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L’ancêtre tchadien Toumaï s’offre un lifting virtuel

jeudi 7 avril 2005, par Hassiba

Nul ne traverse le temps impunément. Après 7 millions d’années passées sous les sables du désert tchadien, le crâne de Toumaï, alias Sahelanthropus tchadensis, souffre d’un écrasement marqué et de fractures disgracieuses.

Celui qui passe pour le plus ancien hominidé connu vient donc de bénéficier d’un lifting virtuel. Le résultat de l’opération est publié dans la revue Nature du 7 avril.

Le crâne, recensé sous la cote TM 266-01-60-1, a été découvert en 2001 par des membres de la mission paléoanthropologique franco-tchadienne (MPFT) dirigée par Michel Brunet (université de Poitiers-CNRS-Collège de France). Ce dernier l’a confié à deux chercheurs du laboratoire multimédia de l’Institut d’anthropologie de l’université de Zurich, Christoph Zollikofer et Marcia Ponce de Leon, qui ont reconstitué in silico le puzzle du fossile écrasé.

"Leur scalpel, c’était la souris d’ordinateur", raconte Michel Brunet. Ses collègues sont partis d’images en trois dimensions obtenues par tomographie scanner haute résolution, qui montraient les structures anatomiques internes et externes du crâne. Le logiciel qu’ils ont développé leur a permis de retirer les sédiments et de rassembler les éléments osseux. Deux modes de reconstruction ont ensuite été utilisés. L’un purement géométrique, "comme lorsqu’on recolle une assiette cassée". L’autre intégrant les contraintes anatomiques propres aux crânes des primates. Au final, "les diverses reconstructions présentaient très peu de différences", explique Michel Brunet. Ces reconstitutions virtuelles ont ensuite été comparées aux mensurations de divers crânes, du genre Homo, mais aussi Australopithecus et Paranthropus et à ceux de gorilles et de chimpanzés modernes. "Elles se rangent clairement du côté des hominidés", se réjouit Michel Brunet.

Le monde virtuel lui a aussi permis de transposer à Toumaï des coordonnées en trois dimensions de chimpanzés et de gorilles : "Impossible car, dans ce cas, le crâne éclate, nouvelle preuve qu’il ne s’agit ni d’un gorille ni d’un chimpanzé", martèle le paléoanthropologue, répliquant à diverses critiques adressées à son interprétation du fossile.

Michel Brunet retrouve aussi dans la reconstitution des indices liés à la bipédie qu’il décelait déjà dans l’original. L’angle formé par le plan vertical des orbites et le plancher du crâne, la position avancée du trou occipital, l’orientation de la nuque sont autant de "conditions nécessaires, mais pas suffisantes", pour conclure à la bipédie. "Pour être définitivement sûr, il faudra décrire des os postcrâniens, fémur ou autre, concède-t-il. Cela viendra en son temps."

La reconstitution scientifique s’est doublée d’une sculpture plus artistique réalisée par Elisabeth Daynès et dévoilée à l’exposition universelle d’Aichi au Japon. "Je lui ai dit qu’il serait réussi si, en le regardant, elle voyait quelque chose qu’elle n’avait jamais vu", raconte encore Michel Brunet. Parce que Toumaï se situe, selon lui, tout près de l’embranchement où les grands singes divergent de la famille humaine. Et qu’il présente donc forcément une mosaïque de caractères archaïques et modernes.

L’équipe franco-tchadienne présente aussi dans Nature de nouvelles pièces ­ deux mandibules et une prémolaire supérieure ­ qui s’ajoutent au crâne, aux deux fragments de mâchoire inférieure et à trois dents déjà décrits en 2002. Au total, la nouvelle espèce S. tchadensis comprend donc, à ce jour, entre six et neuf individus connus.

Leurs nouveaux restes ont été découverts à quelques kilomètres les uns des autres, sur des sites qui ont aussi livré une cinquantaine d’espèces animales représentatives d’un milieu situé à l’époque entre lac et désert, mêlant des îlots de forêt, de la savane arborée et des prairies à graminées. A quoi ressemblait Toumaï ("espoir de vie", en langue goran) ? Il devait mesurer entre 105 et 120 cm et vivre dans un environnement correspondant à celui de l’actuel delta de l’Okavango (Botswana). Reste à expliquer comment il a pu apparaître là, plus de 2 000 km à l’ouest des principaux représentants connus de la famille humaine.

Si certains chercheurs, comme Antoine Balzeau, du département préhistoire du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), jugent la reconstruction virtuelle "vraiment cohérente et robuste", pour Brigitte Senut (MNHN), ces nouvelles publications n’apportent pas grand-chose au débat. La chercheuse, codécouvreuse d’Orrorin tugenesis (6 millions d’années), un autre candidat au titre de plus vieil ancêtre de l’humanité, voit toujours en Toumaï un gorille archaïque. Michel Brunet n’est en rien ébranlé par ses critiques. Il note volontiers que, à ce jour, Orrorin, dont un fémur a été décrit, reste le plus ancien bipède avéré. Mais Toumaï offre selon lui le "premier visage de l’humanité".

Par Hervé Morin, lemonde.fr


Vers de futures fouilles en Libye
Michel Brunet, directeur de la mission paléoanthropologique franco- tchadienne (MPFT), a récemment rencontré le colonel Kadhafi "sous une tente dans le désert libyen", a-t-il indiqué, mercredi 6 avril. Il a signé un accord de coopération entre l’université de Poitiers et celle de Tripoli. Le chercheur français a repéré en Libye, sur des images satellites, des zones prometteuses, susceptibles de contenir des fossiles vieux de 8 millions d’années ­ soit 1 million d’années plus ancien que Toumaï, découvert au Tchad. Il espère conduire une première mission dans le désert libyen à l’automne. "Quand je l’ai annoncé au président tchadien, Idriss Déby, il m’a interdit d’y trouver un fossile plus ancien que Toumaï", plaisante Michel Brunet. C’est la mission que lui a confiée le leader libyen.