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L’étrange karma de Sonia Gandhi

jeudi 20 mai 2004, par Hassiba

Incroyable destin pour celle que les journaux avaient surnommé le Sphinx après la mort de son mari, assassiné en1991. Sonia Gandhi a failli pour la seconde fois se retrouver à 57 ans à la tête de la plus grande démocratie au monde.

Après un premier échec en 1999, celle qui a vécu à l’ombre d’une véritable dynastie est passée une seconde fois à côté de l’évènement qui aurait fait d’elle la première Indienne d’origine étrangère à devenir Premier ministre... Elle aura malgré tout réussi à redorer le blason du plus vieux parti du pays et à redonner à la famille Gandhi-Nehru sa place sur l’échiquier politique indien.

La jeune Italienne originaire de Turin qui épousait à 21 ans Rajiv Gandhi, fils d’Indira et qui allait lui aussi devenir Premier ministre comme sa mère, a-t-elle imaginé un jour qu’elle allait être appelée à d’aussi lourdes charges et à diriger l’Inde, son milliard d’habitants, ses castes et ses misères... Elle qui allait surtout se retrouver à la tête du clan des Gandhi est pour l’Inde ce qu’est celui des Kennedy pour l’Amérique, c’est dire le poids de l’immense héritage qui repose sur les épaules de cette mère de deux enfants. Elle était sans doute encore plus loin d’imaginer un destin pareil lorsqu’elle a épousé en 1969, une jeune Italienne de 21 ans, Rajiv, fils d’Indira Gandhi la Dame de fer de l’Inde et qui a été Premier ministre durant une quinzaine d’années. Rajiv allait succéder à sa mère, assassinée en 1984 par deux gardes du corps sikhs. Difficile de succéder à une mère qui a tellement imprégné la vie politique du pays au point où l’on disait d’elle, l’Inde est Indira et Indira est l’Inde... D’ailleurs, Rajiv lui aussi connaîtra le même sort et sera assassinée par un extrémiste tamoule. En fait, l’histoire de cette famille se confond avec celle de ce sous-continent et du parti du Congrès la plus vieille formation politique indienne créée il y a près de 119 ans. La famille a présidé aux destinées du pays durant quelque 45 ans en un demi siècle d’indépendance.

L’ histoire de cette dynastie commence au début du siècle dernier, lorsqu’un moine brahmane du Cachemire, une région connue pour son esprit rebelle, Motilal Nehru rejoint le Congrès dans sa lutte contre l’occupant britannique. Son fils Jawaharlal prend le relais et devient le protégé de celui qui est le père de l’indépendance le mahatma Gandhi. Elu à la tête du Congrès en 1929 Jawaharlal deviendra le premier Premier ministre de l’Inde indépendante en 1947. Sa sœur, Vijaylashmi Pandit fut la première indienne ambassadeur et l’une des seules femmes à présider l’Assemblée générale des Nations unies. La fille de Jawarharlal, Indira épousera Feroze Gandhi, homme politique d’origine iranienne qui n’avait aucun lien de parenté avec le Mahatma. Indira deviendra Premier ministre de l’Inde en 1966, deux ans après la mort de son père. Durant les quinze années passées à la tête du gouvernement, elle se forgera la réputation de femme à poigne critiquée par ses adversaires, adulée par ses partisans et le « petit peuple » des paysans qui voyaient la déesse de l’Inde. Elle fut pourtant assassinée en 1984 par ses gardes du corps. Rajiv sera donc appelé à lui succéder dans des circonstances dramatiques. Sonia Maino Gandhi née le 9 décembre 1946 à Orbassano près de Turin dans le nord de l’Italie. Partie en 1963 étudier l’anglais à Cambridge pour devenir interprète, elle rencontrera Rajiv son futur mari qui terminait ses études. Ils se marieront en février1968 en Inde. L’historiographie du parti du Congrès affirme qu’elle adoptera le sari, l’habit traditionnel et apprendra l’hindi... Ses détracteurs et opposants feront remarquer qu’elle n’a opté pour la nationalité indienne et renoncé à ses origines italiennes qu’en 1983, c’est-à-dire une année avant que son mari ne devienne Premier ministre après la mort d’Indira. Celle-ci semblait avoir préféré son fils cadet, Sanjay pour le préparer à prendre la relève au sein du parti et par conséquent à lui succéder à la tête du Congrès, malheureusement Sanjay qui était lui marié à une Indienne disparut prématurément lors d’un meeting aérien. Son avion s’écrasa au dessus de Delhi.
Pour beaucoup, Sonia était restée quelque part l’étrangère y compris dans les rangs du parti du Congrès. Toujours est-il que cette femme a évolué pendant longtemps dans l’ombre de son mari, allant même jusqu’à essayer de le dissuader d’entrer en politique. Mais deux événements allaient précipiter l’entrée en scène de Rajiv, la disparition de son frère cadet et l’assassinat de sa mère Indira en 1984. Il restera à la tête du gouvernement jusqu’en 1989. Sonia se fera discrète durant toute cette période et même au delà, considérant sans doute qu’il lui fallait conquérir le statut d’Indienne, elle qui venait de renoncer à sa nationalité italienne en 1983 dans un pays où la société fonctionne encore sur la base du système des castes et où les tabous restent encore vivaces même lorsqu’on est l’épouse d’un Premier ministre. Plus encore quand on est Européenne et catholique de surcroît... Quinze ans plus tard, ses détracteurs et opposants ne manqueront pas de le lui rappeler. Elle n’oubliera pas celà, puisqu’en mai 2004, c’est-à-dire il y à peine quelques jours, à l’occasion de la victoire du Parti du Congrès quand la télévison italienne l’interrogera en italien sur ce qu’elle comptait faire une fois investie en tant que quatrième Premier ministre de la dynastie des Nehru-Gandhi, elle a refusé de s’exprimer dans sa langue maternelle et a préféré répondre en anglais...

L’Ombre d’Indira

Elle n’oubliera pas surtout que la revanche sur l’adversité a été dure. En effet, à la mort de son mari assiné en 1991 par un extrémiste tamoule, elle reste de marbre devant le bûcher funéraire de Rajiv. Elle fût insensible aux cris d’une foule en délire le jour des funérailles. Elle s’est retirée dans sa résidence de Delhi avec ses deux enfants, préférant se consacrer à la fondation qui portait le nom de son mari et à ses œuvres de charité. Hautaine dans son sari, les cheveux noirs sévèrement tirés en arrière, sollicitée plusieurs fois pour reprendre le flambeau de la dynastie des Gandhi, elle déclina les appels des militants du parti se contentant de s’exprimer par des signaux savamment distillés en direction du Congrès. Et pourtant celle qui avait résisté à tous les appels et les sollicitations, fera le grand saut, le 21 mars 1997 en devenant membre actif du Parti du Congrès qui depuis la défaite électorale de 1996 était minée par la corruption et secouée par les scandales. Avec l’entrée en politique de Sonia Gandhi, le Congrès espérait récupérer le terrain perdu en s’appuyant sur le prestige de la dynastie des Gandhi-Nehru. Dans sa première interview à la télévision, elle essaiera d’expliquer son engagement. « J’ai fait celà parce que j’ai vécu dans une famille qui a littéralement donné sa vie pour le Parti du Congrès et pour le pays et j’ai pensé qu’il était à ce stade de mon devoir à l’égard de ma famille que d’apporter mon aide. » Une année plus tard, elle était élue chef de la plus ancienne formation politique de l’Inde. C’est alors que débute une période politiquement mouvementée. Ses adversaires vont monter au créneau aussi bien au sein du parti du Congrès que dans les milieux traditionalistes et conservateurs appelés nationalistes et qui vont exploiter l’argument de ses origines étrangères. Sonia élue au Parlement ne se fera pas particulièrement remarquer dans les débats, se sentant volontiers plus à l’aise dans les meetings et les rassemblements politiques dans les campagnes où elle entretient volontiers l’image populaire d’Indira en Sari.

Renoncements

D’ailleurs, on la verra désormais sur toutes les fresques aux côtés de sa défunte belle-mère le bras levé et pour mieux justifier cette image elle ne manque jamais de répéter : « Je suis Indienne. En entrant dans dans cette famille je suis devenue une fille de l’Inde, de cette terre qui est celle de mon mari... » Lors des élections législatives de 1998, elle jouera une rôle déterminant dans la remontée électorale du parti du Congrès. Il n’en fallait sans doute pas plus pour déclencher une offensive des opposants et à commencer par le Premier ministre de l’époque Atal Behari Vajpayee, âgé alors de 72 ans et célibataire obligé de s’incliner face une motion de défiance présentée par l’opposition dont le Congrès, ira jusqu’à mettre en doute la possibilité constitutionnelle pour Sonia à devenir Premier ministre au regard de son origine étrangère. Tandis que les milieux traditionalistes l’accusent eux d’être un agent de Rome, c’est-à-dire du Vatican. A ces attaques, Sonia répondra, parlant de ses adversaires : « Ils ont tellement échoué qu’ils en sont réduits à recourir à des arguments aussi fallacieux. » Et pour mieux faire comprendre ce qu’elle veut, elle répète à l’envie : « Je suis désormais en politique et j’y resterai. » Cependant, elle échouera en avril 1999 dans la constitution du sixième gouvernement depuis 1996, date à laquelle le pays était entré dans une instabilité gouvernementale . Mais le coup le plus dur est sans doute celui qui viendra, quelques mois plus tard, des rangs de de son propre parti. En effet, à la veille des élections législatives anticipées, le chef du groupe parlementaire du parti du Congrès et deux autres députés avaient adressé une lettre à Sonia Gandhi dans laquelle ils mettaient en doute sa capacité à pouvoir devenir Premier ministre et suggéraient même un amendement à la Constitution qui réserverait les hautes charges de l’Etat : président de la République, Premier ministre aux seuls Indiens de naissance. La veuve de Rajiv Gandhi qui avait alors 52 ans, démissionna aussitôt de son poste de chef de parti, provoquant un véritable séisme. La démission est rejetée, le parti demande à Sonia de revenir sur sa décision et des milliers de ses partisans se sont rassemblées des jours durant devant sa maison.

Certains ont même tenté de s’immoler par le feu pour la faire fléchir. Par contre, ses détracteurs ne reculeront devant aucun moyen pour essayer de la battre aux législatives en plus des arguments électoraux, ils iront jusqu’à lui opposer sa propre belle-soeur la femme de Sanjay l’autre fils d’Indira. Ancien mannequin, elle avait été mise à la porte par sa belle-mère à la mort de son fils et n’a plus eu de contact avec la famille. Ce qui n’empécha pas Maneka qui est elle aussi mère d’un fils d’être réélue trois fois en Uttar Pradesh et devenir deux fois ministre en faisant partie de la coalition opposée au parti du Congrès. Devant un tel acharnement, Sonia Gandhi n’a eu d’autre choix que de faire appel à ses enfants pour sa réélection et dans ce qui avait tout l’air d’être « une affaire de famille. » Ses enfants la rejoignent dans son combat électoral, à l’instar de son fils Rahul qui abandonne un emploi de conseiller fiscal à Londres pour aider sa mère à sa réélection après l’échec de constituer un gouvernement minoritaire en 1999. Cinq ans plus tard, c’est le même scénario qui se répète. Le vieux Atal Behari Vajpayee croyant profiter d’une conjoncture économique favorable (le taux de croissance de l’Inde caracole autour de 8%), de la mousson et de rapports détendus avec le voisin pakistanais, frère ennemi de toujours depuis 1947 plus exactement, a provoqué des élections législatives anticipées. Et contre toute attente c’est le parti du Congrès qui a créé la surprise alors que les sondages ne le donnaient pas favori. Le parti du Congrès, dirigé par Sonia Gandhi qui une fois de plus a fait appel à ses enfants, Rahul son fils âgée aujourd’hui de 34 ans et de sa fille Priyanka, a gagné prês d’une centaine de sièges. Mais pour gouverner il lui faut l’appui plus large des autres formations de gauche notamment. Il n’en demeure pas moins que la victoire du Congrès est d’abord à imputer à Sonia Gandhi si l’on doit se référer au fait qu’elle a réssi le tour de force de tenir 90 meetings en deux semaines et parcouru quelque 70 000 kilomètres ! Mais coup de théâtre, moins d’une semaine après les élections, Sonia en qui beaucoup voyaient le porte-flambeau de la dynastie des Gandhi-Nehru aux côtés de ses deux enfants renonce à devenir la première femme qui ne soit pas d’origine indienne à devenir Premier ministre.

Par Réda Bekkat, elwatan.com