant des indications de Handelsblatt. Le quotidien allemand, lui, estime cette perte entre 1 milliard et 1,2 milliard d’euros, en raison d’une dépréciation à hauteur de 1,6 milliard d’euros des réserves en dollars. La BCE avait déjà essuyé une perte de 477 millions d’euros en 2003, du fait là aussi du renchérissement de l’euro face au dollar.

En 2004, pour sa part, la Bundesbank (la banque centrale allemande) n’aurait dégagé aucun bénéfice à cause de la dépréciation du dollar, d’après le quotidien allemand Passauer Neue Presse du 6 janvier. Des informations qui "sont pour l’essentiel correctes", a confirmé, le 6 janvier, un membre du directoire, Hans Reckers. Le résultat de la Bundesbank avait déjà fondu en 2003 pour les mêmes raisons. Il avait ainsi atteint son plus bas niveau depuis dix-sept ans, à 248 millions d’euros, contre 5,4 milliards en 2002.

Trois sources de revenu
L’évolution des devises est une des données clés des résultats des banques centrales. La BCE, par exemple, tire principalement ses revenus de trois sources. La principale est le fruit du placement de ses réserves de changes, avoirs qui lui servent à intervenir en cas d’urgence sur les marchés de devises pour contrer des mouvements indésirables des monnaies. Ces réserves, qui doivent être obligatoirement placées dans d’autres devises que l’euro, sont essentiellement investies dans des titres (souvent des bons du Trésor) libellés en dollars et en yens. En 2004, elles ont donc subi, logiquement, la chute du dollar face à l’euro.

Selon les statuts, les moins-values sur les réserves de change ainsi réalisées doivent être comptabilisées dans le calcul des profits de la BCE, alors que les gains sont inscrits dans un autre compte, dit "compte de réévaluation", selon un principe de prudence prévu par les statuts de la banque.

La seconde source de revenu, pour la BCE, provient du placement de son capital de 4,1 milliards d’euros, versé par ses actionnaires, les banques centrales de l’Union européenne. Chacune d’elles est engagée en fonction de sa population et de son produit intérieur brut (PIB) : la Bundesbank, la Banque de France et la Banque d’Italie sont ainsi les trois plus gros porteurs, détenant respectivement 23,4 %, 16,5 % et 14,5 % du capital avant le 1er mai 2004. Tout cet argent est placé essentiellement en obligations et couvre les frais généraux de la BCE.

Troisième source de revenu : l’institut se rémunère sur l’émission des billets en euros. Même si elle ne fabrique pas elle-même les billets (une opération du ressort des banques nationales), la BCE touche ainsi un revenu monétaire sur 8 % des billets en circulation. Ce revenu correspond à la différence entre la valeur faciale des billets en euros et leur coût de production, rémunérée au taux directeur (de 2 % actuellement). Du côté des dépenses, la BCE supporte des charges d’exploitation relatives aux coûts de personnel, aux locations immobilières et aux achats de biens et services. Elle doit aussi rétribuer les banques centrales nationales, qui lui ont apporté leurs réserves de change pour former les siennes. Elle leur verse à ce titre un intérêt correspondant au taux directeur sur cet argent, considéré comme une créance à leur bilan. En 2003, la BCE avait ainsi versé 808 millions d’euros aux banques centrales nationales, et 1,141 milliard en 2002.

Si elle dégage des bénéfices, la BCE en donne une partie à ses actionnaires. Elle peut verser le reste au fonds de réserve général, qui sert à éponger les pertes des exercices futurs.

C’est là que le bât risque de blesser en 2004 : après couverture des pertes de 2003, il restait dans ce fonds 296 millions d’euros. Si le montant des pertes de la BCE en 2004 donné par la presse allemande est exact, ce fonds ne sera pas suffisant pour les couvrir. La BCE devra alors faire appel aux banques centrales nationales, déjà dans une situation très tendue.

Des effectifs en baisse
Selon une étude de la revue anglaise Central Banking, parue le 10 janvier, les banques centrales de la zone euro (douze instituts monétaires nationaux et la Banque centrale européenne) ont réduit leurs effectifs ces dernières années. Le nombre total de salariés a diminué de 7 % depuis l’introduction de l’euro en 1999. L’effectif global des treize banques s’établit à 52 321 personnes aujourd’hui, après avoir culminé à 56 450 salariés en 2001. La Banque de France et la Bundesbank sont les deux instituts nationaux qui emploient le plus de gens, avec 28 651 salariés à elles deux, soit la moitié du total. Toujours selon l’étude, le ratio entre le nombre de personnes travaillant pour les banques centrales et l’ensemble de la population de ces pays reste élevé (17,1 pour 100 000 personnes). C’est trois fois plus que la moyenne des banques centrales dans le monde.

Par Cécile Prudhomme, www.lemonde.fr