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En Algérie, les juteuses « affaires » de l’export

jeudi 2 septembre 2004, par Hassiba

Vols de ferraille, destruction de câbles à haute tension et rond à béton perdu ou subtilisé font, de manière redondante, l’objet de dépôts de plainte et d’articles de presse. Le citoyen se pose parfois la question de la destination de ces produits. Une destination qui est pourtant simple et juteuse, l’exportation.

Algérie-telecom fait état d’un préjudice évalué à 37 millions de dinars en raison de sabotages et de vols de câbles téléphoniques et électriques. Ce phénomène a atteint une grande ampleur ces dernières années, et notamment au cours du premier semestre 2004. Selon cette entreprise, la moitié est due aux actes terroristes, quant à l’autre moitié, pour des raisons économiques, des kilomètres de câbles de différentes capacités sont l’objet de vols ou de sabotages.Pas moins de 184 affaires de vol de câbles ont été traitées par les services de la gendarmerie nationale durant ce premier semestre 2004, entraînant l’arrestation de 202 personnes, âgées de 19 à 28 ans et sans profession. Un chiffre effarant et réalisé en 6 mois, alors que les statistiques annuelles de 2002 et 2003 font état de 102 et 163 affaires de vol enregistrées, permettant l’arrestation de 85 et 159 personnes respectivement.

Même les poteaux électriques
Selon les données fournies par Algérie Telecom, outre la destruction des équipements et l’abattage de poteaux téléphoniques, plus de 38 630 mètres de câbles divers ont été l’objet de sabotages ou de vols durant le 1er semestre de l’année en cours, au niveau des 18 unités opérationnelles de télécommunications du pays. Autre phénomène décrit par un confrère en mai dernier et qui faisait état d’un véritable trafic de produits ferreux dans l’est du pays. Un trafic lié à une forte spéculation alimentée par des milieux affairistes qui écument la région d’Annaba. La tension était devenue telle que certains n’hésitent pas à passer à l’acte en volant les produits ferreux.Selon des informations dont faisait état ce confrère, le rond à béton (RAB) volé dans certaines structures de la ville d’Annaba aurait été vite acheminé, via El Tarf, vers les frontières algéro-tunisiennes pour être vendu à des prix avantageux. Ainsi, les services de sécurité ont réagi, ce qui a permis la saisie de 20 tonnes de fer transportées par une dizaine de camions empruntant la route nationale n°16 reliant Annaba à El Hadjar, près de la zone industrielle de la ville d’acier. Dix jours plus tard, une seconde saisie de 200 tonnes de produits a été effectuée par les éléments de la brigade de la gendarmerie nationale de la commune d’El Bouni. La marchandise, transportée à bord de véhicules lourds, fut interceptée sur le même tronçon routier reliant El Hadjar à Annaba. D’après cette source, l’opération de saisie qui a eu lieu à la mi-avril dernier a permis l’interception d’une dizaine de camions venant de plusieurs wilayas : Guelma, Souk-Ahras et Aïn M’lila. Ces marchandises ont été transportées sans autorisation, sans factures et registre du commerce. Cette toute récente saisie s’élève notamment à 60 tonnes du rond à béton qui, indique-t-on, étaient destinées à être écoulées en Tunisie. Les marchandises saisies ont permis de connaître les produits les plus prisés par ce trafic. Sont cités dans le lot les barres de fer, les poteaux électriques, l’acier lourd de première qualité, le métal de premier choix ainsi que le RAB en grande quantité. Les mêmes actes et les mêmes résultats sont constatés au centre et dans l’ouest du pays. A cela, il convient d’ajouter les fausses déclarations, les fausses domiciliations, le non-rapatriement des devises et une activité que seule l’Algérie semble avoir inventé, la location de registres du commerce.

Plus de 100 plaintes déposées
La filière de la fraude à l’exportation des métaux ferreux et non ferreux est celle qui ne cesse de défrayer la chronique et le silence des services des douanes pourrait laisser penser à une passivité de leur part et que les affaires liées à ce dossier auraient fait l’objet d’une dénonciation d’un citoyen soucieux de la préservation de l’économie. Il n’en est rien. Comme dans l’affaire dite de Bir El Atter, c’est un agent des douanes qui a débusqué le lièvre. La filière des trafiquants est très bien structurée, affirme une source autorisée à la direction générale des douanes. Les douanes affirment n’avoir « aucun regret dans la prise en charge de ce dossier ». Pour cette institution qui se veut le garant de l’économie nationale, de la sécurité intérieure et alimentaire, le bilan est satisfaisant. Les enquêtes ont abouti au dépôt d’une plainte globale et de plus d’une centaine de plaintes individualisées.

Pour cet agent des douanes que nous avons rencontré, le dossier des métaux ferreux et non ferreux « est intégré dans les missions » de l’institution. Il tiendra cependant à préciser que tous les exportateurs de ce produit ne sont pas des trafiquants. Statistiques à l’appui, il fera état des contrôles opérés durant les périodes 1994-1997 et 1998-2000 qui ont permis de vérifier 2 043 déclarations pour la première période et environ 7 000 pour la seconde. Ces contrôles ont permis de débusquer environ 573 et 275 fausses déclarations pour chacune des périodes évoquées. Une commission ad hoc a été créée par la direction générale des douanes pour suivre de près le dossier en date du 3 février 2001 et une mission présidée par le directeur général des douanes s’est rendue en France, principale destination des métaux, pour obtenir la collaboration des douanes françaises. Les sortes de fraude sont multiples et la facilité qu’ont les trafiquants à procéder à la location ou l’obtention de registres du commerce exige une attention et un contrôle quasi-permanents de la part des douaniers ainsi que des services de police et de la gendarmerie nationale. Une enquête est en cours au niveau de la gendarmerie nationale, nous explique notre source. Il s’agit de mettre à nu toute une filière. Des déchets non facturés ont été découverts par les douaniers et, sur cette base, l’enquête a été déclenchée. Elle concerne des entrepôts de déchets dans lesquels des produits sont stockés et que les enquêteurs soupçonnent qu’ils ont été volés. Une affaire parmi tant d’autres. Mais l’efficacité des douaniers met au jour plusieurs autres sortes de fraude : les plus classiques, dans le cas de l’exportation, sont la tricherie à la pesée, la nature des déchets exportés mais aussi les fausses déclarations et les fausses domiciliations. Pour cette dernière catégorie de fraude, tout comme pour le non-rapatriement des produits de l’exportation, le rôle des banques est important. Ces dernières sont régulièrement sollicitées pour faire état des exportateurs qui n’ont pas rapatrié les devises générées par leurs exportations. Le fait de ne pas rapatrier le produit des exportations constitue une infraction au contrôle des changes et aux mouvements de capitaux et les exportateurs sont nombreux à « oublier » de se conformer à cet aspect de la législation.

L’information, nerf de la guerre
Et c’est à ce niveau que le bât blesse. L’informatisation des statistiques bancaires n’est pas au niveau voulu par les services des douanes qui souhaiteraient avoir accès à ces données dans des délais plus courts. Des délais moindres permettraient aux douaniers de réagir plus vite et de déterminer de manière plus rapide les éventuelles infractions au régime des changes. Autre défaut de la cuirasse de la lutte contre la fraude à l’export, le maintien par le ministère du Commerce des agréments à des « exportateurs » fichés par les services des douanes ou de police et ayant commis des infractions.C’est ainsi qu’a été déclenchée l’affaire dite de la BDL de Bir El Atter, c’est un agent des douanes qui a initié une enquête. Le pot aux roses découvert, le directeur général des douanes a initié une réunion avec le PDG de la banque. L’enquête a permis la matérialisation de l’infraction par l’authentification des documents qui se sont révélés être des faux. Cette matérialisation a abouti à un dépôt de plainte, une alerte a été déclenchée et des contrôles a priori et a posteriori ont été multipliés. Les douaniers se disent plus que jamais déterminés à combattre le crime et la fraude, que cela soit à l’import ou à l’export. « Des lions qui ont mangé du tigre », affirme l’un d’entre eux en décrivant leur comportement face aux fraudeurs de tout acabit. Il restera pour eux à trouver les voies et moyens pour que la collaboration avec les banques atteignent le stade optimal.Ainsi, le bilan des douanes fait ressortir dans le cadre de la recherche et de la répression des pratiques de fraude grâce aux vérifications a posteriori opérées dans le cadre des brigades mixtes (douane, impôts, commerce) « de nombreux cas de vraies-fausses domiciliations bancaires ont été mises au jour » [...] « Dans le domaine cambiaire toujours, le suivi et l’analyse des transferts de fonds en devises étrangères effectuées par les voyageurs à l’occasion de leur sortie du territoire national ont fait ressortir l’ampleur des sommes exportées qui ont parfois atteint plusieurs milliards de centimes en une seule opération. L’alerte des pouvoirs publics a abouti à la fixation d’un montant maximum de monnaies étrangères autorisé à l’exportation par les particuliers (soit l’équivalent de 50 000 FF).

Dans ce domaine, le montant des pénalités encourues pour la seule année 1999 s’élève à 431 000 000 DA. L’amélioration du dispositif de lutte contre la fraude concerne non seulement la poursuite des atteintes aux intérêts du Trésor public mais également les atteintes à la production et à l’économie nationale. La lutte contre la fraude présente, certes, un aspect fiscal certain par les recettes qu’elle procure au budget mais constitue également un facteur et un moyen d’encadrement des échanges. Il en est ainsi du système des valeurs administrées instauré en 1995 pour lutter contre les pratiques de leur minoration, pour orienter les ressources rares vers l’importation de biens plus utiles ou plus compatibles avec les impératifs de relance économique ou pour promouvoir certaines productions nationales. En procurant au budget de l’Etat des recettes supplémentaires estimées à 24 000 000 000 DA entre 1995 et 1999, dont 9 100 000 000 DA pour la seule année 1998 (1 006 000 000 DA en 1999), ce système a permis au Trésor de récupérer une partie des rentes tirées de la revente en l’état des produits concernés par des opérateurs qui ont tendance à organiser leur insolvabilité dès la réalisation de leurs opérations [...] L’autre grand courant de fraude qui a été combattu par les services spécialisés des douanes, c’est celui portant sur les opérations d’exportation à destination de la Russie dans le cadre du remboursement de la dette. Les dossiers finalisés ont donné lieu à des dépôts de plainte et à des amendes et pénalités encourues s’élevant à 1 718 000 000 DA, indépendamment des opérations "ex-works" dont le montant s’élève à 3 440 000 000 DA [...] A l’occasion de certains dossiers traités par les services douaniers, il a été relevé l’existence de risques potentiels de transferts illicites de fonds par le biais de surfacturation, l’acquisition de produits de qualité douteuse et la déclaration frauduleuse des quantités ou de l’espèce des produits exportés (cas des déchets ferreux et non ferreux) », peut-on lire sur le site Internet des douanes algériennes. Les affaires juteuses lors d’opérations de commerce extérieur continueront mais les agents douanes avertissent qu’ils n’en seront que plus mobilisés.

Par Amine Echikr, La Tribune