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Entretien avec l’ambassadeur d’Afrique du Sud en Algérie

jeudi 5 mai 2005, par Stanislas

Dans l’entretien qu’il a bien voulu nous accorder, l’ambassadeur d’Afrique du Sud en Algérie, M. Super R. Moloi, déclare n’avoir encore pas reçu de confirmation quant à la venue de Nelson Mandela en Algérie et revient longuement sur l’expérience de la commission « Vérité et réconciliation » mise en place dans son pays à la suite de l’abolition de l’apartheid.

Pour le cas de l’Algérie, il est d’avis que l’amnistie générale ne peut réussir si elle est imposée au peuple. Tout en annonçant, par ailleurs, la venue le mois courant d’une délégation d’hommes d’affaires sud-africains en Algérie pour prospecter les possibilités d’investissement, l’ambassadeur regrette le niveau des échanges qui reste très en deçà des potentialités des deux pays. M. Moloi explique les circonstances de la reconnaissance par son pays de la RASD et insiste sur l’obtention de sièges permanents pour l’Afrique au Conseil de sécurité, non sans des pouvoirs de veto.

Le Jeune Indépendant : Le symbole sud-africain de la lutte contre le régime d’apartheid, Nelson Mandela, est attendu en Algérie. Quel sens donneriez-vous à la présence de cette figure charismatique dans notre pays ?

M. Super Moloi : Pour le moment, je n’ai pas été destinataire d’une quelconque confirmation officielle quant à la venue de Nelson Mandela en Algérie. Mais si cette visite devait avoir lieu, elle devrait renforcer davantage les relations existantes entre les deux pays. Rappelons que, pour Nelson Mandela, l’Algérie revêt une symbolique particulière dans la mesure où elle a été le premier pays à fournir un entraînement militaire au leader du Congrès national africain (ANC) grâce à qui, en plus d’autres militants, le régime l’apartheid a été vaincu.

Ce ne sera pas, en tout cas, la première visite de Mandela dans votre pays, la première ayant eu lieu à la suite de sa sortie de prison. On ne peut hélas pas appréhender exactement l’impact de sa visite tant qu’on ne connaîtra pas le programme de son séjour. Ce qui est certain, c’est que si Mandela aura à évoquer l’expérience sud-africaine liée à la commission « Vérité et réconciliation », comme cela s’est écrit dans les médias algériens, cela aidera beaucoup le Président et le gouvernement algériens dans la démarche de mise en œuvre de l’initiative d’amnistie générale.

Au sujet de cette commission justement, peut-on connaître les mécanismes qui ont fait que l’expérience sud-africaine soit citée en référence, notamment pour les pays qui traversent des conflits internes ?

Je dois d’abord préciser qu’il ne s’agit pas de la seule expérience en la matière. La commission en question est le résultat de longues négociations entre l’ANC et le régime d’apartheid. Il faut retenir une chose essentielle à ce propos, c’est que lorsqu’on parle de vérité et de réconciliation, il n’est jamais possible d’obtenir une situation qui puisse satisfaire toutes les parties en conflit.

De même que chaque pays a ses propres spécificités qu’il faut prendre en considération et c’est ce que nous avons fait lors du processus des négociations qui ont, évidemment, concerné également la société civile.

Je me rappelle que le premier aspect des négociations était de savoir comment traiter le passé, le second comment panser les blessures de la nation.

A cet effet, nous avions commencé par examiner les expériences du Chili et de l’Argentine. Trois options avaient alors prévalu. Celle de l’amnistie générale, celle du jugement à la façon de Nuremberg et enfin celle dite « Vérité et réconciliation ».

Après un long débat, nous avions conclu que l’amnistie générale est l’option qui nous conviendrait le moins car elle serait susceptible, d’une part, d’encourager l’impunité, et d’autre part, plusieurs personnes étaient portées disparues et leur sort inconnu. Nous avions constaté qu’il était important que les commanditaires des violations des droits de l’homme en Afrique du Sud avouent de manière individuelle ce qui leur a été reproché. Notre pays aspirait à l’instauration d’une démocratie qui suppose le respect de la loi. Il était donc important pour nous que nous obtenions des révélations complètes sur cette période. Aussi, nous étions convaincus que l’option de l’amnistie générale était à exclure.

Nous avons ensuite examiné l’expérience de Nuremberg sous tous ses aspects et avons fini par penser que si nous suivions cet exemple, nous étions convaincus qu’incriminer les services de sécurité allait provoquer leur résistance au processus d’arrêt de la violence. De plus, l’expérience prouve que présenter en justice tous les auteurs des crimes de guerre revient excessivement cher. Récemment, le jugement d’un seul coupable nous a coûté des millions de rands. En plus de cette considération, certains commanditaires n’ont pu être inculpés car on ne les a pas encore retrouvés.

La voie de la vérité et de la réconciliation s’est donc imposée comme étant la plus appropriée pour nous. La première tâche de la commission a été d’enquêter sur les violations des droits de l’homme perpétrés entre 1960 et 1995, sur les causes, l’ampleur et les auteurs de ces dépassements, qu’il s’agisse des membres du régime de l’apartheid ou des différents mouvements de libération.

Cela achevé, un comité a été installé pour se charger de l’indemnisation financière et de la réhabilitation des victimes. Sur les 22 000 victimes qui se sont présentées à la commission, 19 000 avaient besoin d’aide pour accéder au logement, aux soins, à la scolarisation de leurs enfants et surtout être soutenus psychologiquement, car ce sont des personnes qui présentaient beaucoup de traumatismes. La réhabilitation ne concernait pas seulement les victimes mais également les responsables des délits qui étaient également traumatisés eu égard à la violence dont ils avaient usé. Poser des explosifs pour tuer des personnes laisse sûrement des séquelles.

La commission s’est aussi intéressée à l’amnistie, et son mécanisme était que les commanditaires des crimes devaient vouloir et demander eux-mêmes l’amnistie pour l’obtenir. Et celle-ci ne leur été accordée que si le comité était sûr que toute la vérité avait été dite par eux. De même qu’il fallait aussi s’assurer que tous les crimes commis avaient une motivation politique. La commission avait toutes les prérogatives pour assigner les criminels à comparaître ou pour les amnistier.

Les choses ne sont, cependant, pas toujours aussi simples. Il faut comprendre que la réconciliation n’est pas un événement mais un long processus. Il y a ainsi des aspects qui nous posent toujours problème. Nous examinons les cas, par exemple, de ceux qui n’ont pas demandé à être amnistiés mais contre qui nous détenons des preuves quant à leur implication dans certains faits. Nous sommes toujours en train de discuter pour déterminer s’il faut juger ou pas certaines personnes.

Nous tenons à ce que toute action n’annule pas tout ce qui a été entrepris dans le cadre de la commission « Vérité et réconciliation » qui nous a permis de réaliser le plus important : que les commanditaires passent aux aveux et que des familles retrouvent les traces de leurs proches disparus et leur offrent une sépulture décente. Que nous sachions qui a fait quoi et quand, car on ne peut pardonner sans connaître la vérité.

Nous avons surtout pu démontrer aux générations futures qu’il existe des droits fondamentaux et qu’on ne peut en aucun cas accepter qu’ils soient violés.

Le travail de la commission a permis de situer des responsabilités individuelles et de juger les personnes pour les crimes qu’elles ont commis et non pour leur appartenance à un quelconque groupe qui aurait été impliqué.

Au début du mois d’avril dernier, le conseil fédéral du nouveau parti national a annoncé la dissolution de cette formation politique à l’origine de l’apartheid.

Est-ce un autre pas vers la vérité et la réconciliation en Afrique du Sud ?

Ce qui est intéressant dans cette information, c’est que c’est la première fois qu’un parti politique responsable de crimes contre l’humanité, de délit de racisme s’auto-dissout. Cela n’a pu se faire que parce que les victimes ont dit qu’elles pouvaient pardonner si on leur avoue toute la vérité. Les leaders du parti ont fini par comprendre que celui-ci ne pouvait continuer d’exister tant il était associé à l’idée des crimes qu’il a perpétrés. Pour nous, cette décision est la bienvenue. Le plus surprenant est que la majorité des militants de ce parti ont rejoint l’ANC.

Vous avez déclaré que l’amnistie générale n’était pas la voie convenable pour l’Afrique du Sud. Pensez-vous qu’elle le soit pour l’Algérie ?

Comme je l’ai déclaré plus haut, l’expérience de chaque pays est unique. Les Algériens doivent trouver leur propre voie en tenant compte de leurs particularités et en examinant les autres. Ce qui est encourageant, c’est que le président Bouteflika a déclaré que l’amnistie générale ne sera pas imposée mais décidée par le peuple, autrement cela ne pourrait pas marcher.

La question qui se pose est de définir cette amnistie. A ce propos, de nombreuses familles de victimes du terrorisme s’opposent à l’idée d’amnistier les terroristes sans jugement préalable... Peut-être vaudrait-il mieux ne pas anticiper les choses et attendre de connaître les circonstances de l’application de cette amnistie ainsi que l’intégralité du contenu du dernier rapport de la commission Ksentini pour se faire une idée objective. Cela étant, il n’y a pas que l’aspect lié au jugement des commanditaires ; il faut aussi tenir compte de la nécessité pour ces derniers de se faire accepter de nouveau par la société. Si les Algériens se sont sacrifiés pour la libération de leur pays en payant de leur vie, aujourd’hui il leur est demandé de pardonner pour retrouver la paix et le progrès.

Pensez-vous que les terroristes seront réellement libres une fois amnistiés ?

Assurément non puisqu’ils seront sans cesse poursuivis par leur conscience.

Peut-on avoir une idée sur le niveau des relations entre nos deux pays, notamment dans le domaine économique ?

A la suite de ma visite dans certaines wilayas du pays, en décembre dernier, j’ai réalisé à quel point les Algériens n’étaient pas informés sur l’Afrique du Sud. L’inverse est aussi valable. Le montant des échanges est insignifiant et ne mérite pas d’être cité car il est à l’avantage de l’Afrique du Sud. Aussi, le défi pour nous est-il d’avoir un flux maximum de données sur chacun des deux pays pour espérer une évolution des relations économiques. Nous travaillons dans le sens de ramener un meilleur équilibre de nos échanges. Des compagnies sud-africaines ont déjà investi en Algérie, comme Loya (produits laitiers), Denel (industrie militaire), Ninhand Shend (eau), etc. Il est prévu, au courant de ce mois, l’arrivée d’un groupe d’hommes d’affaires sud-africains en Algérie pour prospecter les possibilités d’investissement qui sont importantes, notamment dans le tourisme et la pêche.

Lorsque j’ai visité le port de Béjaïa, j’ai compris pourquoi l’Algérie a été colonisée tant de fois. Nous l’aurions fait aussi (rires).

L’Afrique du Sud a été le dernier pays à reconnaître, en septembre 2004, la RASD. Peut-on en connaître les motivations ?

L’ANC a toujours soutenu le combat du peuple sahraoui dont le parcours est semblable au nôtre. Nos combattants ont échangé leurs expériences par le passé. Feu Oliver Tambo avait visité les camps de réfugiés sahraouis à Tindouf. Quand nous avons obtenu notre indépendance en 1974, nous voulions déjà reconnaître la RASD, mais la communauté internationale, notamment les Nations unies, nous avaient demandé de geler notre décision tant que le débat n’était pas encore tranché au s*ein de l’organisation mondiale.

Lorsque cette dernière a fait connaître le rejet par le Maroc du plan Baker, notre président a saisi par écrit le roi qui, par le biais du ministre des Affaires étrangères, lui a répondu qu’il souhaitait s’entretenir avec lui à ce sujet. Un rendez-vous a été pris mais le roi ne s’est pas présenté, ce qui a conduit l’Afrique du Sud à concrétiser une décision prise depuis longtemps.

L’ONU vient de proroger le mandat de la Minurso, mais cela ne suffit pas. Il faut que cette institution qui a été créée pour la résolution des conflits dans le monde s’occupe sérieusement de cette question en exerçant des pressions sur le Maroc pour laisser les Sahraouis décider en toute souveraineté de leur avenir, d’autant plus que ces derniers ont consenti d’énormes sacrifices sans qu’il y ait eu de réciprocité.

Il est clair que si le Maroc agit ainsi c’est parce qu’il est soutenu par les puissances que chacun connaît. Les conditions de vie des réfugiés sahraouis interpellent particulièrement l’ONU, et c’est l’une des questions ayant motivé la demande de réforme de l’institution onusienne.

L’Afrique du Sud est l’un des pays à avoir justement soumis sa candidature comme membre permanent du Conseil de sécurité. Quelles sont ses chances d’y parvenir ?

Pour nous, le plus important n’est pas tant de savoir qui représentera l’Afrique au Conseil de sécurité mais de s’assurer d’obtenir deux sièges avec des pouvoirs de veto.
L’Afrique du Sud a ceci d’important qu’elle est impliquée dans la résolution de plusieurs conflits, pour instaurer la paix dans le continent noir, et ce, dans le cadre du Conseil de la paix et de la sécurité de l’Union africaine. Nous avons démontré qu’avec les faibles moyens dont nous disposons, nous pouvons aider là où il faut. C’est une expérience qui peut servir si nous devenons membre permanent du Conseil de sécurité.

Par Mekioussa Chekir, jeune-independant.com