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L’émergence de la Chine perturbe les équilibres mondiaux

lundi 25 avril 2005, par Hassiba

La Chine s’est fixée un objectif : assurer d’ici au milieu du XXIe siècle son grand retour sur la scène mondiale.

Pour réaliser cette ambition qui est de se hisser prochainement au niveau américain en termes de poids commercial, il lui faut renouer avec son rôle de grande puissance régionale.

En 1820, avant d’essuyer les humiliations infligées par les pays occidentaux puis le Japon, la Chine de la dynastie mandchoue des Qing représentait 30 % de l’économie mondiale. La République populaire entend retrouver la place qui lui semble devoir être la sienne. A cette fin, Pékin cherche à projeter l’image d’un dragon bienveillant, une stratégie que résume le concept forgé par ses stratèges en communication : l’"émergence pacifique de la Chine". L’exercice est délicat : la Chine veut marginaliser l’influence américaine dans la région tout en évitant de s’attirer les foudres de Washington.

La puissance militaire

Pour les Etats-Unis, l’émergence de la Chine s’accompagne d’une montée en puissance militaire, potentiellement dangereuse. Le 11 septembre 2001 avait conduit la première administration Bush à gagner le concours du régime chinois au nom de la guerre contre la terreur. Washington renoue aujourd’hui avec une attitude plus traditionnelle de vigilance à l’égard de Pékin. Refait ainsi surface la tentation de l’"endiguement" face aux "débordements" stratégiques de la République populaire, même si les Etats-Unis ont besoin de Pékin pour tenter de régler la crise du chantage nucléaire nord-coréen.

L’adoption par Pékin d’une loi "antisécession", dont le but avoué est de recourir à la force en cas de velléité "indépendantiste" de Taïwan, a relancé les craintes d’une déstabilisation du détroit de Formose, renforçant l’axe Tokyo-Washington-Taïpeh. Cette loi traduit l’obsession pékinoise de poursuivre le processus de réunification de l’espace politique chinois après le retour au sein de la mère patrie de Hongkong et de Macao. Elle a, déjà, brisé le consensus européen qui se dessinait pour une levée de l’embargo sur les armes imposé après la répression de la place Tiananmen (1989).

La question des frontières

Assurer un environnement pacifié est le souci d’une Chine redevenue le grand partenaire commercial de l’Asie de l’Est. Les rapports politiques et commerciaux avec le Vietnam se sont réchauffés. Le niveau des échanges économiques avec la Corée du Sud, le Japon, l’ensemble de l’Asie du Sud-Est, et dans le Pacifique-Sud avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, est au zénith. La récente visite en Inde du premier ministre Wen Jiabao a marqué un certain rapprochement entre deux pays qui s’étaient violemment affronté en 1962. Même si le différend frontalier perdure, Pékin a pris acte de l’émergence indienne et, tout en préservant d’étroites relations avec le Pakistan, mise clairement sur un rapprochement avec le géant de l’Asie du Sud.

Énergie et matières premières

En 2003, la Chine avait absorbé 7 % du pétrole brut consommé mondialement, 25 % de l’aluminium, 27 % de l’acier, 30 % des minerais de fer, 31 % du charbon et 40 % du ciment. Ses énormes besoins, tant en énergie qu’en matières premières, la conduisent à s’approvisionner toujours plus massivement sur le marché mondial, faisant exploser les cours mais aussi les prix du fret maritime.

Pour le seul pétrole, les Chinois produisent 3,4 millions de barils par jour, ce qui est insuffisant pour sa consommation. La Chine doit acheter 5 millions de barils par jour, soit près de 6 % de la consommation mondiale et le quart de la consommation américaine.

Par ailleurs, la Chine consomme deux fois plus d’acier que les Etats-Unis malgré une économie dix fois moins importante. Bien que premier producteur mondial de cuivre, elle est contrainte d’augmenter chaque mois ses importations pour soutenir ses besoins. Fin 2004, ses achats de cuivre ont augmenté de 48 %, pour atteindre 114 000 tonnes.

Une importante partie se joue sur la frontière septentrionale : l’accès aux hydrocarbures. La Chine a peu apprécié que Moscou ait parié sur le Japon en décidant de faire aboutir un projet de pipeline devant les côtes nippones. Elle est, en outre, en compétition avec Tokyo sur un gisement de gaz dans un espace contesté entre les deux pays en mer de Chine.

Monnaie et commerce

"Nous devons avoir une attitude plus ferme avec la Chine et contraindre ce pays à respecter ses engagements", a annoncé au Congrès, en fin de la semaine, le nouveau représentant au commerce américain, Robert Portman. La Chine est perçue à Washington comme la principale source des déséquilibres commerciaux et financiers de l’économie américaine. En 2004, les Etats-Unis ont enregistré avec Pékin le plus important déficit commercial bilatéral de leur histoire (162 milliards de dollars). La concurrence chinoise est accusée d’avoir causé la perte de 3 millions d’emplois industriels aux Etats-Unis depuis 2001.

Selon l’administration, le principal obstacle aujourd’hui à une réduction du déficit commercial est le yuan chinois. Sa valeur est fixée depuis 1995 à 8,3 pour un billet vert. Le yuan serait ainsi sous-évalué de 20 % à 40 % par rapport au dollar et de bien plus face à l’euro. Pour sortir de cette situation, la première économie du monde est décidée à contraindre la Chine à réévaluer sa devise et à la détacher du dollar. Les pressions se font de plus en plus fortes. Le secrétaire au Trésor, John Snow, a affirmé que la Chine devait cesser immédiatement de "manipuler" les marchés de change. Alan Greenspan, le président de la Réserve fédérale, a tenu des propos similaires : "Le plus vite ils coupent le lien fixe avec le dollar, le mieux ce sera pour l’économie chinoise", a-t-il déclaré devant la commission du budget du Sénat.

Par Eric Leser, Bruno Philip et Service Entreprises, lemonde.fr