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L’Afrique croît en silence

lundi 23 mai 2005, par nassim

L’Afrique a connu sa plus forte croissance depuis huit ans grâce à l’envolée du prix des matières premières. Mais l’embellie ne profite pas à la population.

Bonne nouvelle, la croissance économique n’a jamais été aussi forte en Afrique depuis huit ans. En 2004, elle a atteint 5 %, tandis que l’inflation est tombée à des « planchers historiques », selon les experts, avec un taux de 7,5 %. Mais il y a un problème : les Africains ne le savent pas, car, dans la plupart des pays, la pauvreté n’a pas reculé. La semaine dernière, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a présenté une radiographie approfondie des économies de vingt-neuf pays du continent le plus pauvre de la planète. Un document de près de 600 pages établi conjointement avec la Banque africaine de développement (BAD), basée à Tunis, en coopération avec des experts locaux sur le terrain.

Volatils. En préambule, les auteurs du rapport se félicitent de la croissance enregistrée en Afrique « sous l’effet de l’envolée des cours des matières premières, du relèvement du niveau de l’aide et de la poursuite de l’amélioration de la gestion macroéconomique ». Bien évidemment, cette vue d’ensemble recouvre de fortes disparités. La situation demeure préoccupante dans les pays endeuillés par des conflits : Soudan, Côte d’Ivoire, République démocratique du Congo... Mais globalement, hormis en Afrique de l’Ouest, où « la croissance s’est essoufflée, passant de 7 % en 2003 à 3,4 % en 2004 », toutes les régions du continent affichent de bonnes performances. Grâce au pétrole, l’Afrique centrale étant la région qui bénéficié de la croissance « la plus robuste » en 2004 avec 14,4 %.

Mais cette embellie reste fragile, car elle dépend avant tout de facteurs externes, par nature volatils. L’Afrique profite d’abord de la croissance mondiale, qui a provoqué une envolée des cours des matières premières, notamment du pétrole et des métaux. A cet égard, la Chine joue un rôle paradoxal : elle est à la fois « un facteur de croissance mais aussi de turbulences », note Nicolas Pinaud, un expert de l’OCDE. Le démantèlement des accords multifibres risque en effet de toucher de plein fouet l’industrie textile de l’Afrique du Nord, de Madagascar, ou encore de l’île Maurice. Autre facteur « externe » : l’augmentation de l’aide publique au développement ­ imputable à l’aide d’urgence et aux allégements de dette ­ qui a bénéficié principalement au continent africain, qui draine 46 % de son volume contre 36 % en 1999.

« Chaînon manquant ». Pour éviter de subir, l’Afrique doit donc mettre en place « des sources endogènes » de développement en favorisant, par exemple, l’émergence d’un tissu de petites et moyennes entreprises. Or entre les multinationales qui exploitent les richesses du sous-sol africain et la myriade d’entités économiques informelles, les PME constituent le « chaînon manquant ». Notamment parce qu’elles n’ont pas les reins assez solides pour rassurer les banques et obtenir des crédits. Nicolas Pinaud résume d’une formule le casse-tête des PME africaines : « Souvent, elles établissent trois bilans : le vrai en interne, celui destiné à la banque et celui qui sera remis au fisc. » Lourdeurs bureaucratiques, corruption et absence d’Etat de droit se conjuguent pour dissuader les entrepreneurs de sortir de l’informel.

Riche Afrique, mais pauvres Africains : le rapport de l’OCDE souligne qu’au rythme actuel seuls six pays (les cinq nord-africains et Maurice) seront en mesure de réduire la pauvreté de moitié d’ici 2015, comme le prévoient les Objectifs du millénaire définis par l’ONU. L’absence de redistribution des richesses créées est, en grande partie, responsable de cet échec programmé.

Par Thomas HOFNUNG, liberation.fr