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L’Espagne célèbre Don Quichotte

dimanche 24 avril 2005, par Stanislas

Comment en cette année, quatrième centenaire de la publication de L’Ingénieux Hidalgo don Quichotte de la Manche, programmer douze mois d’événements et de festivités pour célébrer un auteur aussi connu que Miguel de Cervantès et un roman devenu universel ?

En ce 23 avril, date officielle de la mort de l’écrivain et déclaré Journée du livre et des droits d’auteurs, le curieux, l’amateur et l’érudit ne peuvent être que fascinés par cette folie cervantine qui a déferlé sur toute l’Espagne.

Impossible de faire le calcul des manifestations qui lui sont consacrées : colloques et conférences, expositions, nouvelles éditions et rééditions, concerts, spectacles, cycles cinématographiques, animations de rue, sans oublier des dizaines de propositions touristiques ou gastronomiques.

Certaines initiatives peuvent même paraître quelque peu saugrenues, comme le concours de nouvelles par SMS, organisé à l’initiative de la région de Madrid ou encore la gravure des dix premières lignes du Quichotte par une équipe de scientifiques sur une plaque de silicium de 2 microns sur 4.

Tout a commencé par la création d’une commission du ministère de la culture, présidée par la reine Sofia et le roi Juan Carlos. Ce dernier a d’ailleurs été le premier à lire à la télévision un paragraphe du Don Quichotte, avant le journal de midi ; 300 personnes lui succéderont, à la même heure, jusqu’à la fin de l’année. Ensuite, un consortium a été créé pour administrer un budget d’environ 30 millions d’euros, soit 5 % du budget culturel de l’Etat, divisé pour moitié entre le ministère de la culture et différentes institutions privées dont les apports pourront bénéficier de déductions fiscales.

Comme l’Espagne est divisée de façon presque fédérale en 17 Communautés autonomes, aux larges compétences, comme, en outre, les particularismes régionaux sont extrêmement forts, chaque région, mais aussi parfois une ville ou même un village, ont établi leur propre programme. S’y retrouve qui peut.

A Madrid, les oriflammes placées en haut des réverbères annoncent plus la candidature de la ville pour les Jeux olympiques de 2012 que l’exposition consacrée par la Bibliothèque nationale aux différentes éditions du Quichotte. Une exposition gratuite et fort fréquentée. Au sous-sol une salle interactive permet d’écrire son nom avec des caractères d’imprimerie anciens à partir d’un écran d’ordinateur. Trop compliqué pour un homme âgé, qui cède sa place à une troupe d’enfants. Ceux-ci se bousculent, l’exposition les a laissés de marbre : "que des vieux livres !" La Castille-La Manche, patrie du célèbre hidalgo, ne pouvait rater l’occasion. Elle a consacré 70 millions d’euros à la célébration, à travers une entreprise publique, Don Quichotte de la Manche 2005 SA, créée il y a trois ans par une loi du Parlement régional.

La conseillère d’économie et des finances qui préside l’entreprise publique, Maria Luisa Araujo, explique qu’il s’agissait non seulement "de mettre en marche une fête culturelle, mais de profiter de l’occasion pour un projet de développement économique" d’une vaste région méconnue.

Une grande partie du budget prévu par la région ­ soit quelque 40 millions d’euros ­ a été consacrée aux "Routes de Don Quichotte." Dix parcours sont ainsi à la disposition des touristes sur 2 500 km, à effectuer à pied, à vélo, à cheval ou en voiture. "Nous avons récupéré les chemins vicinaux, les voix ferrées abandonnées, les berges des rivières, planté quelque 220 000 arbres, installé des panneaux de signalisation et d’information pour relier 146 lieux, tous liés aux aventures de don Quichotte", raconte Mme Araujo.

Mais si l’idée apparaît alléchante sur le papier, il n’y a pas grand-chose à voir d’une étape à l’autre : quelques moulins à vent, une cave à vins ou plus amusant la maison du Toboso, où de nombreuses personnalités ont laissé, comme François Mitterrand, un exemplaire du Quichotte signé de leur main. Cela dit, dans la même vitrine, on peut voir L’Anneau des Nibelungen offert par Hitler ­ qu’un visiteur confond avec celui du Seigneur des anneaux ­ et Kadhafi, avec son petit "Livre vert".

D’ailleurs, l’association Ecologistes en action a "vertement" critiqué les modifications "du tracé historique initial pour faire plaisir aux municipalités." Ce qui a abouti "à une trame confuse de routes pseudo quichottesques, sans aucun sens, une série de pistes qui ressemblent, plus à un lot de parcelles qu’à une route touristique". Les 20 millions d’euros apportés par des entreprises qui bénéficieront de déductions fiscales couvrent les quelque 2 000 activités culturelles ainsi qu’une édition d’un Quichotte à 1 euro.

Mais la région de Castille-La Manche n’est pas la seule à fêter Don Quichotte. A Alcala de Henares, à 30 kilomètres de Madrid, lieu de naissance de Cervantès, ville déclarée patrimoine de l’humanité et l’une des plus anciennes cités universitaires d’Europe, la municipalité n’a pas voulu manquer l’occasion. N’est-ce pas dans le vénérable amphithéâtre de l’université que, chaque année, le 23 avril, le plus grand prix littéraire espagnol, le prix Cervantès, est remis au lauréat ?

On visite, bien sûr, la maison natale de l’auteur, impeccablement réaménagée. Mais aussi le théâtre "corral", le plus ancien d’Europe, puisqu’il date de 1602. Le Musée archéologique a voulu restituer l’époque du Quichotte en montrant quelques pièces exceptionnelles trouvées lors de fouilles effectuées dans la région. Un couple y apprend que le "quichotte" était la cuissarde de l’armure.

Bien entendu, Barcelone n’est pas en reste, en cette Année du livre et de la lecture en Catalogne. On oublie souvent que le chevalier à la triste figure y séjourne à la fin du second livre et que c’est là qu’il perdra son ultime combat. Ce sont surtout de magnifiques expositions qui retiennent l’attention. Plus de 30 000 personnes ont déjà vu, en un mois, l’exposition de la Pedrera, la maison emblématique de l’architecte Gaudi, où sont présentées les illustrations de Gustave Doré, d’Honoré Daumier, de Salvador Dali, de Roberto Matta, d’Antonio Saura et bien sûr de Pablo Picasso (jusqu’au 12 juin). L’écrivain Carme Riera y expose son livre consacré au nationalisme catalan face à Don Quichotte, "représentant de la race castillane et de l’espagnolisme." Elle fait bien sûr allusion aux commémorations du héros de Cervantès, lors de son troisième centenaire, en 1905. Depuis, insiste-t-elle, "les choses ont changé."

Par Martine Silber, lemonde.fr