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L’euro s’impose peu à peu comme une alternative au dollar

mardi 22 mars 2005, par Hassiba

En dépit des graves difficultés économiques que connaît la zone euro et des remous politiques liées à la mise en œuvre de la directive Bolkestein et à l’adoption de la Constitution européenne, la monnaie unique est-elle, six ans après sa création, en train de s’imposer comme monnaie internationale ?

L’euro est-il sur le point de contester l’hégémonie du dollar, voire de la supplanter ? Certains signaux récents semblent aller dans ce sens.

La Banque centrale russe a annoncé, lundi 21 mars, qu’elle avait décidé d’augmenter la part de la monnaie européenne dans la panier de devises qu’elle utilise pour fixer le taux de change du rouble. La part de l’euro va y être portée de 10 % à 20 %, tandis que celle du dollar sera ramenée parallèlement de 90 % à 80 %.

Au cours des dernières semaines, plusieurs pays d’Asie ont laissé entendre qu’ils comptaient augmenter la part de l’euro dans leurs réserves de changes, au détriment du dollar. Ce fut le cas, fin février, de la Corée du Sud puis, quelques jours plus tard, du Japon.

Dans les deux cas, à la suite du désordre provoqué par ces annonces sur le marché des changes - l’euro progressant à chaque fois très vivement face au billet vert -, Séoul et Tokyo ont été obligés de faire des mises au point pour affirmer que leur stratégie en matière de gestion d’avoirs de changes restait la même et qu’il n’était pas dans leurs intentions de convertir en euros les actifs en dollars qu’ils détiennent.

Malgré ces démentis, de nombreux experts sont persuadés que la montée en puissance de l’euro comme devise internationale est un phénomène qui va s’intensifier et bouleverser en profondeur la donne monétaire mondiale. "Le rôle de l’euro comme facteur de stabilité du système monétaire international a progressé, puisque 51 pays voisins de la zone euro ont déjà adopté l’euro comme monnaie de référence pour leurs régimes de changes, 30 d’entre eux l’ayant même retenu comme référence unique", observent les experts de BNP Paribas.

CONSIDÉRATIONS GÉOPOLITIQUES
Autres chiffres : de 1999 à 2004, les émissions nettes libellés en euros ont représenté, en moyenne, 49 % du total des émissions de titres de dettes internationaux, contre 41 % pour les émissions en dollars américains, alors qu’en 1998 ces parts étaient respectivement de 31,7 % et 60,3 %.

Surtout, l’euro a vu sa part dans les réserves de changes mondiales progresser de 13,5 % en 1999 à 19,7 % en 2003, la proportion des réserves de changes libellées en dollar reculant de 64,9 % en 1999 à 63,8 % en 2003.

"Cette tendance, qui traduit une diversification des réserves internationales, pourrait encore s’amplifier au cours des années à venir, de nombreuses banques centrales ayant exprimé leur souhait de rééquilibrer leurs réserves en faveur de l’euro", notent les spécialistes de BNP Paribas.

Au-delà d’éventuelles considérations géopolitiques - certains pays pouvant être tentés de s’affranchir de la tutelle américaine en substituant les euros aux dollars - cette diversification vise surtout à protéger les pays concernés du risque de dépréciation du billet vert.

L’enjeu est de taille : une baisse de 10 % du dollar se traduit par exemple pour la Banque du Japon, qui détient l’équivalent de 840 milliards de dollars de réserves, pour l’essentiel sous forme de bons du Trésor américains, par une perte de plus de 80 milliards de dollars.

Les producteurs de matières premières, pour la plupart libellées dans la monnaie américaine, évoquent eux aussi parfois le souhait de lisser les risques de change, de ne plus être pénalisés par la chute du billet vert et, pour cela, d’utiliser l’euro, au moins partiellement, comme devise de référence.

D’autres économistes ne croient guère que l’euro puisse rapidement rivaliser avec le dollar comme monnaie internationale et relativisent la portée des événements actuels.

Ils soulignent d’abord que, malgré la récente progression de l’euro, la part du dollar dans les réserves a augmenté de 10 points en dix ans, cette hausse se faisant au détriment principalement du yen et du franc suisse.

"On pourrait croire qu’une monnaie qui a perdu en trente-cinq ans les trois quarts de sa valeur face au yen et 62 % de sa valeur par rapport au mark puis à l’euro n’a pas pu rester la monnaie internationale dominante, estime Patrick Artus, économiste chez Ixis CIB. Or c’est le cas : il y a peu ou pas de perte de marché du dollar dans les réserves de changes ou dans la dénomination du commerce. Les évolutions récentes restent à confirmer."

COMPORTEMENT SUICIDAIRE
Plusieurs éléments plaident en faveur du maintien de l’hégémonie du billet vert. Entre autres le fait que le dollar demeure la grande monnaie de facturation du commerce mondial (60 %), notamment en Asie.

Surtout, soulignent les économistes, les banques centrales asiatiques adopteraient un comportement suicidaire si elles substituaient massivement et brutalement des euros aux dollars qu’elles détiennent.

Une telle conversion provoquerait un krach du billet vert, ce qui plongerait l’économie américaine dans la récession et priverait donc des pays comme la Chine ou la Corée du Sud du principal débouché de leurs exportations. Leur propre économie s’en trouverait gravement affectée.

"Les pays d’Asie ont besoin d’exporter vers les Etats-Unis", explique M. Artus. En comparaison, l’Europe, avec sa croissance faible et sa consommation médiocre, représente pour les pays d’Asie un intérêt économique moindre.

De façon plus subjective, soulignent enfin les analystes, le statut d’hyperpuissance économique, politique et militaire des Etats-Unis joue en faveur du maintien du dollar comme monnaie de réserve dominante, alors que l’Europe apparaît au contraire, sur tous ces plans, beaucoup plus faible.

Au-delà du fait d’évaluer si l’euro a les moyens de s’imposer comme devise de référence à la place du dollar, se pose la question de savoir si l’Europe y aurait intérêt. "Il est certain que beaucoup d’économistes et de banquiers centraux européens seraient fiers que l’euro devienne une monnaie de réserve internationale et que certains hommes politiques apprécieraient la facilité à financer les déficits publics", note M. Artus.

Un tel statut présente en revanche des inconvénients sérieux, comme celui de la perte de contrôle de la création monétaire, c’est-à-dire que la Banque centrale européenne (BCE) n’aurait plus la parfaite maîtrise de la quantité d’euros en circulation dans le monde.

C’est d’ailleurs pour cette raison que la Bundesbank avait toujours réchigné, dans le passé, à accroître le développement international du deutschemark. Et rien n’indique que la BCE, qui a hérité pour partie de la culture monétariste de l’institut d’émission allemand, n’éprouve pas aujourd’hui les mêmes réticences et les mêmes craintes.

Par Pierre-Antoine Delhommais, www.lemonde.fr