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L’édition en tamazight : espoirs et appréhensions

jeudi 12 mai 2005, par Hassiba

Essentiellement orale, tamazight -dans l’attente de sa standardisation sur le plan de l’écrit- reste, de l’avis des spécialistes, difficile à manier.

Tamazight, "langues des entrailles" reste essentiellement orale.

« J’ai trouvé une langue très diversifiée et compliquée du fait de l’inexistence notamment d’un système d’écriture standard », convenait, il y a quelques années, Madjid Allaoua, spécialiste en linguistique informatique, qui travailla un temps sur un projet d’analyse automatique de tamazight. L’introduction partielle de cette langue maternelle dans le système scolaire depuis 1995 et l’émergence ensuite d’une génération de « lettrés » en la matière ont pourtant encouragé de nombreux jeunes auteurs à se réapproprier cette composante de la personnalité nationale en offrant au jeune lectorat en constitution des œuvres littéraires de bonne facture.

Romans, nouvelles, pièces de théâtre, recueils de poésie, manuels scolaires et scientifiques, traduction d’œuvres universelles, études et contes populaires sont périodiquement publiés malgré l’absence vivement ressentie d’un fonds d’aide à ce genre d’initiatives (pas du tout lucratives).« L’écriture est celle du désir, désir de soi, de l’autre, l’autre langue qui n’existe pas, celle de l’inconscient : avoir la langue de son désir qui n’a pas été publiée et qu’on peut rencontrer dans un tiroir, y venir par les trois langues, l’inventer », écrivent, prémonitoires, Nabil Farès et Farida Aït Ferroukh dans la présentation d’une anthologie de la poésie algérienne publiée simultanément en France et au Canada début 1994.

Du corps des textes écrits en kabyle, en chaoui, en tämaceq, en m’zab, ou dans l’arabe dialectal surgit la langue maternelle, « langue des entrailles, une langue de désir à la fois véhémente et sensuelle, insolente et provocante, amère et rebelle », commente Karim Achab. Les langues des ancêtres ainsi utilisées disent toutes la même chose, et les poèmes sont « traversés par la même langue, langue d’un avenir qui n’est pas réductible à l’antagonisme », ajoutent les deux présentatrices.Cette dernière phrase souligne tout l’encouragement et tout le soutien qu’il convient accorder à cette nouvelle génération de littérateurs qui œuvrent, contre vents et marées, à donner à la langue première de la nation la place et l’importance qui lui reviennent dans le paysage éditorial.

Ces « pionniers », à leurs frais propres, ont réussi en effet le pari d’orner régulièrement les rayons des libraires avec de nouvelles publications. Un défi. Et non des moindres lorsqu’on sait la détérioration constante du pouvoir d’achat et le peu d’engouement au livre à l’ère de la domination sans conteste de la télévision. Fictions, sciences et patrimoine, cette nouvelle génération d’écrivains a diversifié à dessein ses registres d’intervention en investissant dans la jeunesse. L’amour et l’aventure sont les thèmes récurrents de cette tendance récente ciblant manifestement un lectorat juvénile issu essentiellement du système scolaire.« Ce n’est pas à l’ère de la parabole qu’on intéressera les jeunes à des sujets liés aux traditions séculaires », explique Brahim Tazaghart lors de la présentation de son dernier roman Salas d’Nuja.« C’est un roman construit autour du complexe d’Œdipe. Il se veut comme un plaidoyer pour l’amour, car une société qui se nourrit de complexes et de refoulements devient stérile et sujette à l’éclatement », ajoute-t-il en guise de justification à son choix. Brahim, qui a publié l’an dernier un recueil de nouvelles, Igerrat, croit dur comme fer à l’émergence d’un nouveau lectorat qui exige des œuvres inspirées de son propre vécu quotidien. Mohand Aït Ighil est une autre jeune plume qui a réussi la gageure de publier ces dernières années de nombreux travaux littéraires de la même veine.

On citera 3 recueils de nouvelles : Atlanta, Allen n’tayri (les yeux de l’amour) et Tchekov’s Takbaylit (une traduction de nombre de nouvelles du dramaturge russe Anton Tchekov), et deux pièces théâtrales : Axeddaâ d’Guher (L’ingrat et Djouher) et Tazelmat texser, Tayeffust ur terbih ara (La gauche a perdu et la droite est loin de gagner).Ces deux écrivains, parmi tant d’autres, en se tournant vers la jeunesse, s’inscrivent résolument dans l’avenir avec cette ambition de donner à la langue de Si Mohand une tendance littéraire « nouvelle » qui s’articule autour des préoccupations de l’heure. Efforts louables qui méritent soutien et encouragement de toutes les institutions et organisations œuvrant pour la promotion et le développement de tamazight, la langue nationale de tous les Algériens, car le « désir » ne peut, à lui seul, supporter éternellement ce lourd fardeau. L’absence d’un statut de l’artiste, le peu d’intérêt accordé au produit artistique, l’absence d’espaces de promotion et de manifestations culturelles, le déficit en médias spécialisés, le peu de moyens engagés par la l’Etat pour l’encouragement de la création et l’inexistence du mécénat résument, du moins en partie, les préoccupations.

« Il pourrait exister quelque part assez de matière pour remplir encore deux ou trois autres volumes, mais les temps que nous vivons ne sont pas du tout propices : les gens se soucient très peu de poésie surtout quand elle est atypique. L’édition à compte d’auteur, à perte, n’est pas la solution », regrette aussi Amer Mezdad, l’un des plus prolifiques auteurs en tamazight qui revient, cette fois, avec une œuvre poétique après la publication de plusieurs romans. Quand Amer Mezdad, considéré -à tort ou à raison- comme un auteur à succès, s’en plaint, la situation doit être vraiment critique. A bon entendeur.

Par Kamel Amghar, latribune-online.com