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Décevantes cellules souches

jeudi 28 avril 2005, par Hassiba

On a cru que les cellules souches allaient venir à bout de tous nos maux. Hélas, les chercheurs constatent que les merveilles constatées en éprouvette ne se reproduisent pas dans un corps humain.

Le bel enthousiasme se serait-il évanoui ? Voici cinq ans, un déferlement de publications scientifiques laissait espérer que l’on allait bientôt pouvoir réparer à la carte nos organes défaillants et nos tissus endommagés. Ceci en utilisant les cellules souches adultes, plus ou moins indifférenciées, que l’on ne cessait de découvrir un peu partout dans l’organisme. La peau, les reins, le foie, le cerveau, la moelle osseuse, le sang, les os et jusqu’au cuir chevelu renferment en effet de telles cellules, plus ou moins indifférenciées.

Ayant conservé une certaine souplesse leur permettant, en cas de besoin, de donner naissance à des cellules spécialisées de remplacement. Grâce à elles, on allait donc faire repousser les neurones, restaurer les muscles, le foie, le rein, le poumon, le cœur, voire la rétine, etc., et soigner des maladies dégénératives jusqu’ici incurables. Le tout sans intervention lourde, puisqu’il s’agirait simplement de multiplier in vitro ces cellules souches, de les différencier dans le modèle désiré, puis de les injecter là où elles seraient utiles.

Les cellules de la moelle osseuse semblaient se prêter particulièrement bien à l’exercice : chez l’animal, on a prouvé qu’elles conservaient un potentiel « multi-tissulaire » comparable à celui des cellules souches de l’embryon, dites ES - les merveilleuses cellules vierges du tout début de la vie. Avec l’avantage d’éviter le recours aux cellules ES véritables, donc d’éluder les problèmes éthiques que pose leur utilisation. De plus, prélevées sur l’organisme qui en serait destinataire, ces cellules souches adultes seraient biocompatibles, éliminant d’emblée tout risque de rejet.
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Malheureusement, « cinq ans après, la révolution conceptuelle ne s’est pas produite », constatait le 5 avril Laure Coulombel, directrice de recherche à l’Inserm, lors d’une séance spéciale tenue par l’Académie nationale de Médecine, intitulée : « Réparation tissulaire et cellules souches », et qui a fait le point sur les recherches mondiales. C’est que, résume la spécialiste, « beaucoup d’observations ont été trop hâtivement interprétées ». On a extrapolé des observations surprenantes faites sur la souris, voire sur la drosophile, en espoirs de thérapeutiques applicables à l’homme.

On a indûment supposé que, dans l’organisme, les cellules souches effectueraient les miracles que les chercheurs réussissaient à leur faire accomplir dans les éprouvettes : en effet, de même que les animaux de cirque exécutent des prouesses inconnues dans la nature, les cellules vivantes se prêtent, au labo, à des transformations qui « n’ont pas d’équivalent in vivo », dit Laure Coulombel. Ainsi, « fabriquer in vitro des neurones, c’est une chose, mais réparer une lésion du système nerveux, c’en est une autre... » Tout ce « bouillonnement scientifique » autour des cellules souches adultes, « même s’il ne nous laisse (mal)heureusement aucun espoir d’immortalité », a néanmoins produit des observations très importantes. Mais le rôle et le statut exacts des diverses catégories de cellules souches adultes restent à comprendre en profondeur. Seule certitude : le plus souvent, là où elles se trouvent, elles paraissent jouer leur rôle naturel, à savoir régénérer le foie, la peau, les globules rouges, les fibres musculaires après un claquage, ou les os après une fracture. C’est déjà beaucoup, et rien n’interdit d’espérer qu’un jour on saura profiter davantage de leur capacité régénératrice par une stimulation « in situ ». Mais « ces cellules souches vieillissent avec nous, ce qui les rend de moins en moins efficaces... tout en nous donnant des cheveux blancs ».

En attendant, la récente séance de l’Académie de Médecine n’a été qu’une litanie de constats plutôt désabusés. Pour la « réparation des lésions du système nerveux », les expériences sur animaux d’Alain Privat (Inserm 336 à Montpellier) conduisent tout juste à « des résultats encourageants mais non décisifs ». Quant aux « stratégies de repeuplement du foie » explorées par ses chercheurs, l’équipe d’Axel Kahn (Institut Cochin) les juge elle-même « bien en deçà de tout espoir thérapeutique ». Les espoirs de réparation tissulaire semblent donc désormais reposer sur le recours à des cellules souches véritablement « pluripotentes », capables d’être transformées à volonté en n’importe quel type de cellules spécialisées. « La recherche d’une cellule souche universelle est comme la quête du Graal, passionnante mais incertaine », dit Hélène Gilgenkrantz, de l’Institut Cochin. Or il faut reconnaître que, pour le moment, la seule source certaine de telles cellules miraculeuses est l’incontournable embryon humain.

En l’état des connaissances biologiques, le Graal, on pense savoir où il se trouve : 1) dans le « clonage thérapeutique », la fabrication d’embryons (selon la technique qui devait donner naissance à la célèbre et défunte brebis Dolly), pour en tirer des lignées de cellules ES - mais cette approche est interdite à peu près partout ; 2) dans le recours aux embryons « surnuméraires », consécutifs à des fécondations in vitro, et conservés depuis des années dans l’azote liquide bien qu’ils ne fassent plus l’objet d’aucun « projet parental » d’implantation utérine.
Graal fabuleux, source inépuisable de cellules souches, de tels embryons orphelins sont stockés par dizaines de milliers dans de nombreux pays. Jusqu’ici, seuls Israël, les Etats-Unis et l’Australie ont autorisé leur utilisation scientifique, via la culture de précieuses lignées de cellules ES.

En France, grâce à la dernière mouture (6 août 2004) de la « loi bioéthique », il est désormais possible d’importer des lignées ES provenant des pays qui en permettent l’exportation. Marc Peschanski, de l’Inserm, a obtenu en février la toute première autorisation. D’autres demandes sont en cours d’instruction. Mais on attend surtout le décret qui permettra, enfin, de puiser de telles cellules dans les stocks français d’embryons congelés. Toutefois, échaudés par les espoirs prématurés que suscitèrent les cellules souches adultes, les chercheurs s’efforcent maintenant de désamorcer les promesses mirobolantes : jusqu’à nouvel ordre, il s’agit exclusivement de recherche fondamentale. Toute perspective thérapeutique concrète est repoussée à un avenir lointain. D’ailleurs, avertissent plusieurs spécialistes, « l’une des choses que l’on sait de ces fabuleuses cellules ES, c’est que, inoculées chez la souris, elles déclenchent l’apparition de cancers ».

Par Fabien Gruhier, lenouvelobs.com