Accueil > SCIENCES > Kenya : d’arbre miracle en nature morte

Kenya : d’arbre miracle en nature morte

lundi 18 avril 2005, par nassim

L’épineux « prosopis », implanté en zones arides, est devenu incontrôlable. Cas du Kenya.

Ce n’est pas dans leur tradition mais, pendant la saison sèche, Kenneth Malu et les éleveurs de bétail des rives du lac Baringo deviennent bûcherons à mi-temps.

Le prosopis, incontrôlable au Kenya.

Depuis une dizaine d’années, c’est devenu une question de survie, dans cette région semi-aride. A la machette, ils taillent un passage au milieu des Prosopis juliflora, des buissons épineux très denses envahissant leurs pâturages. Un « arbre miracle » devenu un vrai parasite. Originaire d’Amérique du Sud, le prosopis a été introduit au Kenya dans les années 30. Avec l’objectif de créer des zones vertes dans les régions où les tourbillons de vent menaçaient d’achever l’érosion du sol, le gouvernement kényan en a planté de larges quantités en 1982 aux abords des lacs Baringo et Turkana et de la rivière Tana. Un projet soutenu par les experts de l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) et financé par le gouvernement australien qui, depuis, a ironiquement classé le prosopis dans les plantes parasites et lancé une coûteuse campagne d’arrachement de ces épineux.

Repousse rapide. Les vaches de Kenneth se bousculent dans le chemin boueux. Au bord du lac, elles pourront manger et s’abreuver. « Ici, nous sommes seulement à deux kilomètres de l’eau », pointe Kenneth en direction de l’est. « Sans ce passage, nous serions obligés de marcher quatre kilomètres. Avec le bétail, ces buissons sont infranchissables. Et, même quand nous les coupons, ils repoussent très vite. Regardez à côté : nous avions tout rasé voilà cinq mois, ils font déjà deux mètres de haut. »

Si le prosopis a bien joué son rôle dans la lutte contre l’érosion, son introduction dans un nouvel environnement ressemble surtout à un catalogue de catastrophes. « On supposait à l’époque que c’était un des arbres miraculeux pour sauvegarder les zones arides », se souvient Murray Roberts, un botaniste vivant à Baringo et directeur d’une fondation pour la réhabilitation des environnements arides. « Au départ, les graines furent dispersées par les hippopotames tout au bord du lac, puis par le bétail. C’est devenu hors de contrôle. A cause du prosopis, des endroits sont devenus totalement inaccessibles. Des pâturages, où les éleveurs emmenaient leurs animaux pendant la saison sèche, n’existent plus. Autour du lac, 3 000 hectares sont couverts de prosopis. » Et rien d’autre. Car le prosopis n’est pas social. Ses racines profondes pompent toute l’humidité du sol. A ses côtés, des variétés indigènes d’acacias ont disparu. « Cent pour cent des graines germent », explique Simon Choge, chargé du dossier prosopis à l’Institut kényan de recherche forestière. « Elles sont superrésistantes, même quand elles ont séjourné longtemps dans l’eau. Et, comme le prosopis n’a pas d’ennemi naturel dans cet environnement, il n’a fait que se développer. »

Derniers éléments à charge ? « Les épines sont longues et dures comme des clous », se plaint l’éleveur Kenneth Malu en baissant la tête pour les éviter dans une forêt de prosopis. Une vraie nature morte, dans laquelle passent deux moutons, visiblement égarés, n’ayant rien à brouter. Le feuillage est si dense que plus rien ne pousse sur le sol sombre et poussiéreux. « Le bétail se blesse. Les enfants aussi quand ils vont jusqu’au lac pour chercher de l’eau. Et les cosses des prosopis sont très sucrées. Les chèvres les adorent. Mais elles se retrouvent avec des caries, perdent leurs dents et ne peuvent plus se nourrir. »

Au bureau de la FAO, à Nairobi, la directrice adjointe Augusta Abate reconnaît que l’implantation du prosopis fut une bonne idée qui a mal tourné. « Ces arbres se développaient bien dans d’autres parties du pays », juge cette ingénieure agricole. « Personne ne se doutait qu’une telle invasion pouvait se produire. Personne n’a expliqué aux populations locales comment elles pouvaient profiter du prosopis : le transformer en bois de chauffe, en matériau de construction, ou faire du charbon. Mais on en a tiré une leçon : on est beaucoup plus attentifs à l’installation d’espèces non indigènes. C’est vrai dans le monde entier. Pour les animaux comme pour les plantes. »

Les scientifiques kényans vont être immédiatement mis à l’épreuve. Dans quelques semaines, un scarabée sera importé d’Afrique du Sud, où le prosopis a été contrôlé avec succès.

Scarabée. « On a prévu plusieurs mois d’étude en quarantaine, pour voir comment le scarabée se comporte avec les autres espèces de Baringo », révèle Simon Choge. « On prévoit de le lâcher dans la nature d’ici à la fin de l’année. En principe, il mange les feuilles et pond ses oeufs dans les cosses des prosopis. Ensuite, les larves s’en nourrissent. Il est impossible d’éradiquer le prosopis, mais on espère que, d’ici à trente ans, on sera parvenu à le contrôler. » Et que le scarabée ne deviendra pas, à son tour, une bonne idée ayant mal tourné.

Par Alexis MASCIARELLI, liberation.fr