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Journées cinématographiques de Carthage : Les retards algériens

dimanche 10 octobre 2004, par Hassiba

La vitesse de croisière des Journées cinématographiques de Carthage a été atteinte le 3 octobre dernier avec l’ouverture du Marché international des produits audiovisuels de Carthage (MIPAC).

Inauguré par Mme Nadia Attia, directrice de la quarantième session, accompagnée de l’incontournable Ahmed Attia. A ce marché où s’achètent et se vendent 400 films cohabitent un stand de visionnage et trois écrans-vidéo permettant à tous les clients-visiteurs et à la presse de voir, à la demande, courts et longs métrages. Ce marché qui a été initié en 1992, avec une pause durant les deux dernières sessions, permet aux acheteurs arabes et africains de faire leur marché et éventuellement d’augmenter des échanges autorisant la diffusion entre Arabes et Africains. Mais force est d’admettre que dans les circuits commerciaux et dans les programmes TV dans les pays arabes et africains dominent toujours les productions américaines et celles d’Europe.

Enjeux du marché
Les structures qui dominent le MIPAC sont Quinta Communication, un groupe dirigé par Tarek Ben Ammar, le CNC français, Hannibal TV, Sangho Films (du cinéaste Mohamed Zran), le Centre du cinéma marocain, l’Agence intergouvernementale de la francophonie et le Centre arabe de distribution et de média. Mais le risque est grand, comme l’a déclaré Imunga Ivanga du Gabon (Tanit d’or 2000) de voir le cinéma africain « mourir avant de naître ». Cependant, les JCC permettent des retrouvailles parfois inattendues. Invité par le ministre tunisien de la Culture, le ministre malien de la Culture était à Tunis. Le plus étonnant est qu’il se trouve que ce dernier est considéré comme le réalisateur parmi les plus féconds du continent doublé d’un universitaire bardé de diplômes. Après avoir cumulé les courts, les longs métrages et les prix à Carthage et au FESPACO, il est devenu le premier responsable de la culture du Mali. Cheikh Oumar Sissoko a été fêté comme il se doit en Tunisie. Comme tous les festivals qui se déroulent en Afrique, les JCC 2004 ont vu naître une énième tentative de voir les critiques et les spécialistes s’organiser afin d’arriver à une structure encore à définir. Ils ont créé un site Internet qui « émettra » au début de l’année 2005. L’objectif serait la naissance d’une revue de cinéma panafricaine permanente en ligne. Des délégués de huit pays (Sénégal, Tunisie, Burkina Faso, Egypte, Algérie, Cameroun, Maroc, France) travaillent actuellement sur « la méthodologie et les textes de base du réseau ». Les Journées cinématographiques de Carthage délivreront le palmarès de cette session le samedi 9 octobre 2004 pour lequel, à nos yeux, le film marocain la Chambre noire s’inscrit pour une récompense digne de ses qualités. Côté algérien, une douzaine de films (courts et longs) avaient le label algérien avec la part du lion consacré au cinéaste qui a fait le plus de longs métrages et qui a remporté le plus de distinctions dans le monde, Merzak Allouache. Si le nombre des œuvres semble important, il n’en demeure pas moins que certains films ont été entièrement financés et tournés en dehors du pays même si la résonance du nom et la filiation d’origine des parents attribuent la nationalité des films en contournant des critères autrement plus objectifs qui indiquent sur les efforts financiers consentis par les Etats. Seul film algérien en compétition, El Manara de B. Hadjadj, qui fut tourné à l’origine en vidéo, côtoie la dernière œuvre de K. Dehane, les Suspects, montré dans la section panorama et qui a été présenté par le cinéaste tunisien M. Benmahmoud qui en a été le co-scénariste. Mais l’Algérien le plus demandé a été le directeur général de l’ENTV, un diffuseur qui montre souvent les films arabes et qui est, par conséquent, un acheteur potentiel.

Hassan II en jugement
Cependant, le choc a été pour nous la Chambre noire du Marocain H. Bendjelloun. Cette œuvre maîtrisée, portée par une fournée d’acteurs de grand talent marque un tournant radical dans l’histoire du cinéma maghrébin. Le synopsis résume parfaitement le courage de tous ceux qui ont fait et produit un film sombre faisant vivre de vrais personnages de chair et de sang, qui aiment, pleurent et rient. « Kamel et Najat travaillent tous les deux à l’aéroport. Follement amoureux, ils fondent ensemble de grands projets d’avenir. Malheureusement, le passé d’ancien étudiant marxiste-léniniste rattrape Kamel. Commence alors une longue descente aux enfers : enlèvement, interrogatoires, tortures. Kamel refuse de charger ses camarades en contrepartie de la clémence des juges. Le verdict sera lourd. »Par petites touches, en douceur, le quotidien et l’avenir des personnages et ceux de leur famille basculent dans la plus noire des tragédies, celle d’êtres humains qui deviennent de simples numéros de détenus sortis du monde pour tomber dans l’abject dont seul l’être humain est capable. Séquestrés dans un sous-sol, d’anciens cadres de Ila Al Amam et du 23 mars, deux organisations de gauche opposées à la politique du roi, y compris sur le Sahara occidental, vivent le vrai visage de la torture et de l’humiliation. Parodie de justice, déchirement des parents, rupture d’une histoire d’amour, le film ne lâche plus le spectateur jusqu’à la dernière image.Maîtrisant son sujet, tiré du récit authentique d’un ancien détenu (« Derb Moulay Cherif »), avec une remarquable direction d’acteurs plus vrais que nature, H. Bendjelloun, avec ce film, entre dans le nec plus ultra des réalisateurs arabes. Déjà acheté par la chaîne marocaine, la 2M, cette œuvre passera-t-elle dans les autres TV arabes ? On a dit à Tunis que Cirta films veut diffuser cette œuvre dans laquelle un homme responsable de tant de crimes a son portrait affiché dans beaucoup de séquences. L’homme en question était Hassan II, et le film fait son procès.

Une histoire d’identité
Dans la section vidéo, à l’intérieur d’un genre difficile, celui du documentaire de longue durée (90 minutes), au hasard des rencontres avec les créateurs qui vivent en Palestine, une découverte fit tilt. Enquête personnelle de Ula Tabari est une petite merveille sur la recherche d’identité des Arabes israéliens. Dans la ville de Nazareth, la cinéaste part à la quête de ses origines pour savoir pourquoi des Palestiniens, ceux de 1948, se retrouvent avec une nationalité, israélienne, dans laquelle ils se sentent étrangers à eux-mêmes et au reste de leurs compatriotes éparpillés un peu partout. L’enquête la mène aux crèches et aux écoles où le dressage commence. Les enfants arabes qui fêtent « l’indépendance » d’Israël et qui chantent l’hymne national de l’Etat juif, des enseignants palestiniens qui apprennent à leurs élèves les « exploits » de l’Etat où ils vivent... La confrontation entre les propos de ceux qui vivent dans une culpabilité confuse leur nationalité imposée et ceux qui refusent comme ce poète à la fin de sa vie qui ne rêve que de mourir avec des Palestiniens n’importe où, provoque une forte émotion. Une œuvre que toutes les TV arabes devraient passer, l’œuvre d’une Palestinienne qui a un passeport... israélien.

Algérie subliminale
Une des leçons à tirer de cette session des JCC pour l’Algérie, comparée à ses voisins maghrébins, est l’urgence de voir se développer des industries privées du cinéma. En Tunisie, Tarek Ben Ammar a investi sur des hectares pour la construction de studios, de complexes de salles de cinéma et il prévoit dans les années à venir le tournage en Tunisie de 50 films américains et européens, aux côtés de Attia et d’autres producteurs et distributeurs privés. Des emplois vont se créer et des films vont naître. Les Marocains avec l’aide de la 2M ne sont pas en reste. A Tunis, la présence légère de l’Algérie témoigne d’une certaine vacance dans le champ culturel au vu du dynamisme des officiels égyptiens, tunisiens, marocains qui ont multiplié les réceptions, les annonces de projets et surtout la volonté d’aller vite vers le privé et la mondialisation. L’objectivité est de dire que les retards économiques et industriels de l’Algérie en matière de cinéma sont énormes et le resteront tant que le secteur privé n’est pas impliqué comme acteur principal.

Par Abdou B., La Tribune