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"Internet occupe une place majeure"

lundi 25 avril 2005, par Hassiba

Entretien avec Martin Sorrell, président du britannique WPP, deuxième groupe de communication mondial.

Quelle est votre vision du marché publicitaire français et quelle est votre position sur ce marché ?

Depuis trois ou quatre ans, le marché publicitaire français est difficile. Le marché de l’Europe de l’Ouest traverse une période difficile : la population croît peu, l’inflation est faible, les consommateurs se polarisent sur les prix, la distribution se concentre, et le hard discount progresse. L’environnement y est donc peu favorable.

A l’instar du Japon ­ où deux groupes de communication, Dentsu et Hakuhodo, dominent le marché publicitaire ­ Publicis et Havas ont, en France, les positions les plus fortes. WPP, qui emploie 3 000 personnes à Paris, se classe à la troisième place. Nous réalisons aujourd’hui en France 5 % de nos revenus.

Comment jugez-vous l’évolution compétitive de vos deux concurrents français ?

Il y a eu un grand changement de position relative entre les deux groupes. Quand j’ai commencé à développer WPP, Havas était devant. La situation s’est totalement renversée. Publicis fait clairement parti du groupe des très grandes entreprises, alors qu’Havas fait désormais figure de poids moyen. Le changement d’actionnariat, et l’entrée à hauteur de 22 % de Vincent Bolloré dans le capital d’Havas le démontrent. Mais mon véritable concurrent est l’américain Omnicom.

Avez-vous des contacts avec Vincent Bolloré et quel est selon vous l’avenir d’Havas ?

Oui, nous discutons régulièrement ensemble. Nos deux groupes sont en relation depuis deux ans. Je ne me prononcerai pas sur l’avenir d’Havas : demandez à Alain de Pouzilhac et à M. Bolloré ! Tout ce que je peux dire, c’est que j’avais proposé, il y a quelques années, une alliance avec MPG, la filiale de conseil en médias d’Havas, quand Havas avait besoin d’argent. M. de Pouzilhac semblait avoir oublié ma proposition ; il s’en est brusquement souvenu... Les temps changent. Nous venons de créer une société commune avec MPG, afin de travailler pour des clients communs.

Après l’acquisition de la société américaine Grey que vous venez de boucler, vous êtes à la tête de cinq réseaux publicitaires mondiaux. Les garderez-vous en tant qu’entités indépendantes ?

Oui, nous allons garder les cinq réseaux séparés. Je ne connais pas d’exemple où une fusion ait fonctionné. De plus, nos réseaux ont leur propre identité. J. Walter Thompson est un réseau publicitaire plutôt traditionnel, comparable à BBDO, DDB ou TBWA. Ogilvy a une forte identité créative et offre beaucoup de services marketing, on peut dire qu’il est en compétition avec Mc Cann. Young & Rubicam dispose de marques très fortes et d’un positionnement unique en termes d’intégration de services marketing, même si aujourd’hui il y a des problèmes à régler dans l’activité publicitaire. Grey est assez comparable. Enfin, Red Cell est un réseau de petites agences créatives capables de rivaliser avec des agences comme la Britannique BBH. L’enjeu pour nous maintenant n’est plus la taille, mais la qualité du travail.

Quelles sont aujourd’hui vos priorités de développement, en termes géographique ou d’activités ?

Nous voulons à terme que nos revenus se partagent à part égale entre l’Europe, les Etats-Unis et le reste du monde. Nous devons donc profiter de la forte croissance en Asie, et de pays comme le Brésil. En Inde, qui est un marché formidable, nous détenons 50 % du marché. En Chine, où les marques nationales se développent déjà, notre part est de 15 %. Et en Corée du Sud de 25 %. En termes d’activités, alors que la publicité et les services marketing pèsent aujourd’hui un poids quasi équivalent, nous voulons atteindre un ratio de 2/3 de nos revenus en dehors de la publicité. Tout ce qui est études, recherche, mesure se développe très vite. Nos clients veulent de plus en plus justifier leurs décisions marketing, ce qui passe par des outils de quantification.

De même, tout ce qui a trait à Internet est en très forte progression. Les décodeurs enregistreurs, qui permettent de zapper la publicité télévisée, gagnent du terrain, il faut donc trouver de nouveaux moyens d’être en contact avec le consommateur, de l’engager dans une relation avec la marque.

Comment selon vous évoluent les différents médias ?

On assiste à une fragmentation des audiences entre eux. Les grands réseaux de télévision hertzienne doivent relever un certain nombre de défis, car leur audience s’érode, et le coût de la publicité augmente. Le câble et le satellite présentent maintenant de belles opportunités. Quant à la presse, elle est face à un véritable challenge vis-à-vis d’Internet, où l’information est disponible immédiatement et gratuitement. Internet occupe désormais une place majeure et le téléphone mobile devient un outil de plus en plus puissant.

Pernod Ricard vient d’annoncer sa fusion avec Allied Domecq. Auparavant, Procter & Gamble faisait de même avec Gillette, comment expliquer ces fusions ?

Ces opérations doivent permettre d’étendre la couverture géographique de ces groupes, de favoriser l’innovation, le marketing et d’améliorer la distribution. Le mouvement va se poursuivre, dans les médias comme dans la distribution. Le phénomène de concentration dans la distribution a donné naissance à des groupes très puissants comme Wal Mart aux Etats-Unis, ou Tesco en Grande-Bretagne. Il doit y avoir des forces pour les contrebalancer.

Si le non au référendum sur la Constitution européenne l’emportait en France, quel serait son impact ?

Cela n’aiderait évidemment pas l’Europe ! L’Europe doit s’étendre, la Turquie doit en devenir membre, dès que possible. Ce sont des gens très dynamiques et cela créerait un lien fort avec le monde musulman et le Moyen-Orient. Or il y a aujourd’hui un manque de compréhension des musulmans, nous ne devons pas immédiatement penser que ce qui est bon pour nous est bon pour eux et vice-versa. De plus, l’Europe a besoin d’opportunités de croissance. Travailler 35 heures par semaine, avoir une vie équilibrée, c’est bien, à condition que vous en réalisiez les conséquences sur l’économie.

Par Laurence Girard, lemonde.fr