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Echange de fichiers sur le Net : le peer-to-peer s’attend au pire

mardi 29 mars 2005, par Hassiba

La Cour suprême américaine pourrait rendre les concepteurs de logiciels responsables de leur utilisation illégale.

Peut-on traîner en justice le fabricant d’un produit qui peut avoir un usage illégal mais aussi légal ? La Cour suprême des Etats-Unis avait répondu par la négative, il y a vingt et un ans, dans le cadre de l’affaire Betamax. A l’époque, il s’agissait de magnétoscopes : Universal Studios estimait que les copies illégales de films menaçaient l’industrie du cinéma.

Demain, la Cour suprême se penche de nouveau sur la question. Cette fois-ci, c’est la technologie du peer-to-peer (partage des fichiers) qui est dans le collimateur des juges, et particulièrement les services d’échange de morceaux de musique (ou de films) comme Grokster, Morpheus ou Kazaa. Cela fait plusieurs années que les éditeurs de musique s’affolent : ils jugent que ces trois logiciels agissent en complète violation des droits d’auteur, et leur doivent de l’argent.

Tous concernés.
Le seul fait que la Cour suprême ait accepté de se saisir du dossier laisse supposer un changement de la jurisprudence Betamax. Sa décision, qui ne sera pas rendue publique avant plusieurs mois, est attendue fébrilement par de très nombreuses entreprises technologiques : « L’affaire va bien au-delà des problèmes posés par des services comme Kazaa ou Grokster. La Cour pourrait par exemple exiger que, désormais, les logiciels et le matériel prévoient l’inclusion de technologies permettant la protection des droits d’auteur », commente l’avocat Jim Halpert, spécialiste de ces questions chez DLA Piper Rudnick. Sont concernés à peu près tous les groupes dont les produits ont un rapport avec la musique, le cinéma, le commerce électronique, les logiciels, le matériel informatique ou les télécommunications.

« Dommage massif ».
L’affaire a démarré en 2001 par une plainte déposée par 27 sociétés éditrices de films ou de musique contre les éditeurs de logiciels Grokster and StreamCast Networks (qui distribue Morpheus). En première instance et en appel, les juges ont appliqué la jurisprudence Betamax, les logiciels Grokster ou Morpheus pouvant avoir une utilisation légale : téléchargement d’oeuvres appartenant au domaine public ou libres de droit. Mais l’industrie du disque, soutenue par quelques stars (Don Henley, Sheryl Crow, les Dixie Chicks...) juge que la situation est très différente : le business model de Grokster et de StreamCast, soutient-elle non sans raison, est fondé sur le piratage. Entre 1999 et 2004, le chiffre d’affaires de l’édition musicale a d’ailleurs chuté de 2,4 milliards de dollars, pour atteindre 12,1 milliards. Selon eux, ces logiciels « infligent un dommage massif et irréparable, parce qu’ils rendent possible une distribution virale ». Grokster et StreamCast répondent en estimant qu’un changement de la jurisprudence Betamax briderait l’innovation et même la « liberté politique ». Ils sont soutenus par des grands noms de la technologie comme Intel, AT & T ou Verizon.

Fouiller les mails.
La Cour suprême pourrait décider qu’il est possible de poursuivre les entreprises fournissant des technologies de copie (éditeurs de logiciels ou fabricants de matériel) à condition de démontrer une intention initiale d’encourager la fraude. La justice aurait alors à fouiller les mails des ingénieurs, ou les archives des responsables du marketing, à la recherche de preuves. « Une telle solution entraînerait des procès à n’en plus finir, chaque fois qu’une nouvelle technologie serait mise sur le marché, il faudrait débourser des millions de dollars en frais de justice », estime Fred Von Lohmann, avocat de l’association de défense des libertés sur l’Internet Electronic Frontier Foundation. « Quoi qu’il arrive, l’affaire ne s’arrêtera pas à la Cour suprême. Le camp qui perdra la partie ira devant le Congrès pour tenter de changer le résultat de la bataille judiciaire », poursuit Von Lohmann.

Pendant ce temps, de plus en plus de consommateurs s’habituent à payer lorsqu’ils téléchargent leur musique. Même si les systèmes gratuits restent prépondérants, les ventes de morceaux en ligne ont décuplé en 2004.

Washington, par Pascal RICHE, liberation.fr